Aux États-Unis, en Belgique (depuis 1994), aux Pays-Bas (1981), au Royaume-Uni (1989), en Espagne (2011), le prélèvement d’organes sur des personnes décédées des suites d’un arrêt cardiaque, après limitation ou arrêt des traitements (LAT), - soit la catégorie 3 de la classification de Maastricht* - représente entre 10 % et 51 % des prélèvements.
En France, les premiers prélèvements après LAT devraient avoir lieu ces prochains jours. Depuis 2005 déjà, rien ne les interdit, grâce à l’effet conjugué de deux textes : la loi Leonetti qui autorise l’arrêt des thérapeutiques et le code de la santé publique qui permet, sans restriction, les prélèvements d’organes sur les personnes décédées d’un arrêt cardiaque ou respiratoire.
Mais il a fallu attendre le plan greffe 2012-2016, qui fixe un objectif d’augmentation des greffes de 5 % par an grâce au développement de tout type de prélèvement, et une audition publique de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), pour que la France transforme la possibilité en réalité. Les parlementaires ont en effet demandé au printemps 2013 à l’Agence de la biomédecine (ABM) d’écrire un protocole. « Le groupe de travail qui réunit l’ensemble des sociétés savantes de médecine d’urgence, de réanimation et d’anesthésie, les représentants du comité d’éthique, l’Observatoire de la fin de vie, et la société des coordinations hospitalières, a mis deux ans pour rédiger la procédure puis à la soumettre au conseil médical et scientifique, au conseil d’orientation (éthique) et aux associations de malades », explique au« Quotidien » le Pr Olivier Bastien, directeur du Prélèvement et de la Greffe d’organes et de tissus à l’ABM.
Les enjeux sont délicats : il faut sans ambiguïté écarter l’ombre d’une euthanasie utilitaire, d’une instrumentalisation de la mort.
Étanchéité entre réanimation et prélèvement
Le protocole unique national, qui concerne les prélèvements de reins, de foie et de poumons, se décline sur 150 pages, divisées en deux parties, l’une portant l’éthique, l’autre sur le médico-technique.
« L’étanchéité complète entre l’équipe de réanimation, qui décide et met en œuvre la LAT en accord avec la famille et un intervenant extérieur, et l’équipe de coordination hospitalière de prélèvement, qui gère la procédure du don d’organe, est indispensable », insiste le Pr Bastien. Un délai de quelques heures de réflexion entre la décision de la LAT et celle du prélèvement doit être respecté.
Le protocole indique en outre que la règle du donneur mort doit être respectée ; le processus de prélèvement ne doit pas accélérer le décès. « Toutes les données chronométrées seront recueillies par l’ABM qui sera garante de ces règles éthiques », indique le Pr Bastien.
En terme de sécurité sanitaire, l’ABM s’est voulu draconienne. « On a fixé des limites de temps : on ne veut pas que le greffon ait souffert pendant la phase agonique d’une période d’ischémie importante, donc on l’a limitée à 3 heures. De même, on a limité l’âge du don, après une LAT, à 60 ans, alors que la politique de l’Agence se résume plutôt à "pas de limite d’âge" en cas de mort encéphalique », précise le Pr Bastien.
Autre exigence de l’ABM, le rein doit être posé sur une machine de re-perfusion de façon à tester la viabilité de l’organe pendant quelques heures et lui laisser la possibilité, en se réoxygénant, de récupérer une meilleure fonction.
« Ces machines ont été déployées en France depuis l’an dernier dans la majorité des CHU, mais elles n’existent pas encore pour le foie - elles sont expérimentales, donc on demande aux équipes d’attendre. Pour le poumon, quelques-unes existent dans le cadre de programmes hospitaliers de recherche clinique (PHRC) - comme la machine de Toronto », détaille le Pr Bastien.
Conventions
Les établissements qui souhaitent procéder à ces prélèvements doivent signer avec l’ABM des conventions, prouvant que les moyens techniques et humains nécessaires sont présents. Tous les CHU devraient être équipés de machine de re-perfusion pour le rein d’ici la fin de l’année 2014, mais seulement 4 sont équipés pour le poumon. « On souhaite que l’ensemble de l’établissement soit partenaire, du directeur général aux professionnels impliqués, en passant par la CME », déclare le Pr Bastien.
L’ABM s’attend à inscrire dans ce protocole des donneurs décédés après hémorragie cérébrale massive ou anoxie cérébrale. À l’étranger, ce prélèvement a permis d’augmenter de 10 à 40 % le nombre de greffons disponibles, avec des taux de survie à 1,5 et 10 ans comparables à ceux obtenus avec des donneurs décédés en état de mort encéphalique.
« Volontairement, on ne veut pas se fixer d’objectifs chiffrés, ni bousculer les équipes », assure le Pr Bastien. Mais l’espoir est là. « Avec le protocole français qui impose la machine et met des restrictions d’âge, on aura peut-être des résultats qualitativement meilleurs que certains pays européens ».
*Classification internationale de Maastricht 1995- révisée en 2013 : Catégorie 1 : arrêt cardiaque hors prise en charge médicale ; catégorie 2 : arrêt cardiaque incontrôlé après échec des tentatives de réanimation ; catégorie 3 : arrêt cardiaque consécutif à une décision d’arrêt programmé des traitements en raison de leur pronostic ; catégorie 4 : arrêt cardiaque lié à l’échec du maintien des fonctions vitales sur un défunt en état de mort encéphalique.
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