Ce fut l'une des plus spectaculaires percées scientifiques de cette année : après 10 ans de travaux de recherche l'équipe du centre de neuroprothèse de l'Institut fédéral suisse de technologie a décrit, dans la revue « Nature Medicine » (1), la manière dont ils sont parvenus à faire remarcher trois patients paraplégiques après implantation neurochirurgicale d'un ensemble d'électrodes délivrant un courant électrique.
En 2018, l'équipe de Lausanne coordonnée par la neurochirurgienne Jocelyne Bloch et le neuroscientifique Grégoire Courtine était déjà parvenue à faire remarcher des rats lésés médullaires grâce à un dispositif d’électrostimulation. La même année, des patients avaient été traités mais les progrès étaient limités : ils avaient eu besoin de plusieurs semaines pour refaire quelques pas.
Ici, grâce à une optimisation personnalisée, les trois patients ont été capables de faire 300 pas sur un tapis roulant, avec des supports de poids corporel, dès les 24 premières heures qui suivaient la pose du dispositif. Après trois jours d’entraînement supplémentaires, la démarche était suffisamment assurée pour que les patients soient en mesure de se déplacer sur un sol plat, toujours avec l'assistance d'un support de poids corporel multidirectionnel. Après cinq mois de rééducation, l'un des patients était capable de marcher près d'un kilomètre sans interruption.
Principale limite du système : les patients ne sont en mesure de se déplacer que tant que la stimulation électrique est allumée. Or, il est inconcevable de la maintenir en permanence, ce qui épuiserait l'organisme des patients.
Un traitement de la douleur détourné
À l’origine, la technologie employée chez l'animal par les chirurgiens suisses était destinée au traitement de la douleur. L'équipe de Lausanne s'est inspirée de ce dispositif pour mettre au point un nouveau stimulateur doté d'électrodes disposées de manière à toucher spécifiquement les nerfs impliqués dans la locomotion et les mouvements du tronc. Autre défaut corrigé par le nouvel appareil : « les électrodes sont plus longues et plus grandes que celles utilisées auparavant, ce qui permet d'accéder à plus de muscles », a détaillé la Pr Bloch.
Cette technologie a été couplée à un système d'intelligence artificielle (IA) qui permet d'adapter plus précisément la répartition des électrodes afin qu'elle corresponde à l'anatomie nerveuse du patient, sur la base de données d'imagerie préopératoire et intra-opératoire (scanner et IRM).
De plus, un logiciel a été mis au point pour pouvoir reconfigurer l’électrostimulation. Ainsi, au cours des six mois suivants, les chercheurs ont programmé des profils d'électrostimulation compatibles avec la réappropriation de la nage, des flexions et du pédalage.
Quand ces avancées pourront-elles bénéficier au plus grand nombre ? « Avec un peu de chance, d'ici à quelques années », estime la Pr Bloch. L'expérience de la « topographie neuroanatomique et fonctionnelle » reste à approfondir, tempère le Pr Charles Msika, membre de la Société française de chirurgie orthopédique et traumatologique. Mais « il est légitime de penser (...) qu'il sera possible de maîtriser une neuromodulation autorisant les paraplégiques à des activités jusque-là inimaginables », considère-t-il.
(1) A. Rowald et al, Nat Med, 2022. doi: 10.1038/s41591-021-01663-5
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