« Il n'y avait eu jusque-là aucun consensus sur le craniopharyngiome », explique la Pr Blandine Gatta-Cherifi, endocrinologue au CHU de Bordeaux, qui a coordonné avec le Pr Thomas Cuny, endocrinologue aux hôpitaux universitaires de Marseille (AP-HM), la première conférence de consensus sur le sujet.
La conférence était très attendue et se justifiait d'autant plus du fait de nouveautés dans le traitement de la maladie et de ses conséquences. Ce document, réalisé à la demande de la Société française d’endocrinologie (SFE), a été présenté lors du congrès annuel de la société savante le 7 octobre à Marseille.
Signe que le sujet est d'actualité, les Britanniques ont publié la leur peu de temps auparavant dans l'année, « mais uniquement chez l'enfant ». Or le craniopharyngiome touche aussi l'adulte, les deux pics d'incidence étant compris entre 5 et 10 ans et entre 45 et 65 ans. La SFE, qui a constitué dix groupes de travail, en collaboration avec la Société française d’endocrinologie et diabétologie pédiatrique (SFEDP), s'est intéressée à toutes les classes d'âge, rassemblant endocrinologues et pédiatres mais aussi neurochirurgiens, anatomopathologistes, neuroradiologues, ophtalmologues, radiothérapeutes, associations de patients, etc.
« Ce document est pédagogique avec un gros travail de collecte d'informations sur des aspects complexes de la pathologie tels que le syndrome hypothalamique, rapporte le Pr Cuny. Des chapitres sont, ainsi, consacrés aux anomalies du rythme circadien, aux troubles du sommeil, à la transition de l'enfant et aux séquelles à l'âge adulte ». Autre vraie plus-value par rapport au travail britannique cantonné au volet médical pur, la prise en charge médicosociale est détaillée avec les ressources disponibles, par exemple l'allocation adulte handicapé, la prise en charge spécifique pour patient cérébrolésé en médecine physique et de réadaptation, structures adaptées à l'âge, etc.
Le craniopharyngiome est une maladie rare avec une incidence de 0,5 à 2,5 nouveaux cas/million d'habitants par an et une prévalence de 1 cas pour 50 000 habitants. « Hormis le Japon où est observée une incidence un petit peu plus importante, les chiffres ne varient pas selon les régions du monde à l'autre », relève le Pr Cuny.
« C'est une tumeur dérivée du tissu embryonnaire toujours bénigne mais très problématique, rappelle le Pr Thomas Cuny. Il n'y a pas de métastase mais certains craniopharyngiomes ont un comportement invasif avec une tendance fréquente à la récidive et/ou à la progression. L’autre dimension compliquée est leur lieu d’origine, qui se situe dans un carrefour neuroendocrinien hautement fonctionnel, entre l’hypothalamus, la tige pituitaire et l'hypophyse ».
Chirurgie conservatrice
Bien que la tumeur présente des invaginations avec une adhérence aux tissus de proximité, la chirurgie maximaliste n'a plus cours. « L'objectif est désormais d'éviter au maximum des déficits neurohormonaux irréversibles qui doivent être qualifiés de conséquences plutôt que de complications de la chirurgie », explique le Pr Cuny. À cet égard, « le recours à une équipe neurochirurgicale experte dans ce type de pathologie est un primum movens », insistent la Pr Gatta-Cherifi et le Pr Cuny. « La notion de centre expert régional prend tout son sens dans ce type de pathologie rare. »
Les paradigmes sont, toutefois, susceptibles d’évoluer dans les années à venir, avec l'arrivée des thérapies ciblées qui ont déjà fait la preuve de leur efficacité dans l'un des deux sous-types de craniopharyngiome : le papillaire (le plus rare), exclusivement rencontré chez l’adulte. Le second sous-type, qualifié d’adamantin, est le plus fréquent (80-90 % des cas).
« Dans le type papillaire, la combinaison de thérapies ciblées a apporté la preuve d'une réponse antitumorale spectaculaire (1) », souligne le Pr Cuny. Ces inhibiteurs de BRAF-MEK ont été testés en association dans un essai de phase 2 chez 16 patients, dont 15 ont présenté une réponse partielle ou plus. « Un traitement en première ligne permet d’ores et déjà de réduire considérablement le volume tumoral à opérer ou à irradier, si cela demeure nécessaire », précise-t-il. Avant d'ajouter : « De nombreux espoirs sont placés dans la conduite de travaux similaires dans le sous-type adamantin ».
Ni trop, ni trop peu : c'est l'équilibre que vise le centre expert pour la chirurgie du craniopharyngiome. « Les séquelles d'une chirurgie trop large peuvent être importantes, explique la Pr Blandine Gatta-Cherifi. Le syndrome hypothalamique postopératoire peut comporter au premier plan des troubles du comportement alimentaire, parfois à type de perte de poids, mais le plus souvent avec faim insatiable, perte de la sensation de rassasiement et obésité ».
Symptômes tumoraux
La décision thérapeutique est dictée par la présentation clinique. « La découverte de la pathologie se fait souvent à l'occasion de symptômes tumoraux avec des déficits visuels rapidement irréversibles en l'absence de levée de la masse. La découverte fortuite lors d'un incidentalome est rare, de l'ordre de 1 à 3 % des cas, rapporte le Pr Cuny. Chez l'enfant, l'hypertension intracrânienne est liée à des lésions très volumineuses, la plupart du temps kystiques, dont la vidange ou la résection chirurgicale sont de rigueur ».
La radiothérapie est réalisée en seconde ligne et voit émerger des nouvelles techniques d’irradiations prometteuses (car à la fois efficaces et moins pourvoyeuses d’effets secondaires à long terme), telles que la protonthérapie, dont l’efficacité mérite encore d’être évaluée de façon prospective. Quant aux thérapies ciblées, elles commencent déjà à être utilisées en clinique dans le type papillaire.« Si la biopsie tumorale confirme la mutation ciblée, l'indication est discutée en réunion de concertation pluridisciplinaire en centre expert. Chez l’adulte, une RCP nationale (Craniocare) est dédiée à ce type de prise en charge. La discussion de cas rares et complexes à l’échelon national est une chance pour les patients et les équipes médicales », s’enthousiasme le Pr Cuny.
L'un des enjeux à venir pour les thérapies ciblées est de se passer de la biopsie tumorale en ayant recours à des biomarqueurs circulants. « Il n'y en a pas dans le sang compte tenu de la barrière hémato-encéphalique mais c'est un projet de recherche dans le liquide céphalorachidien », rapporte le Pr Cuny.
Accompagnement au long cours
Les endocrinologues assurent le suivi en lien avec les centres de référence des filières maladies rares* qui permettent une prise en charge multidisciplinaire. « Les déficits hormonaux anté et posthypophysaires sont bien équilibrés dans 90 % des cas, souligne la Pr Gatta-Cherifi. Cela nécessite une surveillance et une éducation thérapeutique, en particulier à certains moments de la vie, comme la grossesse. Mais il peut exister aussi des troubles cognitifs, notamment pour la mémoire. L'obésité du syndrome hypothalamique est multifactorielle : sensibilité à la leptine, sécrétion d'insuline ou encore d'ocytocine ».
La conférence de consensus tombe à pic. La Haute Autorité de santé a accordé fin juillet un accès précoce pour le setmélanotide, cet agoniste des récepteurs MC4R, dans l'obésité hypothalamique dès l'âge de six ans. Jusque-là le médicament était indiqué dans l'obésité génétique et non pas lésionnelle.
Dans la foulée, un projet de protocole national de soins a été soumis à la HAS. Une synthèse est rédigée pour les médecins généralistes. « Il s'agit d'optimiser la prise en charge diététique et neuropsychologique, insiste le Pr Cuny. C'est un accompagnement au long cours qui prend du temps. Les handicaps invisibles sont très prévalents et méconnus, notamment la fatigue et les troubles du sommeil qu'il convient d'analyser finement en cliniques du sommeil ».
(1) P. Brastianos et al, New Engl J of Med, juillet 2023. DOI: 10.1056/NEJMoa2213329
* Filière Firendo et centres de référence des maladies rares Hypo et Pradort (Syndrome de Prader-Willi et obésités rares avec troubles du comportement alimentaire)
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