Pour rétablir le flux lymphatique des patients atteints d’un lymphœdème secondaire, l’une des options consiste à reconnecter plusieurs vaisseaux lymphatiques à des petites veines pour drainer le circuit lymphatique. Cette technique, considérée comme complexe au regard de la très petite taille des vaisseaux à suturer, est à réserver aux patients ayant une pathologie relativement récente (moins de 10 ans).
« Ce type d’intervention est très répandue en Asie, où des services peuvent en faire des dizaines par jour, mais en France, peu de centres sont équipés pour la pratiquer », explique au Quotidien le Pr Christian Herlin du département de chirurgie plastique reconstructrice et esthétique au CHU de Montpellier. En Europe, seuls trois centres en Europe disposent d’une forte expertise à Rome, Bruxelles et Barcelone. Le CHU de Montpellier a pour ambition de rejoindre ce trio de tête.
Un lymphœdème chez 25 % des patients après radiothérapie des aires ganglionnaires
La principale indication est le lymphœdème secondaire iatrogène, qui survient chez 7 % des patients après un curetage d’un ganglion sentinelle et chez plus de 25 % des patients après radiothérapie des aires ganglionnaires. « Sans ganglion lymphatique pour jouer le rôle de pompe, le système lymphatique est intact mais ne fonctionne plus », rappelle le Pr Herlin. Les conséquences à long terme sont une baisse de l’immunité cutanée et un gonflement important, accompagné de pertes fonctionnelles et de douleurs. Les cancers les plus pourvoyeurs de lymphœdème sont le cancer du sein, les cancers pelviens et le mélanome.
« Au début, on opérait des vaisseaux qui font entre 2 et 3 mm, poursuit le Pr Herlin. Les méthodes de grossissement optique et les instruments se sont améliorés, et on peut maintenant opérer des vaisseaux de 0,3 à 0,4 mm avec des fils mille fois plus fins qu’un cheveu. Les équipes asiatiques sont parvenues jusqu’à 0,15 mm, mais c’était un plafond de verre en dessous duquel on ne savait pas si l’opération était viable. »
La performance de l’équipe montpelliéraine repousse un peu plus loin les frontières de l’anastomose. Le jeune homme âgé de 19 ans opéré par leurs soins avait été traité par radiothérapie pour un sarcome d’Ewing touchant son omoplate gauche. Après sa rémission, il a développé un lymphœdème douloureux du membre supérieur gauche.
« C’est un peu grâce à la chance qu’on a pu repérer un vaisseau aussi fin : on l’a détecté car il était à côté d’un autre vaisseau de même taille avec qui il formait un signal unique à l’imagerie », se souvient le Pr Herlin. Le vaisseau opéré est si fin qu’il n’existe pas de moyen direct de le mesurer : sa taille a été estimée en comparaison au diamètre d’un fil chirurgical de 0,07 mm.
Une caméra belge en renfort
« Nous pouvions tenter cette technique sur ce patient car il n’y avait pas de risque de conséquences néfaste en cas d’échec », précise le Pr Herlin. L’intervention, menée sous anesthésie générale, a duré une heure et « a été particulièrement pénible », reconnaît dans un sourire le chirurgien. En temps normal, le Pr Herlin utilise un microscope capable d’amplifier 40 fois une image, mais cet appareil s’est montré insuffisant pour visualiser aisément les vaisseaux lymphatiques. Il a donc dû s’appuyer sur une caméra infrarouge plus puissante fournie par le Pr Jean-Paul Belgrado, du centre expert de Bruxelles, avec laquelle une cartographie du système lymphatique a été réalisée. Le fil employé était un fil spécial de 0,01 mm de diamètre fabriqué par une unique entreprise spécialisée au Japon.
L’opération a eu lieu mi-janvier, mais avant de communiquer, les chirurgiens se sont assurés de la perméabilité de l’anastomose et de l’amélioration clinique. Cette dernière a été évaluée à l’aide d’un questionnaire de qualité de vie, de la mesure du périmètre du membre et de la cartographie de la circulation lymphatique par l’imagerie de surface.
Le Pr Herlin espère que cette première mondiale va élargir le champ d’application de l’anastomose et la faire entrer dans la pratique courante de la prise en charge des lymphœdèmes, pour laquelle on lui préfère encore généralement la chirurgie palliative (liposuccion du membre gonflé par exemple). « Si on démontre que l’on peut anastomoser de tout petits vaisseaux, le nombre de vaisseaux éligibles par patient va augmenter, avec à la clé une amélioration plus franche du flux lymphatique », indique-t-il. Un partenariat avec l’équipe chirurgicale de l’Institut du cancer de Montpellier (ICM) est en cours.
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