Afin d’estimer les conséquences sur la santé publique du livre publié par les Prs Philippe Even et Bernard Debré dénonçant une surprescription des statines, des cardiologues parisiens ont étudié l’observance dans un petit échantillon de patients suivis en consultation cardio-vasculaire : leurs conclusions sont alarmantes. Si l’ensemble de la population française traitée par statines arrêtait le traitement dans les mêmes proportions que l’échantillon étudié, la controverse serait responsable en France de près de 5 000 événements cardio-vasculaires majeurs, dont 1159 décès sur 1 an.
Les français ont-ils été perméables à la récente polémique sur la prescription des statines ? Il semble bien que oui et que cela ne se fasse pas sans dommage collatéral, selon les conclusions d’une étude menée dans 2 services parisiens et cabinet libéral et pilotée à l’hôpital européen Georges Pompidou. « La polémique récente sur les statines pourrait entraîner l’arrêt de ces traitements chez de nombreux patients et ainsi provoquer la survenue de nombreux événements cardio-vasculaires majeurs », écrivent les auteurs. Chiffres éloquents à l’appui.
En extrapolant à la population française les résultats obtenus chez 142 patients suivis en consultation cardio-vasculaire, l’équipe d’Étienne Puymirat avance que près de 4 992 événements cardio-vasculaires majeurs pourraient survenir dans l’hexagone, dont 1 159 décès, si tant est que la population traitée par statines décidait d’arrêter le traitement dans les mêmes proportions que l’échantillon étudié.
Une extrapolation à l’aide de deux grandes études
L’étude a consisté à étudier l’observance dans un échantillon de patients traités par statines à l’aide d’un questionnaire détaillé dans les suites immédiates de la polémique. Les chercheurs ont ensuite calculé le nombre prévisible d’événements cardio-vasculaires en se servant des données d’une grande métaanalyse, la «Cholesterol Treatment Trialists», publiée dans le BMJ en 2009. Une fois les chiffres obtenus dans l’échantillon, l’équipe les a extrapolés à l’ensemble de la population française traitée, en se servant des estimations d’une récente étude épidémiologique de l’Assurance Maladie de 2010.
Les cinq cardiologues dans trois centres de la région parisienne ont inclus de façon consécutive sur 1 mois au cours de leurs consultation 37 patients traités en prévention primaire par statine (âge moyen 68,0 ans) et 105 en prévention secondaire d’une maladie coronaire (âge moyen 67,6 ans). En prévention primaire, 24,3 % des patients interrogés ont déclaré avoir l’intention d’arrêter les statines contre 8,6 % en prévention secondaire. En prévention primaire, l’équipe est arrivée au résultat que 18 000 événements pourraient être évités par an avec les statines, dont 3970 décès. Si 24 % décidaient de ne plus prendre leur médicament, il y aurait alors 4320 événements induits, dont 953 décès. En suivant le même raisonnement en prévention secondaire, sur les 844 événements évités par an en France, l’arrêt de la statine chez les 8 % des patients traités entraînerait 672 événements par an, dont 206 décès.
Un impact sans doute sous-estimé
Ces résultats sont-ils représentatifs de la situation en France ? C’est toute la question. Certes, l’échantillon est petit et le recrutement est biaisé du fait d’une population choisie, suivie en consultation et soucieuse de sa santé. Mais alors l’écueil serait plutôt une sous-estimation du risque, puisque les patients ayant déclaré vouloir arrêter leur traitement ne l’ont peut-être pas fait, par exemple suite aux conseils de leur cardiologue. À l’inverse, on peut s’attendre à ce que les sujets peu enclins à s’occuper de leur santé soient encouragés à abandonner le traitement, ce qu’ils font d’ailleurs déjà en l’absence de tout contexte polémique. Comme les auteurs le soulignent, « près de 25 % des patients traités par statines après un infarctus du myocarde ont une mauvaise observance de leur traitement ».
Il est possible que l’impact soit plus large encore, du fait de l’abandon d’autres médicaments par effet d’entraînement, ce qui résulterait en un nombre accru d’événements cardiovasculaires. « Il semble, à travers les sous-groupes de l’étude, que ce soit les catégories socioprofessionnelles les plus élevées qui soient les plus sensibles aux messages négatifs » commente le Dr Etienne Puymirat.
Pour les auteurs, « dans un contexte actuel de suspicion grandissante vis-à-vis de l’industrie pharmaceutique, les patients deviennent de plus en plus réticents à prendre des médicaments au long cours. C’est pourquoi il est crucial d’informer correctement les patients sur la prise en charge médicale (...) et d’être prudent avec les messages donnés à la population ».
Archives of Cardiovascular Disease, publication en ligne d’octobre 2013
Interrogé sur la méthodologie de cette étude, le Pr Nicolas Danchin précise qu’il s’agit d’une étude d’impact destinée à estimer le nombre de patients susceptibles d’arrêter leur traitement par statine en réaction à un évènement aigu.
« Nous avons réalisé une modélisation, les imperfections méthodologiques sont assumées, explique le cardiologue. Il fallait réagir rapidement, dans les 2 mois qui ont suivi la polémique. » Les questions posées n’étaient pas standardisées : les patients pour la majorité étaient suivis de longue date par le cardiologue et « n’auraient pas forcément compris que l’on les interroge avec des questions toutes faites ». Cependant le cahier des charges était de laisser parler les patients spontanément avant de les interroger sur leurs intentions.
Les biais sont dans les deux sens, reconnaît le Pr Danchin, ceux qui ont la volonté d’arrêter et ne le feront pas, et ceux qui, face au cardiologue prescripteur, disent ne pas en avoir l’intention mais qui le feront quand même. Dans tous les cas, cette étude est une manière d’essayer de chiffrer les choses. Il est certain que le nombre de patients qui s’interrogeaient sur leur traitement était beaucoup plus élevé qu’habituellement.
EVANS montre également que cette polémique n’est pas qu’un débat d’idées et qu’elle a un vrai impact négatif en termes de santé. La seule mesure effective ne pourra venir que dans quelques années lorsque les bases SNIIRAM donneront le nombre d’arrêt effectif et la mortalité cardiovasculaire en regard. Quant au Pr Philippe Even, interrogé sur la même étude, il n’a pas souhaité nous répondre.
> Dr A. T.
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