Par le Pr Jean-Jacques Mourad
IL Y A POURTANT une nuance de taille entre la promotion de la substitution et la promotion du traitement par générique : si la substitution par un générique d’une molécule tombée dans le domaine public prescrite en toute liberté par un médecin peut sembler cohérente d’un point de vue médico-économique, l’incitation à ne prescrire que des génériques soulève des problèmes déontologiques et éthiques.
Prenons des exemples plus explicites : imaginons une société qui s’imposerait de ne rouler qu’avec des voitures de plus de 20 ans d’âge, qui n’aurait à sa disposition que des réfrigérateurs conçus il y a plus de 20 ans, des ordinateurs qui n’auraient pas été mis à jour depuis plus de 20 ans…. Traiter les 11 millions d’hypertendus en France selon les normes du P4P consiste à leur proposer la pharmacopée des années 1990, en bridant de manière administrative l’accès aux innovations et aux progrès réalisés depuis vingt ans dans le domaine pharmacologique.
Deux exemples.
Certains clameront qu’aucun progrès majeur n’est intervenu dans le domaine de l’hypertension artérielle depuis vingt ans. Ceux là même auraient probablement dit la même chose il y a déjà vingt ans lors de la mise sur le marché de l’amlodipine alors que la nifédipine était déjà disponible, du ramipril ou du perindopril alors que le captopril était commercialisé, du bisoprolol ou du nebivolol alors que l’aténolol était dans le domaine public. L’arrivée de nouvelles molécules au sein de chacune des classes majeures d’antihypertenseurs a constamment apporté un progrès des connaissances (stimulation d’essais thérapeutiques de morbimortalité, données pharmacologiques, efficacité sur les organes cibles), et une amélioration du confort des patients et de leur adhérence à la prise en charge (pharmacocinétique optimisée, monoprises, associations fixes). Ces points peuvent être illustrés par les deux exemples suivants :
- chez les patients les plus sévères, la prescription d’une quadrithérapie anti-hypertensive peut s’avérer indispensable ; les progrès réalisés depuis vingt ans autorisent une couverture optimale des 24 heures avec 2 comprimés pris le matin au lieu de 4 à 9 comprimés quotidiens qui étaient nécessaires il y a vingt ans pour obtenir la même efficacité (figure). Vous ne trouverez aucun patient pour vous affirmer qu’il ne s’agit pas là d’un progrès qui améliore significativement leur quotidien.
- la classe des antagonistes des récepteurs à l’angiotensine 2 est une des classes les plus récentes et une des plus prescrites en France en raison d’un ratio efficacité/tolérance particulièrement favorable. C’est aussi une classe particulièrement hétérogène en termes d’efficacité, essentiellement pour des raisons de doses de lancement des produits commercialisés. Ainsi, il apparaît que les molécules pionnières de cette classe sont aujourd’hui supplantées par des molécules plus récentes, en particulier sur leur durée d’action (1-3). Pour les prescripteurs choisissant d’opter pour cette classe thérapeutique, la prescription dans le répertoire conduirait à favoriser les molécules les moins performantes au sein de la classe des sartans, et à les priver d’une vaste gamme d’associations fixes développées autour des molécules les plus récentes, dont le bénéfice en termes d’observance au traitement est indubitable (4).
Cette négation du progrès pharmacologique n’aura pas d’effet visible immédiat : l’absence d’indicateurs fins du contrôle tensionnel et de l’observance thérapeutique en France laissera la place à une dérive progressive et grave de la prise en charge globale des hypertendus sans signaux d’alarmes efficaces. Telle qu’elle est aujourd’hui « pensée » et surtout imposée, la prise en charge de l’HTA en France, pivot de la prévention cardiovasculaire, est totalement sous l’emprise d’une pensée unique, obnubilée par les coupes budgétaires à court terme et faisant fi de toute considération sanitaire.
Références
1. Parati G et al. Evaluating 24-h antihypertensive efficacy by the smoothnessindex : a meta-analysis of an ambulatory blood pressure monitoring database. J Hypertens 2010, 28 :2177–2183.
2-. Baguet JP et al. A placebo-controlled comparison of the efficacy and tolerability of candesartan cilexetil, 8 mg, and losartan, 50 mg, as monotherapy in patients with essential hypertension, using 36-h ambulatory blood pressure monitoring. Int J Clin Pract. 2006;60:391-8
3. Smith DH, et al. Use of 24-hour ambulatory blood pressure monitoring to assess antihypertensive efficacy : a comparison of olmesartan medoxomil, losartan potassium, valsartan, and irbesartan. Am J Cardiovasc Drugs. 2005;5(1):41-50.
4. Bangalore S. et al. Fixed-dose combinations improve medication compliance : a meta-analysis. Am J Med. 2007;120:713-9
Conflits d’intérêts :
Au cours des cinq dernières années, j’ai été sollicité par l’ensemble des industriels développant des anti-hypertenseurs pour des missions ponctuelles de conseil ou d’intervention lors de réunions scientifiques. J’ai également été sollicité par l’HAS pour des expertises (commission de publicité et commission de transparence). Collaborer avec le plus grand nombre me donne une liberté de pensée et de parole que m’interdirait un lien unique avec un partenaire privé ou public. Mon conflit d’intérêt majeur sur le sujet de cet article réside dans ma conviction que les hypertendus en France doivent être pris en charge de la manière la plus optimale et la plus moderne qui soit possible.
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