La découverte de l’insuline − un extrait de pancréas purifié ayant des propriétés hypoglycémiantes − à l’Université de Toronto, en 1921 il y a cent ans, est l’un des faits marquants de l’histoire de la médecine, qui a changé le destin de millions de diabétiques. Ce véritable miracle fut consacré, dès 1923, par l’attribution du prix Nobel de physiologie ou de médecine à Frederik Grant Banting (1891-1941) et à John James Rickard Macleod (1876-1936), prix qui laissa dans l’ombre les autres découvreurs, Charles Herbert Best (1899-1978) et surtout James Bertram Collip (1892-1965).
Compréhension du rôle du pancréas
Cette découverte représente en réalité l’aboutissement de trois décennies de travaux, à commencer par l’affirmation, par Von Mering et Minkowski, en 1890, du rôle crucial du pancréas dans la genèse du diabète, lorsqu’ils réussirent une pancréatectomie totale chez le chien. Puis, en 1893, Lancereaux et Laguesse à Paris postulèrent que la sécrétion d’un mystérieux « ferment glycolytique pancréatique » se situerait dans les îlots cellulaires intra-pancréatiques, décrits en 1869 par Paul Langerhans. Cette interprétation fut confirmée en 1912 par Massiglia et Zannini, qui montrèrent que la seule destruction des îlots de Langerhans entraine un diabète. En 1899, R. Lépine et fils écrivaient que l’administration d’extraits pancréatiques ou la transplantation d’un pancréas « vivant » sous la peau d’un sujet diabétique avaient échoué, mais « qu’il n’était pas impossible qu’elles réussissent un jour ». Il ne restait en effet plus qu’à extraire cette substance, et à l’administrer, pour corriger la glycosurie.
L’Acomatol, premier antidiabétique
À partir de la fin du XIXe siècle et jusqu’au dernier jour de 1921, de nombreux chercheurs seront à deux doigts d’atteindre le Graal en suivant cette piste et en obtenant des extraits de pancréas capables de réduire l’excès de sucre des animaux rendus diabétiques et même en menant des essais de traitement chez des sujets diabétiques.
Plusieurs pionniers ont contribué à la découverte. Georg Ludwig Züelzer (1873-1949), médecin Berlinois, fut le premier à mettre au point un extrait pancréatique actif chez l’humain. En 1908, il traite un diabétique en coma acidocétosique avec un succès clinicobiologique relatif, mais le patient décède par manque de produits. En 1912, avec l’aide du laboratoire Schering, il fait homologuer son extrait aux États-Unis sous le nom d’Acomatol. L’aventure thérapeutique s’achève rapidement en raison de la gravité des effets secondaires : « choc » et « convulsions », mal interprétés, alors qu’il s’agissait vraisemblablement d’hypoglycémies. Si la Première Guerre Mondiale met un terme à ces recherches, l’Acomatol n’en reste pas moins le premier médicament de l’histoire homologué pour traiter le diabète.
Ernest Lyman Scott (1877-1968), étudiant à l’Université de Chicago en 1911, est lui aussi à deux doigts d’aboutir, mais son directeur de thèse le dissuade de poursuivre, tout comme Macleod lui-même.
Israël Kleiner (1885-1956) mérite une mention particulière. Encouragé par Edward Sharpley-Schäfer, qui avait décrit en 1911 une substance sécrétée par les îlots qu’il dénommera « insuline » en 1916 (terme créé en 1909 par le belge Jean de Meyer), Kleiner débute ses travaux en 1914 et publie un article en 1919, où il démontre que les extraits de pancréas sont les seuls extraits d’organe capables de diminuer la glycémie chez des chiens diabétiques. Michael Bliss, historien patenté de la découverte de l’insuline, a estimé que « de toutes les publications avant celle de Toronto, c’était la plus convaincante… Ses contrôles étaient impressionnants et la discussion de suivi a été un beau morceau d’écriture scientifique. »
Un facteur antidiabétique à dompter
Début 1920, le facteur antidiabétique était plus à maitriser qu’à découvrir. Le roumain Nicolae Constantin Paulescu (1869-1931), élève de Lancereaux à Paris, mène à Bucarest de nombreux travaux sur la physiologie du foie, en relation avec ce suc pancréatique. Reprenant ses travaux en 1920, après la guerre, il parvient à stabiliser une solution d’extrait de pancréas de bœuf, qui s’avère active chez le chien diabétique. La survenue d’effets indésirables le fait douter de la possibilité de traiter des sujets diabétiques. Mais quatre communications sont présentées devant la Société de biologie de Paris, entre début avril et fin août 1921 (Archives Internationales de Physiologie) et rendent compte de ses travaux qu’il baptisa « pancréine ».
Cette chronologie importe dans ce qui apparaît a posteriori comme une véritable course de vitesse. Elles alimenteront une polémique sans fin quant à la désignation du véritable découvreur de l’insuline, puisque les communications et l’article de Paulescu étaient disponibles alors que, à Toronto, Banting et Best n’étaient encore qu’au début de leurs expériences et qu’ils reconnaîtront avoir eu connaissance de ces publications.
Une équipe qui ne coulait pas de source
Vient l’heure de la découverte historique. Le 30 octobre 1920, Frederik Banting, tout jeune diplômé chirurgien installé à London (Ontario, Canada) lit, un peu par hasard un soir d’insomnie, un article de Moses Barron et, bien qu’il n’eût jamais vu le moindre diabétique, ce texte attire particulièrement son attention. Le lendemain, il en fait part à son patron, qui lui conseille de le soumettre à l’Écossais Macleod, professeur de physiologie à l’Université de Toronto. Celui-ci le reçoit le 8 novembre, mais ne l’encourage guère. Il restera longtemps réticent, jusqu’à ce que les résultats s’imposent à lui et qu’il joue alors un rôle déterminant.
Finalement, Macleod l’accueille sans émoluments dans son laboratoire. En avril 1921, avec l’aide d’un jeune assistant, Charles Best, Banting entreprend ses recherches. De nombreux chiens pancréatectomisés décèdent, mais l’obstination du tandem finit par être récompensée fin juin. Tout au long de l’été qui suit, ils préparent des extraits de pancréas selon les instructions de Macleod.
Fin juillet 1921, l’injection d’extraits entraîne, à plusieurs reprises, une amélioration des glycémies et de l’état clinique de chiens rendus diabétiques. Dès l’automne 1921, le tandem parvient à maintenir en vie pendant 70 jours, grâce à leur extrait, Marjorie, un chien « dépancréaté ».
Mais l’extrait obtenu a une activité inconstante. C’est en décembre que James Bertram Collip (1882-1965), biochimiste chevronné d’Alberta, en année sabbatique à Toronto, prête son savoir-faire avec l’aval de Macleod, et met au point un extrait standardisé testé sur les lapins. En quelques jours, il conçoit un protocole d’extraction qui permet de solubiliser l’insuline et de se défaire de nombre d’impuretés. L’objectif est atteint le 20 décembre et Collip peut écrire « la preuve est fournie du rétablissement (…) d’une fonction (…) totalement inhibée par l’état diabétique ».
Eli Lilly premier à y croire
Les résultats sont présentés à l’American Physiological Society le 30 décembre, à l’Université de Yale. Dans l’auditoire parmi les participants, d’éminents spécialistes se montrent très critiques ; seul George Clowes, directeur de recherche au laboratoire Eli Lilly, est convaincu, et propose d’emblée une collaboration pour la production de l’extrait, avec une arrière-pensée commerciale.
Banting et Best estiment être désormais en mesure de tester leur extrait chez des sujets diabétiques. Impatients, et craignant de se faire voler la primeur, ils transgressent le programme proposé par Macleod, et s’empressent de préparer un extrait à partir d’un broyat de pancréas de bœuf, qui est injecté en intra-musculaire le 11 janvier 1922 à Léonard Thompson, un diabétique âgé de 14 ans à qui il ne restait que quelques jours à vivre. Médiatisée, cette « première » n’a pas le succès espéré, l’injection n’ayant pour effet que de provoquer un abcès au site d’injection.
Collip et Macleod sont contrariés par ce geste prématuré, ce dernier se remet à la paillasse et produit un extrait concentré purifié, qui est administré avec succès à Léonard, le 22 janvier 1922. Une amélioration clinique est constatée dès le lendemain : la glycémie passe de 5,2 à 1,20 g/L, la glycosurie de 71 à 9 g et la cétonurie disparaît.
Une œuvre collective
Les mérites de ce succès furent donc pour le moins partagés, bien que Banting revendiquât avec force, et ce jusqu’à la fin de sa vie, être le seul découvreur de l’insuline avec l’aide de Charles Best, passant sous silence les rôles décisifs de Collip et Macleod.
La découverte de l’insuline n’est pas un exploit individuel, c’est une œuvre collective qui n’aurait probablement pas abouti aussi vite sans l’esprit méthodique et l’érudition de Macleod et sans l’expertise de Collip, et sans compter tous ceux qui avaient ouvert la voie dès la fin du XIXe siècle.
Cette découverte a mis un terme à l’issue inéluctablement fatale des patients atteints de « diabète maigre » et permis de franchir un plafond de verre, reléguant aux oubliettes l’inique « diète absolue » d’Allen, seul traitement proposé jusqu’ici aux diabétiques en fin de course.
Restaient alors de multiples questions à régler : standardiser les doses et produire de grandes quantités d’insuline, ce que l’université de Toronto renonça à envisager devant l’ampleur de la tâche. Elle fit appel à George Clowes de Eli Lilly, à qui elle céda le brevet contre un soutien de l’université de Toronto, puis pour un dollar symbolique à tous ceux qui produiront désormais de l’insuline partout dans le monde : Nordisk, Hoechst, et même un certain Léon Blum en France, à Strasbourg. Ainsi commence l’histoire de l’insulinothérapie.
Exergue 1 : La désignation du véritable découvreur de l’insuline a fait l’objet d’une polémique sans fin
Exergue 2 : En quelques jours, il conçoit un protocole d’extraction qui permet de solubiliser l’insuline et de se défaire de nombre d’impuretés
Exergue 3 : Bien qu’il n’eût jamais vu le moindre diabétique, ce texte attire particulièrement son attention
Professeur Émérite, Université Grenoble-Alpes
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