La chirurgie orthopédique franchit la barrière cutanée, et les dispositifs implantables qu’elle utilise régulièrement rendent la prévention du risque infectieux d’autant plus cruciale. En France, plus de 150 000 prothèses totales de hanche (PTH) et 80 000 prothèses totales de genou (PTG) sont posées chaque année. Le taux d’infection du site opératoire (ISO) pour ces interventions varie entre 1 et 2 %, selon la méthode retenue. La Haute Autorité de santé a entrepris un travail visant à mesurer ces taux à travers le PMSI, avec l’objectif d’en faire un indicateur pour l’ensemble des établissements de santé français.
La surveillance et la prévention des ISO ont été mises progressivement en route dans les années 1990, dans le cadre du réseau de surveillance ISO-Raisin. Cela a conduit, en vingt ans, à une réduction de moitié du taux d’ISO après chirurgie… Mais des données plus récentes montrent que cette réduction se ralentit et qu’une remontée des taux d’ISO est même parfois observée.
La survenue d’une ISO, en particulier en chirurgie propre, est souvent perçue par le public et les médias comme évitable, à la différence d’infections associées au soin survenant lors de procédures invasives, par exemple en réanimation.
En chirurgie propre orthopédique programmée, la majorité des micro-organismes responsables d’ISO provient de la peau du patient et de l’environnement périopératoire : staphylocoques à coagulase négative, corynébactéries, staphylocoques dorés. La qualité de la préparation cutanée – dépilation, antisepsie avec ou sans détersion préalable, protection du champ opératoire, choix de l’antiseptique – est donc un élément déterminant de la prévention.
Pas de dépilation si possible
La dépilation au niveau du site de l’incision chirurgicale fait traditionnellement partie de la préparation cutanée des patients. Pour le chirurgien, la présence du poil dans la zone opératoire est souvent perçue comme sale, ou génératrice de contamination par la profondeur des bulbes pileux. Les résidus pileux sont également perçus comme limitant l’accès au site opératoire, gênant la fermeture, susceptibles enfin d’empêcher la bonne adhésion du pansement postopératoire.
Il est pourtant bien montré que la meilleure préparation est l’absence même de dépilation, tant qu’elle ne gêne pas le geste opératoire lui-même. Et, si une dépilation est nécessaire, le rasage mécanique doit être proscrit, au profit de la dépilation chimique ou de la tonte. Le rasoir crée en effet des microabrasions, et on a relevé une réduction de 40 % du risque d’ISO avec des méthodes non traumatiques.
Avec le développement de la chirurgie ambulatoire, il faut aussi demander au patient de ne pas réaliser de dépilation de lui-même au domicile.
Une préparation cutanée à alléger
Il y a encore quelques années, la préparation classique pour un patient avant chirurgie consistait souvent à prendre deux douches antiseptiques, l’une le soir, l’autre le matin de la chirurgie, puis à réaliser une détersion au bloc opératoire avant une double antisepsie cutanée. Cette présentation, certes quelque peu caricaturale, reflète les pratiques encore existantes dans de nombreux services de chirurgie en France.
Ces cinq applications successives d’antiseptiques ne sont certainement pas indispensables. L’objectif d’une douche préopératoire est d’éliminer la flore transitoire, de réduire la flore résidante, mais, quelles qu’en soient les modalités, la démonstration de son effet sur le taux d’ISO n’est pas faite. Toutes les recommandations s’accordent pour indiquer la nécessité d’un patient propre, mais sans que le bénéfice d’une douche avec un savon antiseptique soit démontré comme supérieur à une douche au savon doux. Les Anglo-Saxons préconisent quant à eux d’opérer un patient qui a une peau propre, en réalisant une seule application d’antiseptique alcoolique avant incision.
En France, les recommandations ont évolué en 2013 et en 2016 : au moins une douche préopératoire avec un savon doux, précédant l’antisepsie cutanée en salle opératoire. Cette douche est, au mieux, réalisée au plus près de l’intervention dans le service de chirurgie, mais, en chirurgie ambulatoire, elle est souvent réalisée par le patient le matin à domicile. Les incertitudes sur la réalisation et la qualité de cette douche amènent parfois les équipes de chirurgie à y adjoindre une détersion en salle opératoire avec un savon antiseptique avant l’application de l’antisepsie.
Un débat non tranché sur les antiseptiques
Concernant le choix de l’antiseptique, Il est recommandé en France d’utiliser un antiseptique alcoolique, l’alcool permettant à la fois une activité rapidement bactéricide et un séchage plus rapide qu’avec un antiseptique aqueux. Son intérêt par rapport à un antiseptique en solution aqueuse est démontré, que ce soit pour la réduction du taux d’ISO ou pour celle du taux d’infections liées aux cathéters veineux. Il est nécessaire de respecter le temps de séchage spontané, généralement d’au moins une minute, qui garantit une efficacité optimale de l’antiseptique.
En revanche, le débat se poursuit pour savoir quel antiseptique associer à l’alcool, chlorhexidine ou polyvidone iodée. Si les données sont en faveur de la chlorhexidine pour la prévention des infections de cathéters vasculaires, son bénéfice est beaucoup moins clair en prévention de l’ISO, et, en l’état des connaissances, il n’est pas possible de recommander l’un plutôt que l’autre.
Une question, pour l’instant un peu théorique, concerne le spectre d’activité des antiseptiques, avec un risque d’évolution de la sensibilité des micro-organismes. Le spectre d’activité de la polyvidone iodée est un peu plus large que celui de la chlorhexidine, et des réductions de sensibilité des micro-organismes à la chlorhexidine ont été décrites, notamment lors d’utilisation extensive en toilette quotidienne systématique des patients de réanimation.
Les gènes de résistance à la chlorhexidine peuvent être associés à d’autres gènes de résistance, notamment aux métaux lourds, voire à certains antibiotiques, qui pourraient préfigurer une diminution de sensibilité à cette molécule à long terme. Pour l’instant, cette menace est théorique et ne justifie pas de restreindre l’utilisation de la chlorhexidine, tout au moins dans les indications de préparation cutanée avant geste invasif.
Du côté de la polyvidone iodée, il convient de rappeler que les réactions allergiques sont exceptionnelles et ne sont pas croisées avec les réactions allergiques liées aux produits de la mer et/ou aux produits de contraste iodés.
Des innovations au bénéfice non démontré
Comme dans toute chirurgie, il est bien sûr nécessaire de délimiter la zone opératoire par des champs stériles. Il existe aussi des champs adhésifs en plastique à inciser, qui sont censés prévenir la migration des micro-organismes présents sur la peau vers le site opératoire. Les méta-analyses montrent que leur utilisation, quand ils ne sont pas imprégnés d’antiseptique, augmente le risque d’ISO, et qu’elle ne le réduit pas lorsqu’ils sont imprégnés d’antiseptique.
Quant aux pellicules bactério-isolantes, composées de colle en cyanoacrylate appliquée juste avant l’incision, et autres produits, s’ils peuvent rassurer l’équipe chirurgicale, la littérature n’a pour le moment pas montré de bénéfice à les utiliser pour réduire le taux d’ISO.
D’après la conférence d’enseignement du Dr Sarah Jolivet et du Pr Jean-Christophe Lucet, hôpital Bichat - Claude-Bernard (Paris) Société française d’hygiène hospitalière. « Antisepsie de la peau saine avant un geste invasif chez l’adulte : Recommandations pour la pratique clinique », Hygiènes, vol. 24, no 2, mai 2016. En ligne : https://sf2h.net/publications/antisepsie-de-peau-saine-geste-invasif-ch… Société Française d’hygiène hospitalière. Gestion préopératoire du risque infectieux : Mise à jour de la conférence de consensus, Hygiènes, vol. 21, no 4, octobre 2013. En ligne : https://sf2h.net/publications/gestion-preoperatoire-risque-infectieux-m… World Health Organization. Global Guidelines for the Prevention of Surgical Site Infection, WHO, 2016. En ligne : www.who.int/gpsc/ssi-prevention-guidelines/en/
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