LES DIEUX ordonnèrent à Prométhée et à son frère Epiméthée de « distribuer convenablement toutes les qualités » entre les hommes et les animaux. Mais Epiméthée (« celui qui réfléchit après coup… ») les dépensa toutes en faveur des animaux. Prométhée (« le prévoyant ») est ainsi obligé de faire présent à l’homme du feu de l’Olympe, de la métallurgie d’Héphaïstos et « des arts utiles à la vie »… En 1987, la même idée de suppléance des fonctions humaines par la technologie aboutira à la transformation de l’officier de police Alex Murphy en Robocop, qui fonctionne 24 heures sur 24, sans manger ni dormir.
Dialyse : l’exemple fondateur.
Dans la réalité, c’est le remplacement de la fonction rénale par l’hémodialyse qui a permis de démontrer que des fonctions vitales assurées par un organe complexe peuvent être assurées par une machine (1).
Née en 1861, la dialyse a été rendue plus sûre en 1966, grâce à la mise au point de la fistule artério-veineuse interne. À Paris, Jean Hamburger sera l’un des pionniers par ses travaux sur le premier rein artificiel français. Des centres ayant ouvert dans plusieurs villes de France dans les années 1970, la dialyse est devenue plus accessible. Informatisation des machines et mise à disposition de l’érythropoïétine s’ajoutent à la liste des progrès les plus significatifs. Les perspectives actuelles permettent d’espérer des dispositifs portables et implantables…
Pancréas, bras, cornée, rétine, trachée : des étapes significatives.
La mesure du glucose en continu permet d’envisager une insulinothérapie en boucle fermée, déjà réalisable, mais qui n’en est encore qu’au stade expérimental. L’insulinothérapie automatiquement glucorégulée, née il y a près de 30 ans, n’est pas encore un moyen thérapeutique généralisé mais entrera dans la vie quotidienne par étapes…
Dans le domaine locomoteur, la commande d’un bras robotisé par des électrodes implantées dans le cerveau n’est qu’expérimentale. En revanche, la réinnervation musculaire ciblée fait partie des techniques privilégiées par Todd Kuiken (Chicago) depuis 2002. Elle consiste à dévier les lambeaux des nerfs radial, ulnaire et médian du bras amputé vers un autre muscle comme le pectoral et à y implanter des électrodes. Le signal qu’elles captent est utilisé pour commander les moteurs électriques d’un bras artificiel. En 2010, l’utilisation de l’intelligence artificielle a permis la réalisation de gestes complexes. L’étape suivante consiste à obtenir un retour d’information proprioceptive pour corriger les mouvements.
La cornée artificielle fait également l’objet de recherches poussées, en particulier aux États-Unis. En France, c’est dans le service d’ophtalmologie du CHU de La Timone (Marseille) que la première a eu lieu en 2009. Depuis une dizaine d’années, il en va de même du projet de rétine artificielle (3), développé notamment à l’Institut de la Vision, au cœur de l’hôpital des Quinze-Vingts (Paris). Il s’agit d’une puce informatique dotée de microélectrodes placée directement sur la rétine. Les informations visuelles, enregistrées par une caméra située sur les lunettes du patient, sont transformées en signaux électriques et transmis à l’implant. Les microélectrodes stimulent les neurones encore vivants de la rétine.
Une trachée artificielle a enfin été implantée chez plusieurs patients par P. Dartevelle (centre Marie-Lannelongue) et F. Kolb (Institut Gustave-Roussy). La trachée est composée de peau du patient consolidée par des fragments de cartilage prélevés sur ses côtes.
Cœur artificiel : du rêve à la réalité.
Comme le rappelle le Pr I. Gandjbakhch (Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, Paris), les Pr Domingo Liotta et Denton Cooley avait tenté en 1969 une première implantation de cœur artificiel total à l’hôpital St Luke (Houston, Texas). Malgré le décès du patient 32 heures plus tard, l’idée de l’assistance circulatoire « en pont » à la transplantation était née. L’expérience dans le Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière commence par l’histoire d’une fillette d’une dizaine d’années qui, en 1980-1981 (un an avant le cas Barney Clarck), est dans une situation désespérée, en attente de greffon cardiaque. Le Pr Liotta, au cours d’une visite, avait laissé un modèle de son cœur et l’équipe décida de tenter l’implantation, en désespoir de cause. Malgré le décès de cette fillette, son histoire n’a jamais été oubliée par l’équipe chirurgicale… Cinq ans plus tard, J. G. Copeland et coll. rapporteront le premier succès du cœur artificiel total, un Jarvik 7, chez un homme de 25 ans atteint de cardiomyopathie virale. Les « machines d’assistance lourde » sont ainsi devenues utilisables en routine en attente de transplantation, leur emploi définitif étant abandonné en raison des « ennuis trop nombreux » qu’ils provoquent.
Une assistance transitoire légère (et non une suppléance), est par ailleurs régulièrement utilisée pour une période de 8 à 15 jours, par exemple dans les cas de myocardite du post-partum. Plus de 200 implantations ont ainsi été réalisées à la Pitié-Salpêtrière en 2010 pour des maladies diverses (hyperthyroïdie, myocardite virale voire tentative de suicide avec des produits cardiotoxiques).
Références
(1) Jacobs C. Renal replacement therapy by hemodialysis: an overview. Nephrol Ther 2009 ; 5 (4) : 306-12.
(2) Schultz AE, Kuiken TA. Neural interfaces for control of upper limb prostheses: the state of the art and future possibilities. PMR 2011 ; 3 (1) : 55-67.
(3) Matthaei M, et coll. Progress in the development of vision prostheses. Ophthalmologica 2011 ; 225 (4) : 187-92.
Article publié dans le numéro 40 ans du « Quotidien du Médecin ». Cet été, revivez 40 ans d’évolution de la médecine au quotidien, à travers 40 thèmes, de A à Z.
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024
La myologie, vers une nouvelle spécialité transversale ?