LE QUOTIDIEN. A combien s’élèvent les effectifs des soldats blessés au combat nécessitant une greffe du visage ?
Pr LAURENT LANTIERI. Les Américains ont actuellement de nombreux blessés de la guerre d’Irak. Les chiffres officiels délivrés par les autorités américaines montrent qu’entre 2001 et 2007, il y a eu 35 000 blessés dont 7 000 Américains au combat ; parmi ces derniers, 2 400 sont blessés au niveau de la face. Entre 150 et 200 blessures sont tellement dévastatrices qu’elles ne sont pas réparables avec les moyens conventionnels et doivent être abordées par des greffes de tissus composites.
Quelles sont ces blessures ?
Ces blessés sont particuliers. Les militaires ont des équipements de protection très efficaces (gilets pare-balles, armure, engin de déplacement), mais la face reste vulnérable car elle n’est pas protégeable par l’armure. Dans les conflits actuels comme en Afghanistan ou en Irak, la face est le site le plus exposé.
Il y a deux types de blessures dans ce cadre : les blessures asymétriques dues aux explosifs artisanaux et les carbonisations de la face, donnant des brûlés au 4e degré.
C’est la première fois que, dans un conflit, on se trouve avec des amputations multiples et des lésions de la face aussi destructrices. Les Américains commencent à mettre en place des programmes de transplantation de tissus composites.
Que pourraient apporter les Français ?
La France a une avance colossale dans ce domaine sur le plan technique. Les équipes françaises ont été les premières à réaliser des greffes du visage et à les reproduire. Sur les 10 greffes de visage au total à ce jour dans le monde, il y en a eu 2 effectuées États-Unis, par deux équipes différentes.
Les Américains ne sont pas prêts techniquement à renouveler. Et puis ils n’ont pas été encore amenés à traiter des « Veterans » (NDLR : Anciens Combattants). C’est un problème de société que l’on a connu en France après la guerre de 14-18. Aux États-Unis, les séquelles du Vietnam ont retenti sur la politique américaine. Le problème se pose de nouveau : ces Veterans changent l’image de leur propre pays.
Les chirurgiens français ont-ils été appelés ?
Il n’y a pas eu d’appel direct à la France. Mes collègues est amis américains sont demandeurs de notre savoir-faire, d’une part, et de nous envoyer des élèves pour les former, d’autre part. Ils souhaiteraient que j’aille aux États-Unis pour coopérer et organiser le traitement des 200 patients. Ce qui correspond à une organisation logistique très importante.
Je suis prêt à coopérer avec les États-Unis, mais je n’ai pas de choix personnel à faire pour un centre ou un autre. Cette coopération doit être organisée au niveau ministériel entre les deux pays.
Êtes-vous prêt à accueillir des internes américains ?
Dans les textes actuels il n’y a pas d’équivalence des diplômes avec les États-Unis. S’ils veulent exercer ou être pris dans les services hospitaliers, ils doivent repasser les examens.
Lorsque les étapes administratives seront franchies, comment la coopération va-t-elle s’organiser ?
Les demandeurs de formation pourront être pris dans nos services au même titre que nos internes. Mais la formation n’est pas uniquement technique. Il faut appréhender toute la logistique qui est lourde : la gestion des listes d’attente, la préparation d’un nouveau greffé ou de quelqu’un qui a déjà été greffé, etc. Tout cela s’intègre dans les activités du service de chirurgie plastique avec la collaboration des autres spécialités impliquées. Ensuite, je pourrai aller voir ces confrères et, avec l’expertise acquise en France, les aider à résoudre leurs problèmes pratiques.
Quels sont ces problèmes spécifiques ?
Ils sont nombreux, comme celui de la répartition et de l’organisation du don d’organes et de greffons. Aux États-Unis c’est anonyme et gratuit, organisé par des sociétés privées à but non lucratif, avec des fonds publics.
Notre expertise tient aussi à notre expérience. Il y a une multitude de détails que nous avons saisis et dont on n’a pas conscience avant de les avoir rencontrés. Par exemple, les aspects techniques des greffes de tissus composites lorsque les paupières sont impliquées ; des aspects spécifiques des problèmes d’infections ; les traitements immunosuppresseurs dans les suites ; la valeur anatomopathologique des coupes réalisées avec les biopsies qui ont fait dans les suites une comparaison des différentes lames.
Ce qui est intéressant c’est un programme de greffe, ce n’est pas juste un exploit.
Des spécialistes français pourraient-ils être débauchés pour aller travailler aux États-Unis ?
Cela peut se produire. Quand les Américains ont vraiment besoin, ils mettent les moyens qu’il faut et ils débauchent. La situation s’est produite pour les greffes des mains. Cela peut se reproduire, pour le profit d’ailleurs de certaines carrières personnelles, mais cela ne sera pas l’unique moyen de transmettre notre savoir.
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