LE QUOTIDIEN : Dans votre premier discours comme président de l'Académie, le 3 janvier 2017, vous vous préoccupiez de sa représentativité. Comment l'institution pourrait-elle mieux représenter le corps médical ?
Pr CLAUDE JAFFIOL : L’Académie de médecine est constituée de 130 titulaires, de brillants universitaires issus de diverses spécialités. Mais nous ne comptons pas dans nos rangs de représentants de la médecine générale, pourtant cruciale dans l'organisation de la santé en France. En tant que président de la 1re division (médecine et spécialités médicales) pendant 4 ans, j'ai plaidé pour l'ouverture d'un poste de professeur des universités généraliste. Cela a été accepté. J'espère que cette année verra l'élection d'un généraliste au poste de correspondant.
Nous souhaiterions à terme supprimer la distinction entre résidents et correspondants (160 en 2015), qui est un héritage de l'histoire de l'Académie, créée en 1820 et restée plus d'un siècle très parisienne.
Enfin, la rue Bonaparte compte trop peu de femmes, contrairement au visage actuel de la médecine. Nous devrions aussi publier cette année un livre sur la santé des femmes, à l'occasion du cent-cinquantième anniversaire de la naissance de Marie Curie, première élue titulaire de notre Académie.
Vous défendez la vision d'une institution plus en phase avec l'actualité.
Consciente que le progrès n'attend pas, l'Académie veut et doit s'insérer dans ce courant irréversible. La médecine n'est plus seulement composée de médecins : elle revêt des dimensions économiques, sociologiques, épidémiologiques, environnementales. Nous devons nous entourer, ponctuellement, de conseillers sur ces sujets, ou élire des médecins qui en sont spécialistes.
Nous devons être plus réactifs sur l'actualité : je pense à l'épidémie d'Ebola, mais aussi au diabète, aux nouvelles technologies, au numérique, et à tous les sujets de société dès lors qu'ils touchent la médecine. La parole de l'Académie doit s'imposer face à celle des faux experts qui peuvent s'exprimer dans les médias, désorientant le grand public. Nous nous sommes par exemple élevés contre les positions exprimées dans le documentaire diffusé en octobre sur Arte, « Cholestérol, le grand bluff ? », que nous considérons comme irréalistes et contraires aux données de la science.
Nous soutenons les recommandations sur la vaccination issues du comité d'orientation de la concertation citoyenne (élargissement temporaire de l'obligation vaccinale pour les nourrissons et enfants, assorti d'une clause d'exemption), en ajoutant que cette clause doit s'accompagner du maintien de l'exigibilité des vaccins pour l'accueil des petits en collectivités.
Quels moyens pensez-vous pouvoir mettre en œuvre pour assurer cette réactivité ?
Notre communication à l'égard de la presse a progressé depuis 2000 mais nous devons nous ouvrir davantage aux non-académiciens, à commencer par les généralistes. Nous devons investir les réseaux sociaux, et moderniser notre site internet, avec la création d'un espace en anglais pour diffuser hors de nos frontières. Mais tout cela demande des moyens financiers, alors que nous sommes un peu justes de ce côté-là, malgré l'allocation du ministère de l'éducation nationale.
En quoi la voix de l'Académie se distingue-t-elle dans le concert des institutions sanitaires ?
Officiellement, l'Académie est conseillère du gouvernement en matière de santé. Sa particularité tient à sa pluridisciplinarité, et à sa totale indépendance à l'égard des pouvoirs publiques et des instances commerciales ; nous exprimons nos positions en toute liberté.
Nous venons de mettre en place un comité d'éthique, dirigé par le Pr Jean-François Mattei, qui s'occupera des problèmes éthiques spécifiques à la médecine, et un comité des affaires juridiques, sous la houlette duquel tous les académiciens devront officialiser cette année leurs liens d'intérêt.
Quelle est votre action à l'étranger ?
L'Académie compte 40 membres étrangers associés et 100 correspondants dans tous les pays du monde. Grâce au comité des relations internationales et à la Fondation, nous entretenons des liens avec le Brésil, le Mexique, la Russie ainsi que l'Inde, la Chine ou le Québec, trois pays avec lesquels nous avons signé des contrats d'associations.
J'entends nous ouvrir davantage vers le Maghreb. Les 25 et 26 avril se tiendra une réunion décentralisée de l'Académie, à Casablanca (Maroc) où interlocuteurs français et marocains parleront de l'organisation de la médecine générale, de diabète, de rhumatologie, de cancérologie, de vaccination, des produits laitiers, des changements climatiques, et enfin du rôle que pourrait jouer la France en soutien à la médecine marocaine.
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