LE QUOTIDIEN – Est-ce la récente proposition de loi de Damien Meslot d’autoriser des banques autologues qui vous pousse, avec la Société française de greffe de moelle et de thérapie cellulaire ainsi que le Collège national des gynécologues et obstétriciens français, à faire une clarification sur le sang de cordon ?
EMMANUELLE PRADA-BORDENAVE – Il y a cet élément conjoncturel dans le débat mais ce n’est pas tout. Notre préoccupation est que nous avons eu beaucoup d’échos, depuis plusieurs semaines déjà, de personnes, des professionnels pour l’essentiel, qui nous montrent qu’il existe une incompréhension et une confusion. Les messages qui sont diffusés par certaines sociétés commerciales entraînent le trouble dans les esprits sur un sujet extrêmement délicat d’hématologie. On a déjà fait une information ciblée des professionnels via le collège des obstétriciens mais on s’est aperçu qu’il y avait sans doute une demande plus large des soignants et de la population en général. Ce qui nous frappe, à l’Agence de biomédecine, c’est que les aspects de sécurité sanitaire, de fragilité des malades et d’extrême technicité sont traités avec beaucoup de désinvolture par ceux qui proposent aux parents de conserver le sang de leur enfant « au cas où » et « si les progrès de la science sont au rendez-vous ». Il y a un décalage complet entre le discours qu’ils tiennent et ce que l’on vit dans les hôpitaux par rapport aux activités de greffe.
Quelles sont les informations clés à connaître ?
Un point positif et un négatif. Le positif, c’est que les cellules souches hématopoïétiques (CSH) se trouvent dans la moelle osseuse et, en volume relativement significatif, dans le sang placentaire. Avec ces CSH, on peut soigner des maladies très graves du sang. En 2008, sur 1 444 greffes de CSH, 246 malades ont reçu une greffe de sang de cordon. L’aspect négatif, c’est que, en aucun cas, ces cellules précurseurs du sang ne peuvent aujourd’hui soigner une maladie dont serait atteint, maintenant ou demain, l’enfant qui vient de naître. En l’état des connaissances scientifiques, il est avéré que pour les maladies hématologiques, ça n’est pas une bonne chose. Nous savons que la cellule hématopoïétique par exemple d’un frère jumeau identique ne soigne pas bien la personne atteinte d’une leucémie. Pour que ces greffes marchent, il faut une différence. Il y a eu des travaux de recherche important sur la leucémie qui montrent que souvent, lorsqu’un enfant déclenche une leucémie, les cellules leucémiques étaient déjà présentes au moment de sa naissance et que, à tout le moins, la faiblesse qui a permis le développement de cette leucémie était présente. Donc d’une manière générale, pour le don de CSH venant de la moelle osseuse, on sait qu’il ne faut pas prendre un donneur identique. Aujourd’hui, on sait qu’on ne soignera pas un enfant avec son propre sang. Dans cette histoire, deux choses m’irritent. La première est que les sociétés commerciales qui ont développé cette activité prélèvent 2 000 euros pour du rêve. La seconde concerne l’aspect sécurité sanitaire. Si on veut soigner des maladies aussi graves que celles dont on parle, on ne peut les soigner que dans des conditions de sécurité sanitaire parfaite.
Aujourd’hui, la priorité est-elle de développer la collecte de sang placentaire ou d’accroître le nombre de banques ?
Il faut d’abord savoir que 450 000 greffons sont conservés dans les banques à travers le monde. La France est le pays d’Europe qui greffe le plus ; c’est donc nous qui « consommons » le plus de greffons. Et ces greffons, nous allons les chercher partout sauf pour certaines minorités qui viennent, par exemple, d’Afrique subsaharienne ou de certaines zones défavorisées d’Asie. Les banques internationales sont interconnectées et la consultation des registres se fait en temps réel. Toutefois la France se doit de faire un effort pour se mettre à niveau, c’est une obligation morale mais aussi financière parce qu’acheter les greffons à l’étranger coûte très cher (de 10 000 à 35 000 euros parfois). Le gouvernement doit tout mettre en uvre pour cela même si nous ne serons jamais autosuffisants parce que la population française est extrêmement hétérogène du point de vue de l’origine et donc du point de vue du type de cellule. La collecte dans les maternités est un des moyens à mettre en uvre. Le geste est très simple mais la procédure demande une expertise : elle doit être parfaitement maîtrisée et dans des conditions de sécurité sanitaire irréprochables. Nous sommes conscients que les banques ont un problème financier. Nous avons peut-être mis du temps à le diagnostiquer : pendant les 7 ou 8 premières années d’existence, elles doivent faire face à un déficit très important en raison d’un taux de cession des greffons, faible, de 3 % environ, même si nous avons le taux le plus élevé au monde car nos greffons sont de bonne qualité. À chaque fois qu’un banquier stocke un greffon, cela lui coûte environ 2 000 euros. Le gouvernement a donc décidé d’augmenter considérablement les moyens des banques. Le budget du plan Cancer et celui de l’Agence de la biomédecine ont été dotés en conséquence. Ce financement va permettre d’équilibrer toute la chaîne, depuis le prélèvement à la maternité jusqu’à la conservation.
Agence-biomedecine.fr
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