C’EST UNE INVITATION tellement particulière que, journaliste non-médecin, je ne l’accepte pas d’emblée. Être enfermée dans un bloc pour assister à une opération à cur ouvert, je ne sais pas trop à quoi m’attendre. Ce serait la première fois. Jamais vu d’opération. « Essaie de ne pas tomber dans les pommes. Tu n’es pas vagale, au moins ? » Non, je ne le suis pas, mais cette question ne me rassure pas. Ma curiosité est finalement plus forte que mon appréhension. Et puis je ne veux pas me retrouver comme le héron de La Fontaine. Un voyage aortique ne se refuse pas surtout lorsque le pilote est expérimenté. Aux commandes, j’ai nommé le Pr Philippe Menasché, chirurgien cardiaque à l’hôpital européen Georges Pompidou. Vous allez voir, c’est comme dans un avion. Nous avons une check-list avec mon copilote, le Dr Julia Pouly, chef de clinique » Dans ma tête résonne la chanson du serpent Kaa du « Livre de la jungle », « Aie confiance, crois en moi... »
Le plan de vol est assez impressionnant : un remplacement de valve aortique et la pose d’un anneau de Carpentier dans la valve tricuspide de l’oreillette droite. Moi qui n’ai jamais mis les pieds dans un amphi de médecine, je sais maintenant où placer tout cela, exactement. Les connaissances acquises sur le terrain sont les plus marquantes. De bleu vêtue, j’entre dans le bloc. Il est 9 heures passées. J’aperçois à peine le visage de la dame âgée de 75 ans qui se réveillera avec le gain d’une espérance de vie bien plus grande. Le champ opératoire est dressé. La patiente, toute bétadinée et recouverte d’un pansement, peut être incisée. La peau s’écarte, laissant apparaître une couche de graisse que cautérise l’interne, Thérésa Khalife. Le Pr Menasché semble plutôt content de la féminisation de la profession.
Debout sur mon marchepied, avec vue plongeante sur le champ de bataille, j’attends de voir ce qui se trame derrière tout ça, pas le temps de me demander si je supporte le décollage. Avec une scie, l’interne découpe le thorax en deux, d’un geste assuré. J’essaye de suivre, je tâte machinalement les os de mon torse. Les écarteurs posés, le Dr Julia Pouly s’adresse à moi au moment clé, pour m’expliquer le chemin : à gauche un morceau du poumon, sous les membranes, le cur avec la veine cave supérieure, l’oreillette droite, l’aorte, le ventricule gauche, le ventricule droit...Elle me regarde et s’inquiète : « Ça vous parle ce que je dis ? » J’acquiesce, je n’ose pas la faire répéter. Tout est calme, la chef de clinique et l’interne se concertent ; leur travail est méthodique jusqu’à ce que, enfin, je le vois battre régulièrement ce joli cur pourtant malade, majestueux, bien vivant pendant que sa maman dort.
Oh non, pas maintenant ! Je sens que j’étouffe dans mon masque, j’ai un peu froid, non, chaud, j’ai la gorge qui pique. Je quitte mon poste d’observation et me voilà en butte à une vilaine quinte de toux sous l’il réprobateur de l’infirmière. Reprendre ses esprits, respirer profondément : ce n’est pas le moment de flancher. Il faut maintenant relier le cur à la machine de circulation extracorporelle, la CEC, et mettre les canules en place. Le sang jaillit avant d’être dévié : le sang oxygéné par ici, le sang non oxygéné par là et la CEC prend le relais du cur, arrêté dans son élan par le potassium.
En musique.
C’est à ce moment que le Pr Menasché fait son entrée, en musique, une radio à portée de main. Civilités, coup d’il sur la feuille de transmission, le chirurgien s’approche de la patiente pour la séquence haute couture et prend des nouvelles de l’équipe. Philippe Menasché préfère la convivialité des blocs au star-système. À l’intérieur de l’aorte vidée de son sang, une valve biologique, d’un diamètre similaire, va remplacer l’originale, légèrement calcifiée : « J’ai déjà vu pire », commente le chirurgien. Je glisse une question : « Pourquoi certaines valves se calcifient-elles ? » – « Si on le savait ! », répond le Pr Menasché en train de coudre la valve, puis l’aorte. Le flux sanguin revient dans l’aorte qui se regonfle. Je m’interroge, des traînées blanches, comme celles laissées par un avion dans le ciel, se mélangent au sang. « C’est l’anesthésique, le même que celui retrouvé chez Michael Jackson. » Le Pr Menasché passe les manettes au Dr Pouly, qui tranche l’oreillette droite pour atteindre la valve tricuspide. Fils et aiguilles en main, elle fixe l’anneau d’annuloplastie, conçue pour restaurer la taille et la forme anatomiques de la valve et empêcher les dilatations récurrentes. J’ai compris la manuvre, j’aurais presque envie d’essayer.
En chef d’orchestre, Philippe Menasché fait sensiblement monter la pression dans le bloc. La pause est finie, le cur doit repartir. On enlève les canules, on aspire, on remplit : impossible de retracer les événements par le menu, le tempo était trop allegro pour moi. Le résultat est là, le cur a repris ses couleurs et envahit à nouveau l’espace. Il est 12 h 30, je suis fourbue, et il faut encore refermer le thorax de la patiente avec des fils d’acier. Je ne suis vraiment pas déçue de mon baptême de l’air.
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