« En France, la prévention cardiovasculaire (CV) pose problème. La prise en charge thérapeutique de l’hypercholestérolémie est plus mauvaise aujourd’hui qu'avant », s’insurge le Pr Éric Bruckert, hôpital Pitié Salpêtrière (Paris). L’étude nationale transversale Esteban Santé publique France (1,2), représentative de la population française, dresse en effet un état des lieux préoccupant : la proportion d’adultes ayant plus de 1,6 g/l de LDL-cholestérol (LDL-c) n’a pas évolué depuis 2006. Entre 2006 et 2015, le pourcentage de sujets déclarant avoir déjà eu un bilan lipidique a diminué, ainsi que ceux sous hypolipémiant (-29,6 %). L’absence de traitement est observée même chez les personnes à très haut risque cardiovasculaire. Et parmi les patients traités, l’observance de la prescription de statines est souvent mauvaise.
Une nouvelle grille d’évaluation
La prévention CV reste donc un enjeu majeur. Les recommandations de la Société européenne de cardiologie (ESC) de septembre 2021 (3) apportent des changements importants dans la prise en charge des dyslipidémies. Le premier est une nouvelle grille d’évaluation du risque CV, avec les équations Score 2 et Score 2-OP adaptées aux personnes de plus de 70 ans. Pour les lipides, Score 2 inclut le non HDL-c (taux de cholestérol total auquel est soustrait le HDL-c) comme seul paramètre lipidique pour calculer le risque CV. Il représente un progrès important car ce paramètre tient compte non seulement du LDL-c, mais également d’autres fractions lipidiques athérogènes incluant certaines particules transportant les triglycérides, notamment celles dites résiduelles ou « remnants ».
Autre changement, l’échelle Score 2 indique non plus un risque de mortalité CV mais d’événement CV. En effet, la mortalité étant basse, l’ancienne équation était critiquée car elle donnait l’impression d’un faible risque CV. Enfin, autre progrès, le risque varie en fonction de l’âge, avec un haut risque plus vite atteint chez les sujets jeunes. L’objectif d’un LDL-c inférieur à 0,55 g/l pour la population à très haut risque est largement validé. Il inclut la prévention secondaire, mais aussi la prévention primaire des patients cumulant de très nombreux facteurs de risque ou ayant de l’athérosclérose infraclinique.
Vers une stratégie personnalisée
Les recommandations de l’ESC (3) soulignent que la stratégie thérapeutique, notamment en prévention primaire, doit suivre une approche progressive en deux étapes : l’une concernant le début du traitement et l’autre son intensification. Elle doit permettre de mieux personnaliser la prise en charge. La mise en route du traitement par statine est également précisée. Il s’agit d’un élément majeur compte tenu de l’importance de l’effet nocebo avec cette classe thérapeutique. Une étude récente montre que neuf évènements secondaires musculaires sur dix correspondent à un effet nocebo (4).
La prise en charge repose, après les statines à la plus forte dose tolérée, sur l’association à l’ézétimibe, puis sur les anticorps anti-PCSK9. « En France, leur utilisation est régulée par le remboursement et pas par les recommandations », pointe le Pr Bruckert. Leur remboursement concerne la prévention secondaire pour les patients qui restent non contrôlés (LDL-c ≥ 0,7 g/l) malgré un traitement hypolipémiant optimisé par statine. Les anti-PCSK9 entraînent une légère diminution de la lipoprotéine a [Lp(a)]. Selon l’étude Odyssey (5), il est possible qu’une partie du bénéfice de cette classe thérapeutique passe par la baisse de la Lp(a).
Des thérapies d’avenir
Par ailleurs, de nouvelles thérapies visant à diminuer la Lp(a) sont en développement. Il s’agit soit des oligonucléotides antisens, soit des anti-RNA, qui abaissent la Lp(a) d’environ 80 %. Des essais, avec des critères de jugement cliniques, vont débuter prochainement. D’autres médicaments pourraient être disponibles dans les prochains mois : l’inclisiran est un antisens (ARN interférent) qui réduit les concentrations de PCSK-9. Il s’administre à raison d’une injection tous les six mois, voir tous les ans. Appartenant à la famille des oméga-3, l’acide eicosapentaénoïque (EPA) purifié a mis en évidence dans l’étude Reduce-It (6) une baisse de 30 % des événements CV à 5 ans, chez des sujets hypertriglycéridémiques, avec une pathologie CV ou à haut risque CV.
D’après un entretien avec le Pr Éric Bruckert, hôpital Pitié Salpêtrière et université Sorbonne (Paris)
(1) Blacher J et al. Medicine. 2020 Dec 11;99(50):e234452.
(2) BEH, 2018, n°373.
(3) Visseren FLJ et al. Eur Heart J. 2021, Sep 7;42(34):3227-3337.
(4) Wood FA et al. N Engl J Med 2020 Nov 26;383(22):2182-4.
(5) Szarek M et al. Eur Heart J. 2020 Nov 21;41(44):4245-55.
(6) Bhatt DL et al. N Engl J Med 2019;380:11-22
(7) Xie Y et al. Nat Med. 2022 Feb 7
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