CELLULAIRE OU HUMORAL, c’est-à-dire médié par les cellules T ou par les anticorps, le rejet aigu était classifié de façon binaire jusqu’à présent. Une 3e entité vient de faire son entrée dans la greffe rénale avec l’identification du rejet vasculaire médié par les anticorps. Cette étonnante découverte, qui va révolutionner (c’est acté) la classification internationale dite « de Banff » lors du prochain congrès programmé en août 2013 au Brésil, est avant tout une belle histoire de coopération entre les hommes. Mathématiciens, néphrologues, cardiologues, anatomopathologistes, épidémiologistes, et d’autres encore, des équipes françaises d’horizons très différents, sous la coordination du Pr Xavier Jouven du Centre de recherche cardio-vasculaire de Paris (Unité mixte INSERM-Université Paris Descartes), ont mis au point ensemble une approche mathématique inédite en médecine pour appréhender la greffe rénale d’un œil neuf.
Sans l’a priori de l’humain
« Il existe tout un spectre de rejet aigu qui ne répond pas aux thérapeutiques conventionnelles, explique le Dr Alexandre Loupy, néphrologue à l’hôpital Necker (Paris) et l’un des investigateurs principaux avec le Dr Carmen Lefaucheur. Maintenant on sait pourquoi les corticoïdes ne marchent pas dans ces cas difficiles. Si les lésions vasculaires sont décrites depuis longtemps, on en avait attribué la responsabilité entière aux rejets cellulaires. On ne soupçonnait pas le rôle joué par les anticorps. Sans ce logiciel dit " d’analyse non supervisée ", il aurait été très difficile de balayer les idées établies. Plus d’une centaine de paramètres ont été intégrés, à la fois relatifs aux caractéristiques du donneur et du receveur mais aussi du rejet lui-même via l’histologie et l’immunologie. » C’est ainsi qu’à partir des données de 302 patients en rejet de greffe rénale suivis pendant six ans dans 3 centres parisiens (Necker, Saint-Louis, Foch), l’équipe a fait ressortir 4 grands phénotypes cliniques de rejet aigu, dont ce nouveau profil inconnu jusqu’à présent : vasculaire médié par les cellules T, vasculaire médié par les anticorps, médié par les cellules T sans vasculite, médié par les anticorps sans vasculite. « Or, cette classification avait une correspondance clinique, puisque ces 4 grands profils étaient distincts les uns des autres, tant sur le phénotype, le pronostic que le traitement ».
Une classification de Banff erronée
Le rejet vasculaire médié par les anticorps est caractérisé par l’association d’une endartérite et d’anticorps circulants anti-HLA. « Il se trouve que ce type de rejet aigu présente le plus mauvais pronostic, à jeu égal avec le rejet vasculaire médié par les cellules T, souligne le chercheur. Le risque de perte du greffon est ainsi 9 fois plus élevé qu’un rejet non vasculaire médié par les cellules T et presque triplé par rapport à un rejet non vasculaire médié par les anticorps ». Avec la classification actuelle de Banff, près de 45 % des rejets vasculaires seraient mal étiquetés. « Le problème, c’est qu’un diagnostic erroné mène à un traitement inadapté, poursuit le néphrologue. Or, il existe un traitement spécifique pour ce type de rejet, les anticorps anti-HLA. Dans nos trois centres, tous les patients présentant ce type de rejet sont désormais traités de la sorte afin de prolonger au maximum la survie du greffon. Les séances de plasmaphérèse, le rituximab ou les immunoglobulines intraveineuses marchent moins bien. Si le prix de revient reste élevé pour l’instant, la balance coût/bénéfice s’affiche positive, car le retour à la dialyse est l’unique alternative en cas de perte du greffon avec ce que cela implique sur le plan économique et en qualité de vie. »
Ces résultats dépassent largement le champ de la greffe rénale. « Bien sûr, on en attend des applications dans la transplantation d’autres organes, détaille le Pr Loupy. Cette approche va permettre de prendre la mesure de la responsabilité des anticorps dans le rejet. Mais il y a aussi de grandes perspectives pour les maladies cardio-vasculaires. Cette découverte renforce la théorie immunologique dans le développement de l’athérome et de l’athérosclérose. » À côté du tabagisme, de l’HTA, de l’obésité ou encore de la sédentarité, il existerait des facteurs de risque moins conventionnels liés à la présence d’anticorps. « La greffe rénale peut être utilisée comme un modèle humain de l’accélération de la plaque d’athérome. » Une équipe multidisciplinaire a d’ores et déjà choisi d’explorer cette voie de recherche au centre de recherche cardiovasculaire de Paris.
Lancet 2012, publié en ligne le 25 novembre 2012.
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