Les interventions orthopédiques sont pourvoyeuses de douleurs, en postopératoire (DPO) immédiat mais également à distance, malgré une prise en charge péri-opératoire reposant sur le principe de l’analgésie multimodale. Il existe une corrélation démontrée entre la survenue de DPO immédiates (qui concernent par exemple 40 % des patients après prothèse totale de hanche [PTH]) et le risque de chronicisation. L’incidence des douleurs chroniques se situe aux alentours de 30 % quelles que soient les procédures chirurgicales. Le sexe féminin, la prothèse totale de genou (PTG), les arthrodèses constituent des facteurs de risque indépendants d’en développer. La qualification de la douleur, notamment l’hypersensibilité, est importante.
Face à une douleur inexpliquée après chirurgie programmée, on recherchera des causes intrinsèques – en premier lieu l’infection du site opératoire, mais aussi descellement prothétique, malposition, usure, instabilité de la prothèse, raideur et pathologie fémoropatellaire… – ou extrinsèques : tendinopathies, etc. Il faudra également éliminer les douleurs projetées : pathologie lombaire et radiculalgies, claudication des sténoses artérielles, hernie inguinale, douleur projetée à la hanche au-dessus d’un genou opéré. L’hypersensibilité aux métaux est une cause rare mais à laquelle il faudra penser lorsque les autres auront été éliminées.
Le bilan biologique (NFS, CRP), les radiographies, et la ponction seront souvent nécessaires, complétées le cas échéant par une scintigraphie osseuse aux leucocytes marqués, une biopsie synoviale, un scanner et un IRM avec des mesures de réduction des artefacts métalliques. L’échographie est un examen idéal dans l’analyse des conflits entre les parties molles et le matériel orthopédique du fait de sa grande résolution spatiale et des faibles artefacts métalliques ; c’est aussi le seul permettant une analyse dynamique. Elle permet le diagnostic des douleurs neuropathiques, en recherchant les lésions des nerfs sous-cutanés dans les suites des chirurgies orthopédiques : névromes, le piégeage du nerf dans la cicatrice, ou encore un épaississement focal du nerf.
Les douleurs neuropathiques sont des algies souvent accompagnées de sensations anormales (paresthésies, dysesthésie) non douloureuses mais désagréables (picotements, fourmillements, engourdissement). L’examen clinique doit rechercher des signes neurologiques négatifs évoquant un déficit de la fonction, le plus souvent sensitif. C’est la convergence des éléments de l’interrogatoire et de l’examen clinique qui va permettre d’en faire le diagnostic.
La chirurgie peut également être pourvoyeuse d’autres douleurs telles que le syndrome douloureux régional complexe (SDRC), qui se caractérise par des symptômes moteurs, sensoriels et dysautonomiques. On retrouve une incidence de 2,3 % après chirurgie arthroscopique, 37 % après fracture de l’extrémité inférieure du radius et 14 % après chirurgie prothétique du genou. La prise en charge doit être précoce et multidisciplinaire pour limiter la chronicisation, les plaintes algiques, les dysfonctions motrices et restreindre les répercussions sociales et professionnelles.
La prévention avant tout
Le chirurgien a un rôle important dans la prévention de la DPO : il doit choisir au mieux les éléments du geste opératoire et péri-opératoire, et identifier les patients à risque important de douleurs chroniques post-chirurgicales (DCPC) afin de les adresser au médecin de la douleur qui mettra en place les mesures nécessaires.
De même, l’anesthésiste identifiera les patients à risque de survenue DPO, pour leur délivrer un traitement antalgique précoce, suffisamment prolongé et multimodal. Les médicaments antalgiques pris au long cours, tels les morphiniques, favorisent la survenue d’hyperalgésie postopératoire, de même que leur consommation peropératoire. Le faible niveau socio-économique et l’obésité sont des facteurs aggravants. La persistance de d’une anxiété postopératoire, déjà présente en préopératoire doit être recherchée et considérée comme un signe d’alarme.
Les approches non médicamenteuses ne doivent pas être négligées. L’activité physique et la renutrition, outre leur intérêt dans la réduction de la morbimortalité et dans la récupération améliorée après chirurgie (Raac), permettent de réduire certains aspects de la douleur. Les techniques anesthésiques influencent peu le risque de survenue de douleurs chroniques.
La prise en charge d’un patient douloureux chronique – souvent sous opioïdes, gabapentinoïdes et antidépresseurs en préopératoire – nécessite l’utilisation de produits visant à minimiser la douleur et l’hyperalgésie postopératoires : la kétamine permet de limiter la sensibilisation du système nerveux, in vitro et in vivo ; les gabapentinoïdes (gabapentine et prégabaline) sont utilisés comme analgésiques en cas de douleur neuropathique installée ; l’intérêt des anesthésiques locaux (cathéter périnerveux) est confirmé en cas de risque de DPO modérée à sévère, en particulier dans la chirurgie prothétique de l’épaule (interscalénique) et du genou (fémoral) ; les alpha-2 agonistes (clonidine et dexmédétomidine) ont une action antalgique certaine. Les corticoïdes luttent contre l’inflammation associée à une lésion tissulaire, qui peut mener à une sensibilisation périphérique et centrale.
Les associations médicamenteuses ont pour but de réduire les effets indésirables de chacun des médicaments en réduisant les doses et de diminuer le risque de développement ou d’aggravation d’une hyperalgésie dose-dépendante liée à l’utilisation de morphine. Dans la période postopératoire initiale, il est toutefois fréquent, en l’absence de contre-indication, et en fonction de l’intensité douloureuse attendue, d’associer paracétamol, anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), nefopam, et opioïdes faibles ou forts.
Le défi du traitement
Quand malgré tout la DCPC est installée, la prise en charge se doit d’être multidisciplinaire, par des moyens médicamenteux, par la physiothérapie, associée à une prise en charge psychologique et sociale.
La physiothérapie est fondamentale quand elle arrive à mobiliser le patient (disparition de la kinésiophobie) avec une mise en route de tous les mécanismes de contrôle de cette mobilité, en particulier ostéo-articulaire. Toutes les procédures d’analgésie vont avoir comme objectif de pouvoir amener ou ramener le patient à la physiothérapie avec, malgré tout, un réapprentissage de la douleur à l’effort. Ces stimulations ont pour but de permettre la réorganisation corticale, assurant ainsi une guérison pérenne.
Comme dans la rééducation en général, l’administration d’une anesthésie locorégionale (ALR) prolongée se révèle très souvent bénéfique.
Le traitement pharmacologique visera à atteindre la douleur à différents niveaux des voies de signalisation, en se fondant sur les mécanismes physiopathologiques. La prise en charge des douleurs neuropathiques postopératoires repose sur différentes classes thérapeutiques : les antidépresseurs tricycliques ou mixtes, les antiépileptiques gabaergiques, de topiques d’anesthésiques locaux, les patchs de capsaïcine et des morphiniques. L’efficacité analgésique de ces molécules reste modérée.
La prise en charge des douleurs, précoces et tardives, peut bénéficier des médecines dites « douces » que sont l’hypnose, le yoga, le shiatsu, le Tai-Chi, etc. Ces traitements peuvent être proposés en complément de la prise en charge thérapeutique standard, durant les périodes de pré-, per- et/ou postopératoires.
Le recours à la stimulation électrique au niveau des points d’acupuncture, la musique, des techniques de relaxation type yoga ont été proposées ainsi que des techniques de massage afin d’améliorer la qualité du sommeil et le bien-être des patients. Toutes ces techniques nécessitent des études supplémentaires pour préciser leur indication. Seules ou en complément du traitement pharmacologique, elles doivent être connues et intégrées dans la démarche thérapeutique globale.
D’après la Conférence d’Enseignement SoFCOT 2019 du Pr David Biau (chirurgie orthopédique, hôpital Cochin, Paris) et des Drs Anissa Belbachir (anesthésie réanimation, hôpital Cochin, Paris) et Régis Fuzier (anesthésie, Institut Claudius Regaud, Institut universitaire du cancer Toulouse-Oncopole)
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