EN MATIÈRE de dons d’organes, c’est une des principales dispositions du projet de loi relatif à la bioéthique, voté en première lecture à l’Assemblée nationale. Lors de l’examen du texte, destiné à réviser les lois de bioéthique, les députés ont donné leur feu vert à la pratique des dons croisés d’organes issus de donneurs vivants. Avant d’être autorisée en France, cette pratique devra bien sûr être validée par les sénateurs et aller au bout du processus parlementaire. Mais on peut penser que cela sera le cas car il se dégage un assez large consensus autour de cette mesure, déjà en vigueur dans plusieurs pays européens et qui avait été proposée par l’Agence de la biomédecine dans son rapport de 2008 sur l’application des lois de bioéthique de 2004.
L’objectif, ici, est de permettre un don croisé entre deux couples donneur-receveur lorsque le don n’est pas possible au sein de chaque couple en raison d’une incompatibilité de groupes sanguins ou pour des raisons immunologiques. Le principe est simple : le donneur d’un couple A donne un rein au receveur d’un couple B et vice-versa dès lors qu’il y a compatibilité en croisant les donneurs. Le prélèvement des deux donneurs et les greffes se font de manière simultanée. Le croisement peut aussi être étendu à plus de deux couples.
Ce sont bien sûr les greffes rénales qui seront principalement concernées par cette pratique des dons croisés. « Aujourd’hui, on constate que le nombre de candidats à la greffe augmente alors que nous avons des difficultés pour trouver un nombre suffisant de donneurs. Dans ces conditions, il faut explorer toutes les pistes permettant d’augmenter le nombre de greffons disponibles », souligne Emmanuelle Prada-Bordenave, directrice générale de l’Agence de la biomédecine. « Il nous faut d’abord continuer à nous mobiliser pour augmenter le nombre de prélèvements sur donneurs décédés, poursuit-elle. Cela reste une priorité. Mais il faut aussi s’engager davantage sur les prélèvements à partir de donneurs vivants, qui restent insuffisants en France. C’est dans ce contexte qu’intervient cette réflexion sur la pratique des dons croisés ».
Un donneur spontané sur deux doit être écarté.
Avant de recommander cette mesure, l’Agence a recueilli l’avis des professionnels. « Nous avons demandé aux équipes ce qu’il en était réellement des incompatibilités ABO donneur-receveur. Nous avons eu des remontées qui, même si elles ne sont pas validées scientifiquement, sont intéressantes. Globalement, il ressort qu’environ un donneur sur deux, qui se présente spontanément, doit être écarté car il présente une incompatibilité. Pour nombre de professionnels, il serait judicieux de ne pas disqualifier d’emblée ces donneurs, mais de poursuivre le processus engagé en permettant ce don dans le cadre d’un don croisé. Il faut vraiment insister sur le fait que le don croisé s’inscrit dans la continuité de la pratique du don direct à partir d’un donneur vivant », indique Mme Prada-Bordenave.
La directrice générale de l’Agence de la biomédecine reste prudente sur le nombre de greffes qui, chaque année, pourraient être effectuées à partir d’un don croisé. « Nous avons essayé de faire des projections, mais cela reste encore assez flou car il s’agit de personnes que nous ne connaissons pas, indique-t-elle. On peut quand même dire que, dans la première phase, l’objectif serait de gagner vingt à cinquante greffes par an. Ensuite, au bout d’une phase d’installation de deux à trois ans, on pourrait envisager un rythme de croisière d’une centaine de greffes annuelles ».
Un des obstacles au développement de ces dons croisés pourrait être la lourdeur du fonctionnement hospitalier. « C’est en effet assez contraignant en termes de logistique. Il faut quatre blocs en même temps avec suffisamment d’équipes de chirurgiens et d’anesthésistes. Il faut aussi tenir compte du fait que ce sont les praticiens les plus expérimentés qui doivent faire ces interventions sur les donneurs vivants qui, il faut le rappeler, sont des personnes qui ne sont pas malades », indique Emmanuelle Prada-Bordenave.
Une pratique développée dans plusieurs pays européens.
Autorisée aux États-Unis, en Corée du sud, aux Pays-Bas ou au Japon, cette pratique des dons croisés s’est aussi développée dans plusieurs pays européens. En Allemagne, plusieurs dons croisés ont déjà été réalisés sur la base d’autorisations individuelles. « À l’issue d’un débat sur la légalité de cette pratique dans le cadre de loi en vigueur, la plus haute autorité de justice a statué qu’un tel don croisé était possible s’il existait une communauté affective entre les quatre intéressés », indique une étude d’impact de l’Assemblée nationale. L’Espagne s’est aussi engagée dans la pratique du don issu de donneur vivant et dans cette pratique du don croisé. Il n’a pas été nécessaire de réviser la loi espagnole, celle-ci n’interdisant pas le don croisé. En Italie, un registre national des dons croisés a été mis en place en novembre 2006. « Les participants sont sélectionnés sur la base de critères généraux. Une commission nationale vérifie que les conditions sont remplies et associent les couples bénéficiaires de l’échange d’après un algorithme qui tient notamment compte de l’âge », souligne le rapport de l’Assemblée. Le don croisé a aussi été autorisé au Royaume-Uni en 2004 par le « Human Tissue Act ».
D’après un entretien avec Emmanuelle Prada-Bordenave, directrice générale de l’Agence de la biomédecine.
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