Neurochirurgie

Hémorragie intracérébrale : une évacuation mini-invasive améliore le pronostic

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Publié le 17/05/2024
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Une étude randomisée sur 300 patients ayant une hémorragie intracérébrale montre qu’une chirurgie mini-invasive dans les 24 heures fait mieux que le traitement médical seul sur le pronostic fonctionnel à six mois.

La prise en charge de nouvelles indications en neurochirurgie va se heurter à la réalité des tensions en personnel

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Crédit photo : BURGER / PHANIE

Quelle place donner à la chirurgie dans l’accident vasculaire cérébral hémorragique ? Les bénéfices à évacuer l’hématome ne se limitent pas à la craniotomie de sauvetage pour éviter l’hypertension intracrânienne (HTIC), démontrent des chercheurs américains. Dans l’étude Enrich (pour Early Minimally Invasive Removal of Intracerebral Hemorrhage) menée chez 300 patients ayant une hémorragie cérébrale spontanée, une procédure mini-invasive réalisée dans les 24 heures a amélioré le pronostic fonctionnel à 180 jours. La survie à 30 jours est également plus élevée chez les sujets opérés. Les résultats sont publiés dans The New England Journal of Medicine.

« Ces résultats sont intéressants, estime le Pr Philippe Decq, chef du service de neurochirurgie à l’hôpital Beaujon à Clichy (AP-HP). Cet essai randomisé, difficile à réaliser en chirurgie, apporte la preuve de ce que l’on fait un peu au cas par cas. Cela n’avait jamais été démontré pour les hématomes cérébraux lobaires ». Le terme lobaire se réfère à une lésion localisée superficiellement dans les principaux lobes cérébraux, principalement pariétaux, temporaux ou frontaux.

Étaient éligibles les patients ayant une hémorragie spontanée lobaire ou dans les noyaux gris centraux (NGC) antérieurs, survenue de façon spontanée dans les 24 heures et présentant un volume de 30 à 80 ml. Le critère principal de jugement était le score moyen sur l’échelle modifiée de Rankin (allant de 0 à 1, un score élevé reflétant un meilleur pronostic) évalué à 180 jours. L’inclusion était adaptable selon la localisation de l’hématome au fil de l’essai.

Cela va nous faire aller plus loin dans le mini-invasif

Pr Philippe Decq, neurochirurgie à l’hôpital Beaujon (Clichy)

Des enregistrements audio anonymisés

Parmi les 300 patients recrutés dans 37 centres aux États-Unis (avec 59 neurochirurgiens), 69,3 % avaient une hémorragie lobaire et 30,7 % au niveau des NGC antérieurs, avec 150 patients dans le groupe chirurgie et 150 dans le groupe témoin. Après les 175 premiers patients, seuls ceux ayant une hémorragie lobaire ont été inclus au vu de l’inutilité de l’intervention chez les patients ayant une hémorragie dans les NGC antérieurs. Lors de la prise en charge, les patients avaient développé l’hématome depuis en moyenne 12,8 heures et le délai entre la randomisation et la chirurgie était de 1,5 heure. « Au-delà de 24 heures, l’intérêt potentiel de la chirurgie aurait été annulé par l’œdème cytotoxique et la pénombre », commente le Pr Decq.

Le score moyen sur l’échelle modifié de Rankin à 180 jours était de 0,458 dans le groupe chirurgie et de 0,374 dans le groupe témoin (différence de 0,084). La différence moyenne était de 0,127 parmi les patients ayant une hémorragie lobaire et de -0,013 chez ceux ayant une hémorragie des NGC antérieurs. Le pourcentage de patients décédés à 30 jours (critère premier de sécurité) était de 9,3 % dans le groupe chirurgie et de 18,0 % dans le groupe contrôle. Une récidive de saignement postopératoire avec détérioration neurologique a été observée chez cinq patients (3,3 %) du groupe chirurgie. Au moins un effet indésirable sévère est survenu chez 95 patients (63,3 %) du groupe chirurgie par rapport aux 118 (78,7 %) du groupe contrôle.

« L’effet de la chirurgie apparaît être attribuable à l’intervention pour les hémorragies lobaires », écrivent sobrement les auteurs. Le Dr David Mendelow de l’université de Newcastle (Royaume-Uni) est plus expansif : « Les bénéfices de la chirurgie chez les patients ayant une hémorragie lobaire étaient si grands que l’analyse du critère primaire dans la population totale a montré un bénéfice de l’intervention ».

La méthodologie a été particulièrement réfléchie pour une évaluation la plus en aveugle possible. Les personnels s’occupant des patients étaient au courant du groupe auquel appartenaient les patients compte tenu de l’évidence. Pour respecter l’aveugle, les entretiens d’évaluation ont été enregistrés en audio en gommant tout détail identifiant ou suggérant le groupe assigné. C’est un neuropsychologue indépendant spécialisé qui a revu tous les enregistrements et qui a entré les scores dans le système de données.

Plusieurs études vont dans le même sens, cela nous incite à revoir les pratiques dans une population bien sélectionnée

Pr Philippe Decq

Des résultats transposables aux hématomes traumatiques ?

La technique mini-invasive utilisée (fabricant Nico, Indianapolis) est particulière, avec une craniotomie limitée et du matériel tubulaire. L’entreprise a financé l’essai mais sans intervenir dans le design et sans fournir le dispositif gratuitement ni à prix réduit, les centres s’approvisionnant avec leurs propres ressources, est-il précisé. « Ce dispositif n’est pas disponible en France, indique le neurochirurgien de l’hôpital Beaujon. On peut faire différemment et de façon peu invasive, peut-être avec un abord un peu plus large, mais les résultats restent transposables. Cela va nous faire aller plus loin dans le mini-invasif ».

Dans cette étude, les hématomes étaient survenus spontanément. Qu’en est-il pour les hématomes traumatiques ? « Il n’y a pas de raison pour que ces résultats ne s’appliquent pas au contexte traumatique, estime le Pr Decq. Les investigateurs ont choisi les hématomes spontanés pour la démonstration, car il existe le plus souvent des lésions associées en traumatologie, ce qui est un biais et brouille l’évaluation ».

Dans les anciennes études, la chirurgie n’était pas forcément l’approche la plus pertinente pour les hémorragies quand le pronostic vital n’était pas en jeu. Ces résultats changent les choses. « Plusieurs études vont dans le même sens, cela nous incite à revoir les pratiques dans une population bien sélectionnée, poursuit le neurochirurgien. Il reste que la disponibilité des équipes est un point majeur, compte tenu de la tension dans les services hospitaliers ». Le sujet fera certainement l’actualité dans les années qui viennent. Car comme le souligne l’éditorial associé, de nombreuses autres études sont en cours à l’international dans la chirurgie des hémorragies intracérébrales, dont Eminent-ICH, l’essai néerlandais Dist ou encore Invest, Mind, Evacuateet Switch.

G. Pradilla et al, N Engl J Med, 11 avril 2024 ; 390:1277-89


Source : Le Quotidien du Médecin