PAR LE Dr JEAN-JACQUES SARAGOUSSI*
L’APPELLATION GÉNÉRIQUE « chirurgie de la presbytie », sans être inappropriée, est extrêmement simplificatrice, au risque d’être trompeuse. Pourquoi ? Tout d’abord, elle regroupe un ensemble disparate de techniques et d’indications différentes pouvant se recouper. Ensuite, la chirurgie réfractive ne peut prétendre « corriger » la presbytie tant qu’elle ne peut pas restaurer la fonction d’accommodation. La « compensation » que peut actuellement apporter la chirurgie fait appel à un artifice, la création de profondeur de champ. Différents concepts réfractifs peuvent s’appliquer, de façon parfois complémentaire, bifocalité bi oculaire alternée (monovision) ou binoculaire simultanée, multifocalité progressive.
La diversité des situations cliniques rencontrées, ainsi que des possibilités techniques, implique un conseil à la fois personnalisé et expert.
Satisfaire un presbyte opéré exige d’avoir défini au préalable un objectif de correction pour la vision de loin et la vision de près. Il a été accepté à l’avance par le candidat à la chirurgie, avec ses limites éventuelles d’efficacité dans le temps et de précision, à la suite d’une information la plus claire possible (ce qui n’est pas si simple…). Cet objectif sera toujours un compromis. Le chirurgien assume la responsabilité de l’expliquer et de le faire accepter lors de la consultation préopératoire, puis de l’atteindre par le choix de la technique qu’il juge la plus appropriée.
On ne peut conseiller la chirurgie à tous les candidats. Avant toute autre considération, les exigeants, rétifs à tous compromis ou aléas, doivent être écartés. Dès lors, la démarche est finalement assez bien systématisée.
Le conseil, sur quels arguments ?
Conseiller le presbyte candidat à la chirurgie implique de connaître tout d’abord son âge. Vient ensuite la nécessité de comprendre, par une écoute vigilante, ses attentes et de connaître son mode de vie en menant un interrogatoire bien orienté sur les activités professionnelles et autres occupations (conduite, loisir, sports…), et d’observer son comportement, ainsi que ses réactions à cette première approche. Suivra ensuite un examen clinique complet, incluant un interrogatoire sur les antécédents médicaux généraux et ophtalmologiques, personnels et familiaux.
Pour simplifier, nous limitons ici notre propos aux individus presbytes sans antécédent, aux attentes raisonnables, dépourvus de toute pathologie oculaire, notamment d’opacification cristallinienne (vision corrigée d’au moins 8/10), âgés de moins de 70 ans.
Chirurgie cornéenne ou cristallinienne, les déterminants
La chirurgie cornéenne respecte l’anatomie intraoculaire. En l’absence de contre-indication liée à la topographie, la pachymétrie ou la kératométrie, elle est l’option de choix pour la monovision. Elle est aussi capable de délivrer une multifocalité contrôlée avec une bonne profondeur de champ. Elle bénéficie de progrès technologiques majeurs. On peut citer les nouvelles fonctions, la précision et la sécurité des lasers Femtoseconde de dernières générations, mais aussi la sophistication des profils de photoablation qui apportent une meilleure maîtrise des modifications induites au niveau des aberrations optiques de haut degré. Cette chirurgie cornéenne gagne encore en efficacité avec les nouveaux protocoles de Presbylasik. Elle élargit ses domaines d’indications avec l’apparition des traitements intracornéens. Les antécédents de chirurgie cornéenne de la presbytie devront être pris en compte à divers niveaux lorsque se posera l’indication secondaire d’une chirurgie de la cataracte. Une profondeur de champ efficace induite par une multifocalité cornéenne stabilisée, sera parfaitement compatible avec un implant pseudophake monofocal (bien calculé !).
L’implant bifocal, en remplacement d’un cristallin clair, représente le seul dispositif définitif de compensation de la presbytie. Les propriétés optiques des implants bifocaux actuels, permettant de préserver une bonne qualité de vision, apportent un argument de justification à cette technique sans pouvoir satisfaire a priori tous les candidats potentiels. Les implants accommodatifs restent d’efficacité limitée ou transitoire. Le défi est de répondre à l’obligation d’emmétropie par la précision du calcul d’implant, et de gérer l’astigmatisme préexistant. Cette chirurgie invasive n’est pas sans retentissement sur la structure et les réactions du corps vitré. En dehors du risque d’endophtalmie devenu très faible, l’dème maculaire cystoïde, par sa fréquence et son impact sur la vision, est la principale complication à redouter,. Les myopes sont généralement exclus de la chirurgie du cristallin clair en raison des risques de décollement de rétine.
Presbytes, amétropes ou emmétropes ?
Il faut différencier dans cette population presbyte candidate à la chirurgie, le cas des amétropes et celui des emmétropes.
Pour les amétropes presbytes, le conseil dépend de la correction à apporter pour la vision de loin. Les paramètres cliniques conditionnant les orientations thérapeutiques sont l’âge, la nature et le degré de sévérité de l’amétropie. La chirurgie cornéenne par photo ablation est d’autant plus privilégiée sur la chirurgie intraoculaire, que l’âge est jeune et que l’amétropie est de sévérité modérée. Les paramètres orientant vers la monovision sont la myopie, l’anisométropie, une accommodation résiduelle utile, l’habitude antérieure d’une correction optique en bascule, et des essais contactologiques concluants. Le principal paramètre orientant vers la multifocalité est l’hypermétropie. L’effet de profondeur de champ induit par une multifocalité cornéenne sera souvent dopé par un effet monovision justement dosé.
Pour les emmétropes et faibles hypermétropes (moins de une dioptrie) presbytes, l’enjeu majeur est de ne pas altérer la vision de loin par un effet myopisant, ou la moindre complication. Les indications sont plus délicates à poser sur des yeux ayant une acuité visuelle sans correction de 10/10. La monovision peut être une solution partielle en cas de réserve accommodative et d’essais contactologiques fructueux. La multifocalité par implant intraoculaire impliquant une obligation renforcée de qualité et de sécurité de résultat, est excessivement exigeante. Non invasive, la technique IntraCor induit une multifocalité cornéenne permettant de compenser deux dioptries d’accommodation. Un léger effet myopisant est possible. Cette technique récente introduit un concept chirurgical révolutionnaire, encore discuté dans son principe d’action. Elle est simple et rapide de réalisation, devant respecter un centrage précis. L’anatomie intraoculaire n’est pas modifiée. Les risques fonctionnels et la stabilité dans le temps sont encore à évaluer. Les patients candidats à cette chirurgie aujourd’hui doivent en être informés spécifiquement.
*Clinique de la Vision (Paris) et service d’ophtalmologie de l’Hôtel-Dieu de Paris
Ruiz LA, Cepeda LM, Fuentes VC. Intrastromal Correction of Presbyopia Using a Femtosecond Laser System. J Refract Surg 2009;25:847-854.
Saragoussi JJ. Chirurgie de la presbytie, principes et indications actuelles. J Fr Ophtalmol 2007;30:552-558.
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024
La myologie, vers une nouvelle spécialité transversale ?