PAR LE Dr ALEXANDRE HERTIG*
DANS TOUS LES TISSUS, la matrice extracellulaire est déposée par des cellules spécialisées, les fibroblastes. En cas de plaie, ou plus généralement d’agression, les fibroblastes d’habitude quiescents sont activés, en « myofibroblastes ». Leur fonction est de participer au processus de réparation des tissus, notamment en consolidant la matrice. Dans les situations où l’agression n’est pas éradiquée, et perdure, le processus continu de réparation entraîne une fibrose interstitielle qui entrave la fonction de l’organe (cirrhose, cardiomyopathie hypertrophique, lésions tubulo-interstitielles des insuffisants rénaux chroniques, etc.). Ainsi, les fibroblastes, essentiels à la phase aiguë d’une agression, sont, à plus long terme, néfastes. Jusqu’il y a peu, il était entendu que les fibroblastes résidant naturellement dans les tissus étaient à eux seuls responsables de la progression de la fibrose, mais il a été démontré que les cellules épithéliales elles-mêmes pouvaient, dans les suites d’une agression, et pour peu qu’elles y survivent, se transformer en cellules fibroblastiques, dans un processus appelé « transition épithélio-mésenchymateuse » (TEM).
Le concept que les cellules épithéliales (dans le rein, les cellules tubulaires) aient une telle plasticité est étonnant mais pas incroyable : au cours de l’embryogénèse, le néphron est formé grâce au phénomène inverse de transition mésenchymo-épithéliale, à partir du bourgeon métanéphrique. Après que des travaux expérimentaux ont démontré, chez la souris dont l’uretère a été ligaturé, que le tiers des fibroblastes dérivait de l’épithélium tubulaire (1), plusieurs groupes de recherche ont souhaité mesurer l’importance de ce phénomène de TEM dans la physiopathologie de la fibrose des greffons.
Un épithélium est caractérisé par le fait que les cellules qui le composent sont étroitement liées les unes aux autres, et reposent sur une membrane basale. À l’inverse, les fibroblastes sont isolés les uns des autres, et sont mobiles (la composition de leur cytosquelette est très différente). Pour montrer que les cellules tubulaires rénales subissent une transition vers un phénotype fibroblastique, il faut montrer qu’elles perdent l’expression de marqueurs épithéliaux typiques, comme les molécules d’adhésion (E-cadhérine), et dans le même temps qu’elles ont acquis l’expression de marqueurs mésenchymateux (comme la vimentine, un filament intermédiaire caractéristique des fibroblastes). Il fut d’abord montré, par un groupe canadien, que les greffons fibreux se distinguaient des greffons non fibreux par le fait que leurs cellules épithéliales exprimaient bel et bien des marqueurs de TEM (dans une proportion importante : environ le tiers des cellules épithéliales) (2). Mais pour montrer qu’il existe un lien de causalité entre l’expression de ces marqueurs de TEM et la fibrose du greffon, il fallait prouver que la TEM précédait la fibrose, et que l’expression de marqueurs de TEM serait, dans le temps, suivie d’une fibrose interstitielle marquée. C’est ce que nous avons fait, en analysant les biopsies, dites de surveillance, réalisées dans trois centres parisiens (Tenon, Saint-Louis et Necker). Ces biopsies sont de plus en plus pratiquées en transplantation rénale pour dépister le plus tôt possible un problème sur le greffon (récurrence de la maladie rénale primitive, rejet aigu, toxicité médicamenteuse, etc).
Il s’avère qu’après une transplantation cadavérique, 30 à 40 % des greffons montrent des signes de TEM dès le troisième mois de la greffe (3). Il est intéressant de relever que, d’une part, le temps d’ischémie froide (entre le prélèvement et l’implantation) et le score de tubulite (agression de l’épithélium tubulaire par les lymphocytes T du receveur) sont associés à l’intensité du score de TEM, et, d’autre part, que le score de TEM peut être élevé alors même que l’anatomopathologiste ne détecte pas de problème majeur (rejet ou fibrose par exemple) sur la biopsie.
Cependant, les patients dont le greffon a plus de 10 % des tubes rénaux « en transition » à trois mois ont un score de fibrose interstitielle significativement plus élevé à un an (4). Ainsi, alors que les colorations de routine (trichrome de Masson) permettent de mesurer la fibrose rénale à un temps t, les marqueurs de TEM offrent une vision dynamique, très sensible, de la fibrogenèse. Il est permis de penser qu’ils permettraient également de mesurer la fibrogenèse dans les reins natifs, et dans d’autres organes : la TEM est un phénomène biologique d’abord identifié dans le rein adulte, mais les épithélia du foie, du poumon, et des vaisseaux (l’endothélium) montrent également des signes de TEM en pathologie humaine.
Il reste à prouver que les cellules épithéliales ainsi transformées ont la capacité de rejoindre l’interstitium pour fournir de nouveaux fibroblastes, mais, en attendant, ces travaux suggèrent que la TEM est un mécanisme important de fibrogenèse du greffon. Si d’autres équipes, indépendantes, le confirment, cela aura deux conséquences. D’abord, les patients à haut risque de fibrose rapide seront identifiés tôt, et traités avec une attention particulière. Ensuite, des agents anti-TEM ont montré un effet thérapeutique majeur chez l’animal, qui empêchent la progression de la fibrose interstitielle, voire la font régresser (5). C’est autant d’espoir pour les patients transplantés qui ne souhaitent pas retourner en dialyse.
*Urgences Néphrologiques et Transplantation Rénale, et INSERM U702, hôpital Tenon, Paris.
(1) Iwano M, Plieth D, Danoff TM, Xue C, Okada H, Neilson EG : Evidence that fibroblasts derive from epithelium during tissue fibrosis, J Clin Invest 2002, 110 :341-350
(2) Vongwiwatana A, Tasanarong A, Rayner DC, Melk A, Halloran PF : Epithelial to mesenchymal transition during late deterioration of human kidney transplants : the role of tubular cells in fibrogenesis, Am J Transplant 2005, 5 :1367-1374
(3) Hertig A, Verine J, Mougenot B, Jouanneau C, Ouali N, Sebe P, Glotz D, Ancel PY, Rondeau E, Xu-Dubois YC : Risk factors for early epithelial to mesenchymal transition in renal grafts, Am J Transplant 2006, 6 :2937-2946
(4) Hertig A, Anglicheau D, Verine J, Pallet N, Touzot M, Ancel PY, Mesnard L, Brousse N, Baugey E, Glotz D, Legendre C, Rondeau E, Xu-Dubois YC : Early epithelial phenotypic changes predict graft fibrosis, J Am Soc Nephrol 2008, 19 :1584-1591
(5) Zeisberg M, Hanai J, Sugimoto H, Mammoto T, Charytan D, Strutz F, Kalluri R : BMP-7 counteracts TGF-beta1-induced epithelial-to-mesenchymal transition and reverses chronic renal injury, Nat Med 2003, 9:964-968
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