SIX CENTS Français, nous sommes 600, peut être 650. C’est un gigantesque camping installé dans les jardins de la maison de l’ambassadeur de France à Haïti. Les tentes s’éparpillent au milieu des bougainvilliers, un peu les unes sur les autres. Les logos fleurissent. Toutes les tentes sont marquées aux couleurs de leurs occupants : Sécurité civile, tous les SAMU de France et d’ailleurs, pompiers d’un peu partout, Gendarmerie nationale – armée et en gilets pare-balles, qui sécurise le site, logée à la même enseigne – et organisations non gouvernementales françaises et étrangères. Tentes éparpillées, lits de camps et moustiquaires, dans le ronron du groupe électrogène. Et au milieu ... la résidence de l’ambassadeur, superbe maison de style colonial réduite à l’état de gâteau penché, entourée de tas de gravats. Son parc magnifique sert de campement à toute cette force humanitaire à l’uvre dans Port-au-Prince.
Une force humanitaire à l’uvre.
Tous travaillent en divers lieux de la ville, organisant les campements de réfugiés, le tri des blessés, l’accueil des familles, le soutien psychologique après la catastrophe... Tous les matins, ils se dirigent en colonnes, en tenue de bloc, en civil ou en uniformes, vers le point d’embarquement des navettes, bus, et quelquefois camions bennes qui les emportent vers leurs lieux d’affectation, sous escorte des gendarmes en armes : les différents hôpitaux de la ville, ceux qui fonctionnent encore.
À l’hôpital adventiste de Diquini, le chaos a été savamment organisé. Les pompiers et la sécurité civile française ont fait un travail extraordinaire : à l’entrée, un poste « Tri des blessés » sous tente qui accueille les files de patients venant de l’extérieur ; un poste « Pré-op », amas de tentes de toutes sortes au milieu duquel trône une tente gonflable ornée d’un drapeau canadien, don d’une organisation caritative – on y couche, par terre, sur des matelas de fortune, les patients qui ont des indications chirurgicales en attente ; un poste « Post-op », tentes posées dans tous les sens, abritant les malades opérés, étendus sur des toiles à même le sol, jeunes amputés, enfants blessés, patients de tous âges aux plaies emballées. Un poste est réservé aux pansements quotidiens, faits « à sec » ou sous anesthésie à la Kétamine. Le bloc opératoire tenu par une équipe américaine, tourne encore à plein près de deux semaines après la catastrophe. Les urgences sont quotidiennes, surtout des fractures ouvertes et des amputations, mais de plus en plus des reprises d’interventions réalisées dans l’urgence extrême.
L’hôpital est clairement adventiste du 7 e jour. Tous les employés le sont, adventistes. Les patients, eux, sont de toutes confessions. Combien sont-ils ? Environ 170 sont hospitalisés, mais avec les familles on peut évaluer à 500 ou plus le nombre de personnes présentes. Toute la journée, un haut-parleur diffuse de la musique et des cantiques adventistes. Des orateurs, religieux ou non, font des sermons en créole ou en français et appellent à la prière pour les disparus et les opérés. Les gospels locaux ont des accents de zouk, on les mélange de musique liturgique et de sermons interminables.
« La guillotine ».
Combien d’amputés ? Beaucoup. Des enfants munis de cannes béquilles fournies par containers entiers par Handicap International. Les organisations humanitaires qui font de l’appareillage n’appareillent les moignons que lorsqu’ils sont cicatrisés. Elles fournissent les cannes-béquilles en bois local et prennent les numéros de téléphone portable (ici, tout le monde a un portable) en prévision du démarrage du programme.
Je suis surpris, en faisant le tour des pansements, de constater leur qualité et leur bonne tenue. Certains s’étonnent et sont choqués de la technique utilisée en urgence par les médecins américains, la « guillotine » : couper court d’un seul trait, laisser ouvert. Face aux broiements de membres souillés, c’est pourtant la meilleure technique, celle qui évite ou traite la gangrène, et qui est recommandée par les chirurgiens de la Croix-Rouge depuis 60 ans. On ne ferme le moignon qu’au 8 e jour, si tout va bien. Curieusement, ces moignons ont spontanément tendance à se refermer lorsqu’ils sont propres.
A-t-on amputé sans réfléchir ? Ce qui est sûr, c’est que les Haïtiens sont traumatisés et que, près de deux semaines après le séisme, ils hésitent à se faire opérer par un chirurgien américain. Ceux-ci ont durablement gagné la réputation d’être des amputeurs.
Peu de malades sont morts des suites de gangrène, ce qui est déjà en soi un succès. La gangrène tue en quelques heures. Les germes dits telluriques, essentiellement des germes anaérobies de type clostridium sont d’une résistance extraordinaire, vivent sans oxygène, infectent les tissus morts et contus, nécrosent les tissus vivants et les vaisseaux, se répandent dans la circulation ou y injectent leurs toxines. Les antibiotiques sont inefficaces car ils ne parviennent pas aux plaies lorsque les vaisseaux sont thrombosés. Il vaut mieux couper, et vite.
Doug Fartas est manager d’une des organisations humanitaires présentes sur place. Il est médecin généraliste en Caroline du Nord et également diplômé en santé publique. Il me raconte que le premier médecin arrivé à l’hôpital quelques jours après le séisme était un généraliste qui n’avait pas d’expérience de la chirurgie. La première chose qu’il a faite, en arrivant, a été de couper une jambe toute noire : « Ils lui ont tendu le bistouri et lui ont dit qu’il fallait couper. » Pendant trois jours, il a dû couper, couper, couper… des membres nécrosés qui arrivaient par centaines.
Un pompier présent sur le site lui aussi se souvient : « Quand nous sommes arrivés, il n’y avait rien : un hôpital debout, une pelouse vide et 3 000 malades qui arrivaient avec des jambes toutes noires. Alors, il a fallu s’organiser, trouver des tentes, faire un circuit de triage et de pré/post op, et amener les malades au bloc. L’équipe chirurgicale américaine opérait non-stop, quelquefois jusqu’à 30 amputations par heure. »
A-t-on coupé quelques membres en trop ? Personne ne le sait. Mais il fallait bien faire quelque chose.
Mardi 12 janvier, 16 h 45.
Petit à petit, les nouveaux blessés se sont faits plus rares. C’est le propre des grandes catastrophes, toutes les blessures, toutes les fractures, ont le même âge. Mardi 12 janvier, 16 h 45, si on excepte celles provoquées par les quelques bâtiments tombés lors des répliques sismiques ultérieures, chaque lésion peut être datée précisément. Pourtant, quelques blessés sont arrivés à l’hôpital 15 jours ou trois semaines après, avec des fractures graves du bassin ou des (déjà) cals vicieux presque consolidés des membres. Où étaient-ils pendant tout ce temps ? Aujourd’hui, la gestion des séquelles, nombreuses, amputés, fractures non traitées, membres déformés, paralysies, a pris le pas sur l’urgence vitale. La tâche est immense.
* La mission comportait 13 membres, 2 chirurgiens de l’Assistance publique, dont le Dr Alain Faye, chirurgien viscéral et chef de mission, un chirurgien libéral, spécialiste de la main, le Dr Éric Roulot, un médecin anesthésiste, le Dr Emmanuel Ringot, du CHU de Grenoble, deux médecins urgentistes, 4 infirmiers anesthésistes, un infirmier, une infirmière puéricultrice et un logisticien.
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