DEPUIS UN QUART de siècle, la physionomie de la chirurgie pratiquée quotidiennement au sein de la population s’est radicalement transformée. Cette transformation, loin d’être achevée, ne va aller qu’en s’amplifiant dans les années à venir. La tradition qui prévalait jusqu’à ce passé récent consistait à postuler que du fait qu’il n’existait pas de « petite chirurgie » il ne pouvait exister de « petite hospitalisation » autour de tout acte chirurgical. Si la première partie du postulat reste pédagogiquement valide, il est devenu de bon ton d’envisager, chaque fois que cela est possible, l’absence de séjour hospitalier d’accompagnement de certains actes chirurgicaux.
Une lente maturation des idées
L’hospitalisation traditionnelle a toujours eu un côté rassurant pour un opéré ou futur opéré qui redoute, le plus souvent, l’acte dont il va faire l’objet. Au départ, le principal intéressé, c’est-à-dire le consommateur lui-même, (et donc derrière lui les pouvoirs politiques) n’avait aucune raison de modifier cet état des choses. Les pouvoirs publics confrontés à l’augmentation naturelle inévitable des coûts de santé ont pu observer que la réduction des durées d’hospitalisation s’accompagnait d’économies substantielles. Il ne restait qu’un pas à franchir pour entrer dans l’ère de la chirurgie ambulatoire.
Pourtant, au début du vingtième siècle, un chirurgien écossais, Nicoll, contrairement à ce que pourraient penser des esprits chagrins, pour des raisons non économiques, défendait sur la population pédiatrique les vertus thérapeutiques de l’environnement ambulatoire.
Un peu plus d’un demi-siècle plus tard, dans les années soixante-dix, c’est aux États-Unis que l’esprit d’entreprise de certains professionnels de santé, conduisit ces derniers à ouvrir, parfois en chaînes, des centres indépendants, souvent en concurrence ouverte avec les structures hospitalières traditionnelles établies. Pour des raisons faciles à comprendre, en particulier d’environnement médico-légal souvent hostile aux États-Unis, ces centres indépendants se devaient de concilier l’excellence dans une activité donnée et des coûts très contrôlés, l’ensemble dans un environnement réglementaire plutôt laxiste au début.
Ces centres nord-américains indépendants, par la qualité des soins qu’ils étaient pour certains capables de fournir, ont fini par servir de modèles inspirant des vocations similaires de créations à travers le monde. En France, la levée progressive des obstacles réglementaires prit un certain temps. L’ouverture législative dut attendre le début des années quatre-vingt-dix, mais la prise en charge des actes effectués dans de tels centres mit encore plus de temps à avoir pignon sur rue. Certes dans certaines spécialités, telles que la chirurgie de la main ou l’ophtalmologie, des chirurgiens de qualité à l’esprit de pionner avaient anticipé, dès le début des années quatre-vingt, l’inévitable évolution réglementaire, mais ils n’étaient guère nombreux.
Une conférence de consensus de 1993 permit de fixer la définition de la chirurgie ambulatoire ou de jour, et de la différencier des soins chirurgicaux de cabinet.
La quinzaine d’années qui suivirent vit successivement apparaître des mesures administratives, tarifaires, réglementaires, comptables…, tantôt frénatrices, tantôt au contraire incitatives au développement de la chirurgie ambulatoire. Au final, cette dernière a surmonté tous ces obstacles à son développement et occupe à présent une place quasi prépondérante dans près d’une vingtaine de gestes chirurgicaux spécifiques.
Adapter les structures à une activité croissante
Une fois perçue la tendance à une montée en charge du rôle de la chirurgie ambulatoire, il importe d’évaluer les structures disponibles pour la communiquer au patient. Cette chirurgie se déroule tantôt au sein d’une structure intégrée (bien que séparée) dans un secteur d’hospitalisation traditionnelle, tantôt au sein d’une structure indépendante et autonome.
Le poids respectif de ces deux types de structures dans l’ensemble de la distribution de l’activité de chirurgie ambulatoire est variable. Les structures indépendantes n’ont en France qu’un rôle encore marginal, alors qu’aux États-Unis elles représentent une part substantielle de ce marché.
Pour mieux connaître cette activité de soins, près d’une vingtaine d’actes ont été répertoriés, intitulés marqueurs ou témoins. Ainsi individualisés, il est possible sur chacun de ces actes de suivre la proportion de ceux réalisés en hospitalisation traditionnelle ou en ambulatoire. En chirurgie orthopédique, on peut, par exemple, recenser le nombre d’interventions effectuées pour la Maladie de Dupuytren, pour la neurolyse du nerf médian au canal carpien, ou encore pour l’arthroscopie du genou.
Dans un tel recensement annuel, il est possible de déterminer pour chaque acte opératoire le pourcentage d’actes de cette catégorie effectués en ambulatoire. Plus de la moitié des interventions citées en chirurgie orthopédique est à présent, (après une croissance constante ces dernières années) réalisées en ambulatoire. Des mesures incitatives fortes ont été mises en place par les organismes payeurs pour augmenter au maximum le pourcentage de ces interventions.
Un cadre soigneusement orchestré
La chirurgie ambulatoire est un concept dont la cohésion architecturale dépend de trois éléments : la structure, le patient, l’acte technique réalisé.
La structure obéit à un cahier de charges soigneusement défini, couvrant sa déclaration administrative, ses ressources en équipement et en personnel, ses liens contractuels avec des établissements de repli en cas de nécessité.
Le patient fait l’objet à la fois d’une information détaillée du déroulement de son acte opératoire, mais également d’une sélection rigoureuse destinée à vérifier s’il est à même de participer à ce projet et si son environnement familial et/ou social ne constitue pas des obstacles à cette modalité opératoire.
Quant à l’acte proprement dit, il ne peut être listé a priori comme ambulatoire. Si les actes désignés « marqueurs » devraient être réalisables en ambulatoire dans plus de 85 % des cas, ce pourcentage ne peut prendre un caractère obligatoire.
Il fait partie du jugement de l’équipe soignante de décider si les conditions de réalisation d’une chirurgie ambulatoire sont réunies, un peu comme un équipage d’aéronef viendrait à décider si le plan de vol retenu est satisfaisant avant de prendre l’air.
Les paramètres principaux d’acceptabilité d’un projet ambulatoire sont : une durée d’acte inférieure à quatre-vingt-dix minutes, une absence de risque hémorragique, une antalgie postopératoire bien maîtrisé, un risque thromboembolique faible, des constantes vitales prévisibles et bien stabilisées. Bien entendu la totalité de ces vérifications préopératoires ne dispense aucunement d’une réévaluation complète, une fois l’acte accompli.
Des limites encore mouvantes
La chirurgie ambulatoire, au fur et à mesure du développement de son expérience semble constamment repousser ses propres limites. Elle n’en conserve pas moins des limites :
réglementaires ou administratives, empêchant la création d’unités dans l’ignorance des besoins de la carte sanitaire ;
- de structure du fait de la disponibilité non infinie des ressources mobilisables ;
- de caractéristiques de l’acte technique dont la complexité liée au Patient ou aux opérateurs peut constituer un obstacle ;
- de profil du patient lié entre autres à son niveau éducatif ou son environnement sociofamilial ;
- de responsabilité médico-légale imposant une cohésion forte des équipes soignantes.
Enfin, si les données économiques semblent militer en faveur du développement de la chirurgie ambulatoire en raison de coûts globalement amoindris pour un procédé chirurgical donné, il n’est pas certain que ces structures puissent mieux résister que les structures traditionnelles à des compressions inattendues de remboursement de ces coûts.
D’après la conférence d’enseignement du Dr Guy Raimbeau
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