Le risque d’insuffisance rénale dans les jours qui suivent une chirurgie cardiaque avec circulation extracorporelle serait diminué avec un dispositif particulier d’épuration sanguine, selon une étude randomisée contre placebo espagnole publiée dans le Jama. Une amélioration à relativiser selon l’expert contacté par le Quotidien.
L’insuffisance rénale après chirurgie cardiaque avec circulation extracorporelle prolongée concernerait entre 10 et 40 % des patients opérés. Dans la plupart des cas, le patient finit par se normaliser ; mais des études suggèrent que 11 % des patients qui souffrent d’insuffisance rénale postopératoire vont évoluer vers une maladie rénale, dont 6 % vers une maladie chronique à un an.
La circulation extracorporelle potentiellement délétère pour le rein
La circulation extracorporelle (CEC), à flux continu, n'a pas la pulsatilité physiologique de la circulation cardiaque et son utilisation prolongée pendant plusieurs heures est délétère pour le rein. Les causes en sont multiples : instabilité hémodynamique, vasoplégie, activation du complément par exposition à la pompe extracorporelle hémolyse, et inflammation systémique. De plus, le rétablissement de la circulation sanguine physiologique peut provoquer des lésions d’ischémie-reperfusion. « Chez les patients hypertendus, le fait que le rein ne soit pas exposé à la tension habituelle peut aussi causer des dommages », ajoute le Pr Julien Guihaire, chef du service de chirurgie cardiaque et de transplantation à l’hôpital Marie-Lannelongue (Groupe hospitalier Paris Saint-Joseph), et responsable du comité scientifique de la Société française de chirurgie thoracique et cardiovasculaire.
Dans ce travail, les médecins de l'hôpital Llobregat de Barcelone et de la faculté de médecine du campus de Bellvitge ont réalisé une étude randomisée comparant l’utilisation d’une membrane d’épuration sanguine connectée à la CEC contre placebo avec 343 patients majeurs recrutés entre juin 2016 et novembre 2021. Les deux hôpitaux participant à l'étude sont des centres experts avec une file active de plus de 1 000 patients par an chacun en chirurgie cardiaque.
Au sein du groupe avec épuration sanguine, 28,4 % des patients ont présenté une insuffisance rénale au cours des 7 jours qui ont suivi l'opération, contre 39,7 % dans le groupe sous traitement standard. La majorité de ces événements étaient diagnostiqués au cours des 48 heures postopératoires. Les insuffisances rénales « sont transitoires et se résolvent généralement toutes seules en 48 heures sans impact majeur sur la durée d'hospitalisation », explique le Pr Julien Guihaire. D’ailleurs, les médecins espagnols n'ont pas constaté de différence significative de durée d'hospitalisation entre les deux groupes de l'étude. « Le critère véritablement important, c'est de savoir si cette technique réduit le risque de voir des patients basculer vers la dialyse, complète le Pr Guihaire. Mais pour répondre à cette question, il faudrait beaucoup plus de patients et recentrer les travaux sur les malades à haut risque. »
La durée d'opération, un facteur majeur
La filtration sanguine extracorporelle a réduit aussi significativement le risque d'insuffisance rénale chez les patients atteints de maladie rénale chronique, les patients diabétiques, les hypertendus, ceux ayant une fraction d'éjection réduite à moins de 40 % et les patients ayant un indice de masse corporelle de moins de 30. Il n'y avait en outre pas de différence significative en termes d'effets secondaires.
« Le risque d’insuffisance rénale n'est pas un risque majeur mais concerne un nombre limité de patients bien définis : ceux qui ont une insuffisance rénale préopératoire, les diabétiques et surtout ceux devant subir une opération complexe et longue », liste le Pr Guihaire. Dans leur étude, les médecins ont sélectionné des malades dont les interventions combinaient plusieurs gestes chirurgicaux - pontage coronarien et remplacement de valve par exemple – soit une mise sous circulation extracorporelle de plus de 90 minutes. Dans les faits 45 des 343 patients de l'étude ont eu vu leur intervention durer moins de 90 minutes.
De nombreuses données manquent aussi pour véritablement conclure à un intérêt de cette technique d’épuration sanguine : « Comment a été gérée l’hémodynamique ? Les patients étaient-ils hypotendus ? Quel était le débit de la circulation extracorporelle ? A-t-on fait du remplissage ou prescrit des vasopresseurs ? Quel était le taux d'hémoglobine préopératoire ? Et il y a probablement dû y avoir des dialyses chez certains membres du groupe contrôle », avance le Pr Guihaire.
Le défaut de la filtration non sélective
Ces résultats difficilement interprétables enterrent-ils le concept de filtration sanguine pendant une opération de chirurgie cardiaque lourde ? Non, répond le Pr Guihaire, mais ils confirment que les technologies actuelles de filtration ne sont pas adéquates. Les chercheurs espagnols ont utilisé des filtres captant les cytokines de manière non discriminée, uniquement sur la base du poids moléculaire. Or, certaines ont des propriétés anti-inflammatoires bénéfiques pour l'état général du patient, et notamment la fonction rénale. « Le concept en lui-même a une pertinence clinique, mais il faudrait des membranes d'épuration sélective, ne serait-ce que pour s'assurer qu'il ne capte pas les drogues anesthésiques », estime le Pr Guihaire.
Le chirurgien français évoque aussi l'application du concept de filtration à d'autres cas de figure : « Nous avons, par exemple, récemment pris en charge un cas de dissection aortique chez une femme de 34 ans, raconte-t-il. Les pompiers ont cru à un infarctus du myocarde et lui avaient administré des antiagrégants plaquettaires, ce qui a considérablement compliqué notre opération. Dans ce cas, un système de filtration spécifique de l'antiagrégant aurait été utile pendant l'opération. »
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