EN MILIEU PÉDIATRIQUE, la constatation d’une inégalité de longueur des membres inférieurs (ILMI), surtout si elle est peu importante, peut être banale ; en revanche elle est beaucoup plus préoccupante, dans certains cas plus rares, où elle est destinée (après amplification par la croissance naturelle) à devenir plus marquée. Une démarche d’évaluation, tant immédiate que prévisionnelle, c’est-à-dire projetée dans le temps, est donc indispensable.
Les ILMI consistent en une différence des résultats comparatifs de sommation des segments squelettiques de chacun des membres inférieurs. Cette définition exclut les pseudo-inégalités résultant de différences de longueur utile, c’est-à-dire de positionnements adaptatifs ou de variations géométriques spatiales des chaînes ostéo-articulaires constitutives des deux membres inférieurs. Ces désordres producteurs de pseudo-inégalités peuvent être en rapport avec des anomalies articulaires (rétractions, luxation) ou des parties molles (rétractions).
Toutes les chondro-épiphyses du membre inférieur participent à des degrés divers à la croissance en longueur du membre inférieur concerné (fémur proximal + distal, tibia proximal + distal. Cependant, la région la plus contributive à cette prise de longueur est celle du genou (environ les deux-tiers de ce gain longitudinal, proviennent de cette région).
Chez la fille, l’installation des règles clôt cette prise de longueur (environ 13 ans et demi d’âge osseux). Chez le garçon, cet arrêt est plus tardif (vers 15 ans et demi d’âge osseux).
Un bilan diagnostique plus ou moins poussé.
La sévérité de l’inégalité de longueur des membres inférieurs va conditionner l’importance du bilan d’évaluation. Dès le stade de l’analyse, clinique les inégalités importantes se traduisent par des anomalies visibles de la démarche (marche sur la pointe d’un pied, boiterie plongeante, etc.). Une mesure clinique peut être faite en position debout (équilibration du bassin au moyen de cales sous les pieds) ou en position couchée (avec d’un mètre ruban). L’étude analytique des articulations de chaque membre inférieur et du rachis est indissociable de cet examen clinique.
Des mesures plus exactes ne peuvent être obtenues que par imagerie selon diverses modalités :
- radiographie conventionnelle (téléradiographies ou orthoradiographies) ;
- radiographies numérisées ;
- scanner (présentant l’avantage annexe de permettre la détection d’anomalies articulaires) ;
- IRM (intéressante, car peu irradiante en cas de suivi de l’évolution, mais peu utilisée en routine en raison de sa disponibilité limitée).
Les méthodes d’analyse informatisées de la démarche, enfin, apportent un éclairage très utile pour apprécier le retentissement de l’inégalité et aide à distinguer les inégalités structurales des pseudo-inégalités fonctionnelles.
Un potentiel pathologique hautement variable.
Les ILMI (<2 cm), les plus répandues, sont peu significatives d’un point de vue pathologique. Plus importantes, et perpétuées sur de nombreuses années, elles sont susceptibles de retentissements pathologiques (équin fixé d’un pied, scoliose lombaire, etc.).
La prise en charge implique donc une appréciation à long terme des conséquences pathologiques éventuelles de la dissymétrie de longueur observée.
Une identification étiologique a visé pronostique.
Cerner l’étiologie d’une ILMI peut se révéler très utile pour déterminer sa projection pronostique, seule à même de guider les décisions thérapeutiques, au fur et à mesure qu’elles viennent s’imposer en cours de suivi :
Les IMLI acquises englobent plusieurs situations perturbatrices du processus de croissance.
Dans le cas des altérations profondes traumatiques ou infectieuses d’un cartilage de croissance, le pronostic peut être évalué de façon relativement précise du fait de la contribution (relative, en règle connue) à la longueur définitive du membre de ce cartilage défectueux.
Les conséquences des altérations diaphysaires de stimulation (ou de ralentissement) de la croissance (après fracture, chirurgie ou affection tumorale) sont plus difficiles à prévoir, ce d’autant que certaines d’entre elles peuvent, au final, n’être que transitoires.
Les altérations séquellaires de désordres neurologiques imposent d’intégrer dans leurs prévisions (non toujours contrôlables) des défauts dysfonctionnels dont le recensement exhaustif n’est pas évident, car combiné aux perturbations de l’anomalie de longueur.
Les ILMI résiduelles de pathologies régionales englobent la maladie de Legg Perthes Calvé (ostéochondrite disséquante de hanche), l’épiphysiolyse, les kystes osseux essentiels.
Les IMLI congénitales regroupent les syndromes orthopédiques malformatifs des membres
(fémur court congénital et ectromélies longitudinales de l’un des trois types, latéral, médial ou central) ou les hémihypertrophies.
Les maladies osseuses constitutionnelles sont représentées par la neurofibromatose, dysplasie épiphysaire hémimélique, maladie d’Ollier, maladie exostosante et la dysplasie fibreuse.
Certaines ILMI peuvent être consécutives à des malformations vasculaires : hémangiomes, lymphangiomes, fistules artério-veineuse…
Il faut citer, enfin, diverses affections orthopédiques comme entre autres, le pied-bot, la maladie congénitale luxante de hanche ou la pseudarthrose congénitale de hanche.
L’expérience de suivi de la plupart de ces pathologies susceptibles de générer des inégalités de Longueur des Membres Inférieurs a permis d’appréhender des profils, plus ou moins spécifiques pour chacune d’entre elles, de production de ces dissymétries de croissance.
Une prévision indispensable.
Il est nécessaire de disposer d’une prévision la plus précise possible de ce que sera l’inégalité en fin de croissance pour orienter correctement la stratégie thérapeutique au fur et à mesure de la progression.
La prévision impose d’intégrer tous les paramètres éventuels susceptibles d’influencer la longueur finale respective des membres au terme du processus de maturation squelettique : étiologie de l’inégalité de longueur, mesure des longueurs des membres inférieurs au stade de la prise en charge, âge osseux et degré de maturation squelettique radiographique (indice de Risser), taille globale finale prévisible, maturité sexuelle acquise (caractère secondaire, règles…), utilisation d’abaques de croissance des segments osseux individuels du membre inférieur (courbes dites de Green et Anderson). Plusieurs écoles françaises ont affiné ces méthodes graphiques ou arithmétiques de prévision (Carlioz, Héchard, Diméglio…). Plus récemment des logiciels ont permis de faciliter la démarche analytique du clinicien pour établir sa prévision avec encore plus d’exactitude. Cette recherche permanente de précision est particulièrement critique lorsqu’il est envisagé de fixer un calendrier chirurgical de ralentissement de la croissance du côté le plus long (épiphysiodèse ou intervention provisoire ou définitive de blocage de la pousse d’un cartilage de croissance).
Un arsenal très étendu.
Si l’objectif bien compris de correction d’une inégalité de longueur des membres inférieurs est d’aboutir à l’égalisation, cette finalité ne justifie pas l’utilisation de méthodes susceptibles de générer des dommages collatéraux, fonctionnellement plus handicapants que l’inégalité elle-même. À côté des appareillages orthopédiques (semelles, chaussure orthopédique, prothèse externe…), les méthodes chirurgicales bénéficient de plus d’un siècle d’expérience et de mise au point. Ces interventions chirurgicales réalisent, soit des corrections extemporanées (allongement plutôt au fémur qu’au squelette jambier moins tolérant, ou raccourcissement) soit des corrections progressives (par épiphysiodèse ou par allongement progressif). Les techniques d’allongement progressif méritent un aparté tant elles ont suscité une recherche créative sur plus d’un demi-siècle. Dans le principe, elles procèdent toutes sur une base commune de création d’une solution de continuité (fracture ou plutôt ostéotomie) sur le segment osseux visé, suivie d’un gain de longueur au meilleur rythme possible. Ce qui importe surtout est de ne pas perdre de vue est que le segment osseux ainsi traité n’a atteint son objectif que s’il a gagné la longueur souhaitée, s’il a retrouvé une solidité structurale comparable à celle qu’il possédait auparavant et si les articulations sus et sous-jacentes ont récupéré des fonctions similaires à celles qui prévalaient antérieurement. Le gain de longueur passe par un processus de distraction de l’interruption de continuité, soit par des dispositifs de fixation externe, soit par des tuteurs centrodiaphysaires (clous). Les fixateurs externes sont de géométrie variable (rail de guidage longitudinal de distraction, charpentes circulaires étagées en distraction de type Ilizarov). Certains fixateurs, encore plus sophistiqués, autorisent, en combinaison avec la prise de longueur, d’une modification d’orientationarticulaire, l’ensemble pouvant d’ailleurs être sous contrôle de logiciels de navigation spatiale tridimensionnel (Taylor). Les clous d’allongement progressif s’efforcent quant à eux d’obtenir, par étapes successives, des prises de longueur graduées en tentant de verrouiller le gain acquis.
Toutes ces techniques comportent individuellement leur lot de difficultés pratiques et d’éventuelles complications que ne peut totalement éliminer l’expertise des équipes soignantes. Ces dernières, hautement spécialisées, ont d’ailleurs leur préférence technique en fonction de la méthode la mieux maîtrisée.
Il convient enfin de rappeler que la qualité technique, la réflexion sur l’indication et le choix du calendrier sont autant d’éléments susceptibles de conduire ces programmes d’allongements à un succès, ou au contraire à des scénarios assez cauchemardesques de chirurgie itérative de rattrapage de complications successives.
D’après la conférence d’enseignement du Dr Corinne Bronfen, CHU de Caen.
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