- LE QUOTIDIEN - A partir de quel rationnel biologique les anticorps anti IL-12/23 ont-ils été développés ?
-Pr DENIS JULLIEN - Initialement, l’objectif était de développer un inhibiteur de l’IL-12 qui favorise le développement des lymphocytes Th1 producteurs d’IFN-gamma. Il se trouve que la sous-unité p40 de l’IL-12, ciblée par ces anticorps, est aussi une sous-unité de l’IL-23. Or, l’IL-23 favorise la prolifération d’autres populations lymphocytaires, les lymphocytes Th17 et Th22 qui produisent de l’IL-17 et de l’IL22. En visant l’IFN-gamma et les lymphocytes Th1, on a donc abouti à bloquer une seconde voie de l’immunité. Pour inattendue qu’elle ait été, cette conséquence était intéressante dans le psoriasis, puisque l’IL-22 et l’IL-17 sont impliquées dans la prolifération des kératinocytes et la réponse inflammatoire.
Quel bénéfice thérapeutique peut-on attendre des anticorps anti IL-12/23 ?
Deux laboratoires développent actuellement ces molécules : Abbott, et Janssen-Cilag. L’anticorps de Janssen-Cilag, l’ustekinumab, dont le développement est plus avancé a déjà fait l’objet de trois études pivot : Phoenix 1 (800 patients), Phoenix 2, (1 200 patients), et enfin, Accept (900 patients), qui compare l’ustekinumab à l’étanercept, l’anti TNF-? de référence.
Dans cette dernière étude, à 12 semaines, 67 % des patients traités par ustekinumab à la posologie de 45 mg (et 74 % de ceux traités à la posologie de 90 mg) aux semaines 0 et 4 voient leur score PASI (Psoriasis Area Severity Index) réduit de 75 % (PASI 75). À la même date et pour ces mêmes posologies respectivement 36 % et 45 % des patients ont une réponse PASI 90. Avec l’étanercept, on obtient une réduction de 75 % du score PASI chez 57 % des patients traités par 50 mg 2 fois par semaine pendant 12 semaines. L’efficacité de l’anti IL-12/23 semble par ailleurs s’améliorer avec la durée du traitement, puisqu’à 24 semaines, 76 à 80 % des patients sont en PASI 75.
En terme d’efficacité, on peut donc considérer que l’ustekinumab est supérieur à l’étanercept. Cette comparaison ne vaut que pour l’étanercept, et non pour tous les anti TNF-?. L’ustekinumab n’a pas été directement comparé à l’adalimumab, ni à l’infliximab. Mais d’après ce que l’on sait des efficacités relatives des différents anti TNF-?, on pourrait situer l’ustekinumab comme proche de l’adalimumab, et un peu inférieur à l’infliximab.
En ce qui concerne les effets indésirables, quels sont les risques d’une inhibition des voies de l’IL-12 et de l’IL-23 ?
Il faut d’abord rappeler que le manque de recul lié au faible nombre de patients traités et au développement récent de la molécule interdit toute considération définitive sur les risques du traitement. Globalement, dans les essais cliniques, l’ustekinumab ne se distinguait pas du placebo à 12 semaines en terme de tolérance. Mais il s’agit de court terme.
Sur le plan infectieux, la susceptibilité aux mycobactéries et aux salmonelles, constatée chez des sujets atteints d’anomalies génétiques des voies de l’IL-12 et de l’IL-23, faisait craindre des risques analogues chez les patients traités. Un seul cas de tuberculose a été rapporté lors des essais, et aucune salmonellose. Le traitement n’a toutefois pas été évalué en zone d’endémie.
Par ailleurs, sur le plan cardiovasculaire, les études précoces faites parfois à forte posologie s’étaient accompagnées de quelques événements graves. Ce signal n’avait pas été clairement confirmé par la suite dans les études de phase III. Il n’est cependant pas exclu que de fortes doses, puissent à la phase précoce du traitement s’accompagner d’événements cardio-vasculaires. La pharmacovigilance devra donc être attentive à cet aspect. Des exacerbations d’asthme sévère ont été rapportées, ainsi que quelques cas de cancers cutanés ou d’autres types, et des cas de photosensibilisation.
Les anti TNF-?, eux, exposent à un sur-risque infectieux qui semble également précoce et qui ne se limite pas à la tuberculose. Ils sont pour certains contre-indiqués en cas d’insuffisance cardiaque de classe NYHA III ou IV. Des cas d’induction de lupus ont par ailleurs été rapportés. Il n’y a pas eu d’exacerbation d’asthme sous traitement. Au vu des données actuelles, les profils de tolérance des anti IL-12/23 et des anti TNF-? ne sont donc pas strictement superposables.
À quels patients s’adressent a priori les anti IL-12/23 ?
Les anti IL-12/23 sont d’ores et déjà commercialisés dans plusieurs pays européens. En France, les négociations sur le prix ont abouti, et le traitement devrait être disponible en février 2010.
Les anti IL-12/23 concerneront les patients ayant un psoriasis en plaque et relevant des biothérapies selon les critères de l’AMM, c’est-à-dire les patients présentant certains critères de sévérité, après échec de deux traitements conventionnels.
Si ces molécules peuvent être proposées à ces patients en première ligne au même titre que les autres biothérapies, plusieurs aspects influeront sur le choix des prescripteurs.
D’abord, la résistance ou certains types de réactions d’intolérance aux anti TNF-?. Il y a actuellement en France des patients traités par anti IL-12/23 dans le cadre d’une ATU après échec ou intolérance aux anti TNF-?. Il est logique que ces molécules continuent à être proposées à ces patients. Ensuite, l’observance. L’ustekinumab est administré à raison d’une injection SC toutes les 12 semaines, soit un schéma thérapeutique moins contraignant que celui des anti TNF-? qui pourrait être plébiscité par les patients.
Également, la présence d’un rhumatisme psoriasique. Vis-à-vis de cette composante, qui touche 20 % des patients porteurs d’une atteinte cutanée, les anti IL-12/23 paraissent en effet moins actifs que les anti TNF-? et il est probable que ces derniers restent un meilleur premier choix dans les formes sévères de ce rhumatisme.
Enfin, bien sûr la tolérance. L’absence de recul conduira sans doute par principe de précautions certains à retenir ces produits en seconde ligne tant que nous ne disposerons pas d’un plus grand recul et de plus de données sur de plus larges populations.
D’après un entretien avec le Pr Denis Jullien, Service de dermatologie, Hôpital Edouard-Herriot, Lyon.
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