Chaque année, 2 500 enfants et adolescents sont atteints de cancer en France. Au cours des dernières décennies, les progrès thérapeutiques ont transformé leur pronostic, avec des taux de guérison dépassant aujourd’hui les 80 %. Si beaucoup de ces enfants guérissent sans aucune séquelle apparente, pour d’autres, la guérison a nécessité des traitements intensifs, pouvant associer polychimiothérapie, radiothérapie, allogreffe de moelle osseuse, chirurgie. Ils sont sources de séquelles et complications potentielles pouvant survenir plusieurs dizaines d’années après la fin des traitements anticancéreux : cancers secondaires, pathologies cardiaques, endocriniennes, osseuses ou pulmonaires, altération de la croissance staturopondérale et de la fertilité, atteintes sensorielles auditives ou visuelles, déficit neurocognitif et séquelles ou complications neurologiques.
Ainsi, les adultes guéris de cancers pédiatriques sont exposés à des risques de pathologies secondaires, parfois sévères, pouvant menacer leur pronostic vital ou retentir sur leur qualité de vie et leur insertion socioprofessionnelle. Leur détection et leur prise en charge précoce apparaissent comme des enjeux majeurs pour garantir au mieux la qualité de vie à très long terme des survivants de cancers pédiatriques.
Parmi les séquelles à long terme, la survenue de syndrome métabolique (SM) et de complications cardio- et cérébrovasculaires (CV) est particulièrement préoccupante. Toutes les études épidémiologiques sont concordantes à ce sujet. Les risques sont très augmentés comparativement à la population générale mais sont dépendants des traitements reçus et de l’âge au traitement.
Syndrome métabolique après leucémie
Le programme de suivi à long terme des patients guéris d’une hémopathie maligne survenue dans l’enfance (cohorte nationale multicentrique française LEA) a mis en évidence un risque accru de SM après guérison d’une leucémie de l’enfance.
Le SM est un facteur de risque majeur de maladies CV. Il est défini par la présence d’au moins trois des cinq critères suivants (critères internationaux du NCEP-ATPIII) :
— périmètre abdominal ≥ 102 cm chez l’homme et ≥ 88 cm chez la femme ;
— augmentation des triglycérides ≥ 1,7 mmol/l ou traitement en cours ;
— réduction des HDL-cholestérol < 1,03 mmol/l chez l’homme et < 1,3 mmol/l chez la femme, ou traitement en cours ;
— hypertension artérielle ≥ 130 mmHg de pression systolique ou ≥ 85 mmHg de pression diastolique ou traitement antihypertenseur ;
— glycémie à jeun ≥ 100 mg/dl ou traitement en cours d’un diabète.
La prévalence du SM est de 10,3 %, versus 4,5 % dans la population générale de même âge et de même sexe, et peut atteindre 23,2 % dans le groupe de patients ayant reçu une allogreffe de moelle osseuse après une préparation comportant une irradiation corporelle totale. Il est important de noter que cela survient chez des adultes jeunes, à un âge moyen de 24 ans.
Le profil de SM diffère selon les types de traitements reçus, suggérant différentes physiopathologies. Les patients ayant eu une irradiation cérébrale ont un tour de taille plus important, tandis que ceux ayant reçu une irradiation corporelle totale ont un tour de taille significativement plus petit, un taux de triglycérides plus important, une tension artérielle plus élevée, et une glycémie plus élevée (1). Chez ces derniers, le profil ressemble aux patients ayant une lipodystrophie, avec des anomalies du tissu adipeux sous cutané à l’origine d’un stockage ectopique des graisses, notamment au niveau hépatique.
La recherche de SM doit donc être systématique après traitement d’une leucémie aiguë pendant l’enfance et notamment en cas d’allogreffe, y compris chez les patients avec un indice de masse corporelle normal et/ou un tour de taille normal. La détection puis la prise en charge précoce des composants du SM devraient permettre de limiter les risques de complications CV ultérieures.
La stéatose hépatique est une autre des complications du SM à rechercher et prendre en charge.
Pathologies cardio et cérébrovasculaires secondaires
Après les seconds cancers, les évènements cardiovasculaires représentent la deuxième complication à long terme des traitements anticancéreux administrés pendant l’enfance ou l’adolescence en termes de fréquence et de sévérité. Toutes les pathologies cardiovasculaires sont concernées, en particulier l’insuffisance cardiaque (risque multiplié par 15) et la coronaropathie (risque multiplié par 10), mais aussi les valvulopathies, arythmies, artériopathies et accidents vasculaires cérébraux ischémiques comme hémorragiques.
La cohorte américaine Childhood cancer survivor study a ainsi montré que les survivants d’un cancer de l’enfance avaient 8,2 fois plus de risque de mourir d’une complication cardiaque que la population générale, 10,4 fois plus de risque de maladies coronariennes et 9,3 fois plus de risques de développer une complication cérébrovasculaire que leur fratrie.
On compte, parmi les facteurs de risque majeurs : les anthracyclines (exposant au risque d’insuffisance cardiaque, effet dose-dépendant) et l’irradiation (aire cardiaque ou cérébrale, exposant respectivement aux risques d’insuffisance cardiaque/coronaropathie/valvulopathies/arythmies et AVC, avec un effet dépendant de la dose et du volume d’organe à risque irradié). Mais d’autres facteurs cliniques et biologiques sont susceptibles de modifier le risque, notamment : âge jeune au traitement (< 5 ans), association à d’autres comorbidités (trisomie 21, pathologies endocriniennes), facteurs de risque cardiovasculaires associés, en particulier l’hypertension artérielle.
À titre d’exemple, les patients traités pour une leucémie aiguë myéloblastique ont une incidence cumulée de cardiotoxicité de 16 % à 10 ans et 27 % à 15 ans post-traitement ; avec un effet majeur de la dose cumulée d’anthracyclines (37 % à 10 ans si elle a été supérieure à 460 mg/m²).
La connaissance de l’ensemble de ces facteurs de risque est indispensable, de façon à proposer des recommandations de surveillance cardiovasculaire adaptées aux traitements anticancéreux reçus pendant l’enfance afin de dépister et traiter précocement ces complications tardives et ainsi limiter leurs conséquences.
Ainsi, tout patient exposé aux anthracyclines (doxorubicine, daunorubicine, epirubicine…) nécessite un suivi cardiologique par échographie cardiaque au minimum tous les 5 ans ainsi qu’en cas de grossesse vers 3 et 7 mois.
Les patients exposés à une irradiation de l’aire cardiaque (incluant irradiation corporelle totale) nécessitent un suivi cardiologique également au minimum tous les cinq ans, mais plus large, associant électrocardiogramme, échographie cardiaque et épreuve d’effort.
En cas d’irradiation cervicale associée, un échodoppler des troncs supra-aortiques est également recommandé tous les cinq ans.
Enfin, en cas d’irradiation cérébrale, le risque d’AVC conduit à proposer un suivi par IRM cérébrale au minimum tous les cinq ans, avec des séquences spécifiques pour évaluer le risque vasculaire secondaire : TOF, à la recherche de sténoses des artères cérébrales, et T2* à la recherche de cavernomes à risque hémorragique.
Dans tous les cas, le dépistage et la prise en charge précoce de l’hypertension artérielle, mais aussi du diabète, de l’obésité, de la dyslipidémie et donc du syndrome métabolique, sont indispensables, afin de réduire le risque à long terme de pathologie cardiovasculaire secondaire aux traitements reçus pendant l’enfance (2).
Des centres spécialisés
De façon à préciser le risque de pathologies secondaires et proposer une prise en charge adaptée à ces risques, des consultations de suivi à long terme dédiés aux adultes guéris d’un cancer pendant l’enfance ou l’adolescence (3) se sont développées dans différentes CHU et centres régionaux de lutte contre le cancer (CRLCC), sous l’égide de la Société française des cancers et leucémies de l’enfant (SFCE).
La SFCE recommande aujourd’hui à tous les médecins généralistes prenant en charge un adulte guéri d’un cancer pédiatrique, de référer celui-ci en consultation spécialisée dite de suivi à long terme, pour une évaluation des risques et établissement d’un plan personnalisé de suivi à long terme, incluant les recommandations de prévention et dépistage des pathologies post-cancer. Et, à défaut, établir un contact avec le centre d’oncologie pédiatrique ayant effectué le traitement initial est indispensable pour obtenir un résumé de la pathologie et des traitements reçus, permettant d’établir un plan personnalisé de suivi conforme aux recommandations nationales et internationales en vigueur (4).
* Service hématologie, immunologie et oncologie pédiatrique, CHU Timone enfants, Marseille
** Département de cancérologie de l’enfant et de l’adolescent, Institut Gustave Roussy, Villejuif
*** Inserm U1018, CESP Équipe 3, Épidémiologie des radiations, Université Paris Saclay, Villejuif
(1) Oudin C et al. Prevalence and characteristics of metabolic syndrome in adults from the French childhood leukemia survivors’ cohort : a comparison with controls from the French population. Hematologica 2018 Apr; 103(4): 645–54
(2) Fresneau B et al. Facteurs de risque et surveillance à long terme des complications cardiaques après traitement pour un cancer pendant l’enfance. Revue de médecine interne. 2016(38)2:125-32
(3) sf-cancers-enfant.com/apres_le_cancer/sante-physique-2/le-suivi-a-long-terme
(4) www.ighg.org
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