Pr Serge Halimi*
CEUX QUI la pratiquent de longue date savent que l’éducation thérapeutique (ETP) de qualité requiert une authentique formation des professionnels qui la délivrent ; l’élaboration de programmes structurés, validés et autorisés (par les Agences régionales de santé, ARS) construits avec sur la base d’objectifs clairement identifiés et avec l’appui de patients. Nombre de projets se limitent en réalité à de l’information ou de l’apprentissage de gestes techniques – injection, utilisation de lecteurs de glycémie par exemple. Certes, ce transfert de savoir faire est utile, mais il ne signifie pas ETP. Celle-ci implique une prise en compte de toutes les dimensions de la maladie et du patient, de son environnement, de ses forces, faiblesses, croyances, objectifs et priorités, toutes choses qui sont identifiées lors du diagnostic éducatif initial.
ETP versus accompagnement.
La recommandation française (de la Haute autorité de santé, HAS), si exigeante, insiste pourtant sur ces points, qui différencient l’ETP véritable de l’accompagnement, ou de démarches qui consistent à faire que le patient maîtrise les outils qu’il utilise.
En somme, l’ETP est nécessairement une question sérieuse et chronophage et s’avère mieux pratiquée par des professionnels maîtrisant très bien la discipline médicale, la démarche éducative, pratiquant des métiers complémentaires, ayant harmonisé leur approche et mis en commun des objectifs patients individualisés.
L’approche de groupe est à ce titre souvent préférable. Enfin une évaluation sur des critères durs, comme psychosociaux, doit être réalisée.
Médecine pluridisciplinaire... ou pas.
Si le médecin traitant, naturellement coordonnateur des soins, s’implique dans l’ETP – parce que motivé et formé pour cela – nul doute que cela présente beaucoup d’avantages. Mais la question surgit : comment peut-il dès à présent assumer seul cette tâche, compte tenu du temps dont il dispose (12 à 18 minutes par consultation) ?
La réponse peut certes venir d’un exercice dans le cadre de maisons de santé pluridisciplinaire (MSP), lequel est très valorisée et encouragée par les ARS, surtout dans les zones à faible densité médicale ou en charge de populations difficiles (fragilités diverses). De telles structures peuvent déjà offrir une ETP authentique.
Mais combien de médecins généralistes (MG) vont rapidement s’engager dans cette voie, à l’horizon de dix voire vingt années ? Dans quels délais la montée en charge de telles structures – espérée et annoncée – deviendra significative ? Quid des patients dont médecins généralistes et pharmaciens ne souhaitent ou ne peuvent s’y engager ?
Par ailleurs, les personnes vulnérables (migrants, défavorisés, personnes âgées) pourront-elles en bénéficier davantage qu’aujourd’hui dans les structures existantes, comme le récent rapport diabète de l’IGAS l’a pointé ?
Autre solution encouragée par les ARS : l’extension du dispositif ASALEE. Il s’agit d’un protocole de mise à disposition d’un petit groupe de médecins généralistes – 3 ou 4 cabinets proches les uns des autres – d’un infirmier dit de santé publique, dont les missions sont d’ores et déjà très vastes. En plus du diabète de type 2 : le risque cardiovasculaire, la BPCO, le dépistage et l’aide au suivi des cancers du sein, le sevrage tabagique, et demain les troubles cognitifs. Comment intégrer une véritable ETP dans le temps de travail de ces infirmiers ?
Puisque l’ETP figure comme un « droit du patient » dans la loi Hôpital, Patient, Santé et Territoires (HPST), la question est de répondre à ce droit légitime, à court et moyen terme. Sachant qu’entre-temps, des besoins ETP ne sont pas couverts. Les récentes données de l’étude DAWN 2 montrent bien le retard de la France en ce domaine. En somme, cette approche, n’est-elle pas trop centrée sur la proximité voire la proximité exclusive ?
CECI EST UNE EXERGUE : S’appuyer sur les réseaux territoriaux
Pour toutes ces raisons, on ne peut que déplorer que les réseaux de santé, déjà bien implantés dans leurs territoires, soient incités à abandonner progressivement la pratique de l’ETP pour se consacrer exclusivement à former, à l’ETP, les acteurs de premier recours : MG et pharmaciens d’officine. Certes, le rapport de l’IGAS a pu reprocher aux Réseaux Diabète de ne pas avoir concerné suffisamment de patients et de n’avoir pu véritablement toucher les plus fragiles, les laissés pour compte. En revanche, à leur avantage, les Réseaux existent et proposent une offre ETP de bonne qualité, reposant sur des approches individuelles et des ateliers de groupe, assurés par des équipes principalement paramédicales très bien formées.
Approches de groupe.
Cette approche de groupe offre aux patients des temps et espaces d’expression, de partage d’expériences, irremplaçables pour répondre à leurs difficultés et favoriser leur motivation. De plus, notre longue pratique nous prouve que les patients se livrent parfois plus aisément à d’autres qu’à leur médecin, comme à des paramédicaux dont l’écoute, la disponibilité et la proximité semblent plus grandes. On ne dit pas à son médecin certaines de ses difficultés, même si son écoute est excellente : qu’il nous en demande trop, que les objectifs sont trop rigoureux, etc. Externaliser, en partie au moins, la prise en charge éducative, peut grandement contribuer à mieux cerner les problèmes des patients, surtout de ceux les plus en échec, de manière ensuite à faciliter le travail du généraliste ou du pharmacien grâce à une collaboration bien construite.
L’utopie de l’ETP sans ETP.
Affirmer, comme certains, que l’ETP de proximité rendra demain presque inutile l’idée même d’ETP, semble utopique. Nos expériences déjà anciennes témoignent des nombreux services rendus par des approches de groupes, menées par des équipes dédiées. Dans le diabète de type 1, celles-ci ont leur place dans les hôpitaux, quoique des solutions hors hôpital soient très envisageables et pour certaines déjà opérationnelles. En revanche, le diabète de type 2, par sa démographie, ne peut pas relever d’une prise en charge ETP hospitalière, sauf pour de rares configurations régionales très particulières.
CECI EST UNE EXERGUE : Une offre éducative de proximité tout de suite ?
L’ETP pour le plus grand nombre de patients ne pourra être mise en place que lentement. La variété et la complémentarité des offres sont, selon nous, l’attitude de bon sens. L’option « tout proximité » n’est pas réaliste, et ne répond pas non plus aux besoins à moyen terme. Surtout : elle ne devrait pas être l’unique réponse pour affronter le défi de pathologies de masse. Ici, la solution hospitalière est elle aussi inadaptée. La France comptera bientôt quatre millions de diabétiques, en majorité de type 2 : un problème de masse doublé de fortes inégalités sociales et dans l’offre de soins.
Pourquoi ne pas nous inspirer d’expériences européennes et en tirer les leçons ? En Suède, Allemagne, Grande-Bretagne, Pays-Bas (modèles Desmond, Xpert), les solutions ont été fondées sur des programmes nationaux adaptés à chaque territoire. Elles ont souvent été initiées sous forme d’actions éducatives de groupe – sur le principe de nos Réseau, mais moins coûteux – et d’autres offres similaires. Puis, elles ont été progressivement complétées et mises en synergie avec des offres ETP de proximité (MG).
C’est pourquoi, après avoir si mal valorisé le travail des MG et sous estimé le rôle des pharmaciens, nul n’est besoin de virer à 180 degrés, pour tout bâtir sur des professionnels désireux de s’engager dans de nouveaux modes d’exercice, mais qui, croulant sous la charge, n’y parviendront ni rapidement, ni tous ! Il faudra du temps pour que cette montée en puissance se fasse. Si, pour une fois, en France, nous pouvions échapper à l’hyper-centralisme, au jacobinisme et ses décisions radicales, comme celle consistant à rayer d’un trait les actions déjà entreprises et à tout fonder sur une réponse unique ! Pourquoi ne pas aussi tabler sur l’existant : bâtir une ETP coordonnée, construite progressivement et adaptée à chaque territoire ? On a le droit d’espérer !
* Endocrinologie, CHU de Grenoble
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