EN 2003, les auteurs de l’étude CHARM avaient fait état d’un taux inattendu de cancers mortels dans le groupe affecté au traitement par antagoniste des récepteurs de l’angiotensine II (ARA II), avec une fréquence atteignant 2,3 % contre 1,6 % dans le groupe témoin (1). Par ailleurs, le système rénine-angiotensine est impliqué dans la régulation de la prolifération cellulaire et dans l’angiogenèse.
C’est principalement pour ces raisons que I. Sipahi et coll. (Cleveland, Ohio) avaient entrepris une méta-analyse destinée à préciser ce risque (2). Pour cela, ils ont colligé les études publiées avant 2009 relatives aux ARA II commercialisés à cette date. Dans ce travail, qui a porté sur plus de 60 000 patients, I. Sipahi et coll. ont conclu à un risque relatif de cancer de 1,08 sous ARA II. En termes de localisation de la maladie néoplasique, le poumon est apparu comme significativement plus fréquemment atteint. En revanche, l’incidence des décès par cancer n’est pas apparue modifiée pendant la période de suivi.
Les limites de ce travail post-hoc ont été souvent évoquées. Il s’agit notamment du grand nombre d’études dans lesquelles le critère de mortalité par cancer n’était pas spécifié à l’avance, l’hétérogénéité du mode de recueil des données selon les études et les biais de notification voire de publication. Néanmoins, cette méta-analyse a eu l’intérêt de générer des hypothèses de travail en matière de tolérance des antihypertenseurs.
Le tabac, facteur confondant.
L’âge des patients et leur statut tabagique sont évidemment un facteur confondant qui altère la portée des conclusions de la méta-analyse de Sipahi. À ce propos, précisément, des données éclairantes ont pu être obtenues à partir de registre de la Collaborative Transplant Study, qui regroupe les données de plus de 400 centres de transplantation rénale (3). Elles portent sur 24 090 transplantés rénaux, dont 9 079 ont été traités par IEC ou ARA II depuis 1998, sans que ce travail ne permette de faire la différence entre ces deux classes thérapeutiques. Le statut tabagique a été noté chez 12 600 patients seulement, le plus souvent un an après la transplantation.
Au total, 871 tumeurs solides, dont 107 cancers du poumon, des voies aériennes ou des organes thoraciques, ont été recensés pendant la période de suivi, d’une durée de 2 à 8 ans.
Aucune relation entre le traitement par IEC ou ARA II et l’incidence des tumeurs solides n’a été constaté (p = 0,42). En revanche, il est apparu un excès de risque, faible mais significatif, de cancer du poumon ou des voies aériennes. Cet excès de risque a été multiplié par 2,5 chez les fumeurs, mais n’est pas apparu chez les non-fumeurs.
Deux autres méta-analyses et un registre, rassurants…
Une autre méta-analyse, également très récente, a en revanche des conclusions rassurantes (4). Cette méta-analyse bayesienne en réseau (Bayesian network meta-analysis), a l’intérêt de permettre des comparaisons indirectes. Ses auteurs concluent que leur analyse « réfute une augmentation du risque relatif de cancer ou de décès lié à un cancer en cas d’utilisation des ARA II, des IEC, des bêtabloquants, des diurétiques et des antagonistes calciques ». Les auteurs précisent que « toutefois, un risque accru de cancer ne peut pas être exclu chez les patients traités par une association IEC et ARA II ».
Ainsi, une nouvelle méta-analyse basée sur les données individuelles des patients inclus dans tous les grands essais réalisés avec les inhibiteurs de l’angiotensine 2 était nécessaire.
Enfin, l’incidence des cancers a été étudiée dans quinze grands essais multicentriques, à double insu et en groupes parallèles, réalisés chez 138 769 patients traités par ARA II (5). Là encore, ce travail n’a pas mis en évidence une augmentation de l’incidence des cancers sous ARA II par comparaison avec un traitement antihypertenseur témoin, ni sous association ARA II et IEC par comparaison avec un IEC seul, ni sous ARA II par comparaison avec un groupe témoin.
Une étude danoise est très utile car elle fait appel à une autre méthodologie que celle des essais thérapeutiques. Dans ce travail, les auteurs ont comparé 107 466 patients sous ARA II et 209 692 sujets sous IEC, issus du registre danois du cancer entre 1998 et 2006 (6). Le risque de cancer n’est pas apparu augmenté avec la durée d’exposition aux ARA II.
Aucune augmentation du risque de cancer du poumon n’est apparue, avec un rapport des cotes de 0,92 (IC 95 % : 0,82 à 1,02). Pour la mortalité par cancer, le rapport des cotes était de 0,77 (IC 95 % : 0,72 à0,82).
Au total, les résultats des méta-analyses des essais thérapeutiques utilement complétés d’études de cohortes indiquent qu’il n’y a pas de risque accru de cancer associé à la prescription d’un ARA II.
D’après la communication du Pr Michel Burnier (Lausanne, Suisse).
(1) Pfeffer MA, et coll. Lancet 2003;362:759-66.
(2) Sipahi I, et coll. Lancet Oncol 2010;11:627-36.
(3) Opelz G, Döhler B. Am J Transplant 2011;11(11): 2483-9.
(4) Bangalore S, et coll. Lancet Oncol 2011;12(1):65-82.
(5) ARB Trialists Collaboration. J Hypertens 2011;29(4):623-35.
(6) Pasternak B, et coll. Circulation 2011;123: 1729-36.
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