À la suite de l’Australie, (+420 %), de la Nouvelle Zélande ou de l’Amérique du Nord, la France connaît une vague de frénotomies buccales chez les nourrissons après leur séjour en maternité. Réalisées classiquement en leur sein pour des difficultés de succion après évaluation clinique et échec des mesures d’aide à l’allaitement, ces pratiques se développent rapidement via des groupes de professionnels soutenus par les réseaux sociaux. Elles peuvent entraîner des conséquences sur la santé du nourrisson et représentent aussi des enjeux financiers.
Depuis une dizaine d’années, l’ankyloglossie a généré de manière exponentielle des publications se disant scientifiques mais peu rigoureuses. Faire le point sur l’état des connaissances est un préalable indispensable.
Des recommandations à suivre
Récemment, trois recommandations nationales et internationales et une revue Cochrane ont conclu au manque d’études scientifiques de qualité permettant de guider clairement les cliniciens. Elles soulignent :
— L’absence de définition anatomique claire et consensuelle des freins de langue et de l’ankyloglossie ;
— La nécessité de clarifier les critères diagnostiques d’un frein de langue restrictif du nourrisson. Celui-ci est en réalité plus fonctionnel qu’anatomique. S’il est parfois reconnu comme l’une des causes de douleurs mamelonnaires et d’arrêt précoce de l’allaitement, il est loin d’en être la cause plus fréquente. Ainsi, la seule visualisation d’un frein de langue très antérieur (avançant vers la pointe de la langue) et/ou épais ne constitue pas une indication chirurgicale s’il ne gêne pas la succion. Des échelles diagnostiques existent, mais n’ont pas fait la preuve de leur efficacité pour en attribuer l’inconfort de l’allaitement et orienter l’indication chirurgicale. De nouveaux outils sont encore nécessaires.
— La nécessité, avant tout acte chirurgical, d’une évaluation clinique détaillée des capacités du nourrisson à téter efficacement et du confort maternel (douleur à la succion), par un professionnel qualifié pour rechercher les autres causes de difficultés d’allaitement, bien plus fréquentes.
— L’absence de consensus d’experts sur l’existence même d’un frein de langue postérieur, et l’absence de preuve d’efficacité d’une frénotomie postérieure. L’entité « frein de langue postérieur » devrait ainsi être abandonnée.
— Un manque de preuves scientifiques concernant : l’utilité de sectionner un frein de lèvre ou autre tissu intrabuccal pour améliorer le transfert de lait et/ou les douleurs mamelonnaires ; la responsabilité de l’ankyloglossie dans des pathologies comme le reflux gastro-œsophagien, les difficultés de langage ou de parole, les apnées du sommeil, la malocclusion dentaire, les coliques, les difficultés orales lors du passage à l’alimentation solide ; le traitement chirurgical, dont l’objectif thérapeutique est de libérer la restriction de la langue et restaurer son amplitude de mouvement permettant un allaitement efficace et indolore. Les études manquent de définitions consensuelles, en particulier anatomiques, l’âge optimal de frénotomie n’est pas défini, de méthodologies rigoureuses, et de suivi à long terme sur l’efficacité et la durée de l’allaitement.
— Des techniques et gestes sans bénéfice accru. Il n’existe pas de preuves montrant la supériorité du laser par rapport aux ciseaux. Et les manipulations ou applications de substances sur ou près de la zone incisée post-chirurgie n’ont pas fait la preuve de leur efficacité.
— Des effets secondaires à ne pas négliger. Les parents doivent être informés du risque d’effets secondaires (hémorragies, lésion collatérale tissulaire, obstruction des voies respiratoires ou nerveuses, sensorielle, refus de tétée, aversion orale, et infectieux), de récidives et de la durée médiane de l’allaitement en post-chirurgie.
Cinq mesures
Sur la base de ces recommandations et publications scientifiques, et face à l’accroissement très important sur tout le territoire de réseaux proposant, à des tarifs excessifs, de traiter par frénotomie buccale les douleurs mamelonnaires et l’arrêt précoce d’allaitement ou, pire, de la pratiquer à titre préventif, nous émettons les plus grandes réserves quant à l’intérêt et l’innocuité de ce geste invasif à risque d’effets secondaires. Pour cela, nous formulons cinq recommandations :
1. En l’absence de difficultés, la présence d’un frein de langue court et/ou épais ne doit pas être une indication chirurgicale. Il s’agit d’un geste agressif et potentiellement dangereux pour des nourrissons.
En présence de difficultés, quelles qu’elles soient, la démarche diagnostique scientifique doit être réalisée par des professionnels de formation universitaire, ou agréée officiellement en allaitement, prenant en compte l’état général global de l’enfant, une évaluation rigoureuse anatomique et surtout fonctionnelle de sa succion/déglutition. La sanction chirurgicale, restant exceptionnelle, devra se prendre en lien avec le médecin traitant.
3. Une frénotomie aux ciseaux peut être indiquée après information aux parents du rapport bénéfice/risque, à condition qu’il existe un frein lingual antérieur court et/ou épais et uniquement après échec des mesures conservatrices non chirurgicales. Ce geste est réalisé avec ou sans anesthésie de contact, et remise au sein immédiate et antalgique. Après la frénotomie, aucun geste intrabuccal n’est nécessaire les jours suivants.
4. Des études méthodologiquement rigoureuses ciblant les indications, l’efficacité et la tolérance de la frénotomie devraient être menées à terme sans délai.
5. Il faut améliorer la préparation à l’allaitement et la formation des professionnels afin de prévenir, et d’accentuer la prise en charge conservatrice et non chirurgicale en cas de difficultés.
Exergue : « La seule visualisation d’un frein de langue très antérieur et/ou épais ne constitue pas une indication chirurgicale »
1. Association des Lactariums de France (ADLF) 2. Association Française d’ORL pédiatrique (AFOP) 3. Association Française de Pédiatrie Ambulatoire (AFPA) 4. Association Information pour l’allaitement (IPA) 5. Centre de référence maladies rares « Sd de Pierre Robin et troubles de succion-déglutition congénitaux » (Spraton) 6. Collège français d’orthophonie 7. Collège national des infirmier.es puéricultrices et puériculteurs (IPDE) 8. Collège national des sages-femmes (CNSF) 9. Conseil national professionnel de pédiatrie 10. Conseil national professionnel de chirurgie maxillo-faciale et de stomatologie 11. Comité de nutrition de la Société française de pédiatrie 12. Coordination française pour l’allaitement maternel 13. DIU Lactation humaine et allaitement maternel (Dulham) 14. DU Allaitement maternel, Marseille 15. Fédération Nationale des orthophonistes 16. Groupe de pédiatrie générale, sociale et environnementale (GPGse) de la SFP 17. Fédération des réseaux de périnatalité française 18. Société française de chirurgie orale 19. Société française de médecine périnatale 20. Société française de néonatalogie 21. Société Française de Pédiatrie (SFP) 22. Société française de stomatologie, chirurgie maxillo-faciale et chirurgie orale
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