PAR LE Pr PATRICK JOURDAIN*
LE TERME d’éducation thérapeutique est souvent mal compris et est souvent utilisé hors de propos. L’éducation thérapeutique est fondée sur une relation bilatérale soignant-soigné (que pouvez-vous faire de ce que je voudrais que vous fassiez ?) plutôt que sur une relation unilatérale souvent descendante (voici ce que vous devez faire pour que tout aille bien). En cela, elle se différencie clairement de l’information qui, si elle est un élément important de la prise en charge du patient, ne permet pas d’améliorer ni sa compliance ni sa compétence et ce combien même cette information est menée à l’aide de documents esthétiques et travaillés. Tout bon clinicien fait de l’information et pour autant il ne fait pas de l’éducation thérapeutique, laquelle répond à certains critères rappelés dans le référentiel HAS publié en 2007.
Une ETP de qualité passe par plusieurs étapes (figure 1) :
– la formation des intervenants, d’une part, à l’éducation thérapeutique et, d’autre part, à la pathologie concernée et donc ici l’insuffisance cardiaque ;
– la réalisation d’un diagnostic éducatif qui, même s’il est court, permet d’appréhender les motivations, croyances et conceptions du patient et de voir sur quels projets s’appuyer pour le motiver. Celui-ci est souvent intuitivement fait avec un patient que l’on suit, mais il est rarement formalisé ;
– une formation multidisciplinaire appropriable, adaptée, bilatérale et interactive ;
– une évaluation du programme et de son impact sur le patient.
Chaque occasion de rencontre soignant-soigné peut être un moment d’éducation thérapeutique, mais celle-ci ne doit pas se résumer à des « occasions » et doit se faire dans un cadre et avec une évaluation régulière. L’insuffisance cardiaque fait partie des pathologies où le côté multidisciplinaire de la formation est particulièrement marqué avec des notions d’exercice physique et de nutrition d’un intérêt majeur pour l’évolution de la pathologie.
Dès 1997, Rich démontra que la mise en uvre d’une prise en charge multidisciplinaire dès la sortie du centre hospitalier dans les suites d’une décompensation cardiaque permettait de réduire de plus de 25 % les risques de réhospitalisation à 90 jours et diminuait significativement les coûts liés à cette pathologie chez les patients de plus de 70 ans. Ce qui a été confirmé par plus de vingt études concordantes. Récemment, Roccaforte a démontré par une métaanalyse que la mise en uvre de l’éducation thérapeutique dans l’insuffisance cardiaque réduisait le risque de mortalité globale (OR : 0,8 ; p < 0,003), le taux d’hospitalisations pour insuffisance cardiaque (OR : 0,58 ; p < 0,00001) et les hospitalisations quelle qu’en soit la cause (OR : 0,76 ; p < 0,00001). Depuis les travaux des réseaux centrés sur Nantes et sa région (réduction de 50 % des réhospitalisations chez les patients éduqués) ainsi que d’autres travaux comme ceux récemment publiés par notre unité thérapeutique d’insuffisance cardiaque (UTIC) (réduction de la morbimortalité sur 10 ans) ont démontré l’impact de la pratique extensive de l’éducation thérapeutique des patients insuffisants cardiaques en France. A contrario, certaines expériences, comme Resicard en région Paris Ile-de-France, n’ont pas montré d’impact significatif, mais celles-ci étaient initialement davantage fondées sur un coaching des médecins que des patients.
Un financement très disparate.
L’éducation thérapeutique dans l’insuffisance cardiaque est extrêmement protéiforme et dépend largement des spécificités et possibilités locales (personnels, locaux, etc.). Son financement est actuellement très disparate. Les actions d’éducation thérapeutique réalisées lors d’une hospitalisation sont comprises dans la facturation de celle-ci et ne donnent lieu à aucune rémunération supplémentaire. Celles réalisées en ambulatoire dans les centres hospitaliers relèvent de l’enveloppe MIG. L’éducation thérapeutique de ville peut, quant à elle, bénéficier, soit d’un financement dans le cadre des réseaux, soit par l’assurance maladie ou d’un soutien des mutuelles (MSA). Ce problème de financement est un des éléments limitant principaux en pratique.
L’éducation thérapeutique des patients atteints d’insuffisance cardiaque est efficace en termes d’amélioration de la qualité de vie, de réduction des événements et de réduction des coûts. Cependant, on peut estimer qu’actuellement moins de 5 % des patients peuvent bénéficier d’une telle prise en charge. La mise en uvre de l’ETP fait pourtant partie des thérapeutiques hautement recommandées (grade IA) par la Société européenne de cardiologie. Ne pas proposer d’ETP au patient insuffisant cardiaque, c’est ne pas lui proposer une prise en charge optimale.
* Unité thérapeutique d’insuffisance cardiaque, CH René Dubos, Pontoise, en collaboration avec Y. Juillière (Service de cardiologie, CHU Nancy-Brabois), A. Boireau (Unité thérapeutique d’insuffisance cardiaque, CH René Dubos, Pontoise), E. Hery (Cardiologue libéral L’isle Adam), M. Desnos (Service de cardiologie, hôpital européen Georges Pompidou, Paris), J. Loiret (Unité thérapeutique d’insuffisance cardiaque, CH René Dubos, Pontoise), F. Funck (Unité thérapeutique d’insuffisance cardiaque, CH René Dubos, Pontoise).
Bibliographie :
– Roccaforte R, et al. Eur J Heart Fail 2005; 7: 1133-1144.
– Jourdain P, et al. Arch Mal Cur 2007 ; 100 :1-7
– Laprerie AL, et al. Ann Cardiol Angeiol 2007 ; 56 :159-162
– Juillière Y, Jet al. Arch Mal Cur 2005; 98:300-7
– Juillière Y, Jourdain P, Roncalli J, Boireau A, Guibert H. Arch Cardiovasc Dis. 2009;102:13-27.
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024
La myologie, vers une nouvelle spécialité transversale ?