TROIS DÉTENUS dans une petite salle de réunion, à la rotonde du tripôle D4, juste à côté de l’UCSA (unité de consultation et de soins ambulatoires). Ces trois hommes sont incarcérés dans le même pôle, le D4, car ils sont tous trois atteints d’une maladie chronique, en l’occurrence le diabète insulino-dépendant. Autour d’eux, quatre blouses blanches (deux infirmières, une diététicienne et un médecin), un surveillant et Ingrid Delabarre, qui dirige le quartier des courtes peines et les politiques partenariales. Ils ont également accepté la présence de deux journalistes.
Le service médical de Fleury-Mérogis est rattaché au centre hospitalier sud-francilien de Corbeil-Essonnes et, à ce titre, le Dr Jean-Pierre Riveline, diabétologue, se rend une fois par mois pour assurer une consultation à la prison. Il a décidé de proposer une séance d’éducation thérapeutique aux détenus diabétiques insulino-dépendants. Un premier essai avait eu lieu l’an passé, avec des diabétiques de type 2.
Sur les 27 diabétiques détenus à Fleury-Mérogis, trois seulement participent à la séance. Les 24 autres n’avaient « soit pas envie de participer à un tel groupe thématique ou refusent d’être ciblés diabétiques, soit ne comprennent pas bien ou encore font partie de ceux qui sont en révolte et refusent systématiquement tout ce qui peut leur être proposé », explique le Dr Michel Fix, médecin chef de Fleury.
Effet de groupe.
Le sujet de cette classe un peu spéciale, c’est l’insulinothérapie fonctionnelle. « L’intérêt est d’adapter votre dose d’insuline au plus près de votre alimentation. À partir de maintenant, vous pouvez décider de ce que vous allez manger », annonce avec plaisir le Dr Riveline.
La séance commence avec un point sur l’usage de l’insuline rapide. Puis sur l’insuline lente.
Premier cas pratique. Omar, qui avoue « manger très très sucré », décline le menu de son dîner de la veille. La pizza était faite main, avec une pâte constituée d’un paquet de chips et de trois biscottes. Suivie d’un gâteau au chocolat. Fabrication maison lui aussi, mais par son codétenu. « Il est spécial, il ne voudra pas me donner la recette », prévient-il. « Pourquoi pas ? Il y a du shit dedans ? », ose l’une des infirmières.
Nasser, lui, décide de ses doses d’insuline « à l’ancienne », en s’injectant systématiquement six unités pour chaque repas. « C’est ce que je faisais il y a dix ans ! », se marre Omar. Nasser, la cinquantaine mais malade depuis peu seulement, ne semble pas encore bien convaincu par la méthode proposée. « Elle vous permet de suivre vos envies culinaires, tente le Dr Riveline, quand vous faites la fête, par exemple. »« Ici on fait pas trop la fête », rétorque Nasser. Ah oui, pardon.
L’ambiance est bonne, la parole libre. « C’est un peu la récré », convient le médecin, qui inscrit une foule de schémas au tableau, maintient la discipline quand les rangs se dissipent un peu et relance le débat autour de la teneur glycémique de la pita. Vers midi, la leçon s’achève par un « On a bien bossé » satisfait. Rendez-vous est pris pour un bilan la semaine suivante, sur l’application pratique de la séance.
La réunion donne aussi l’occasion d’exprimer ses craintes autour du vécu de la maladie dans ces conditions de vie si particulières. « Je crains l’hypoglycémie la nuit, j’ai peur qu’on ne m’entende pas, que mon codétenu, s’il se réveillait, ne sache pas quoi faire. »
L’occasion aussi de revendications : « On nous a parlé d’un examen podologique, d’une douche médicale... » Et de questions pratiques : « N’est-ce pas nuisible de conserver son insuline dans sa cellule en été, sans qu’elle ne soit au frais ? »
L’effet groupe fonctionne, en tous cas. « Le témoignage d’un autre malade vaut plus que le discours du médecin, paternaliste, autoritaire », constate humblement le diabétologue.
La prison, l’occasion de se soigner ?
« J’y allais en traînant des pieds », avoue le Dr Riveline, qui assure aujourd’hui ses consultations à Fleury avec passion. « Je me suis fait un point d’honneur à ne pas connaître leur passé. » Fervent partisan de l’insulinothérapie fonctionnelle, son ambition reste modeste : apporter un petit mieux, créer un intérêt des détenus pour leur diabète, leur donner des bases. « Bien sûr, deux séances, c’est insuffisant. Mais je veux leur montrer qu’il y a des solutions. Notre enseignement reste très théorique. Il faudrait pouvoir, comme à l’hôpital, organiser des déjeuners avec les diététiciennes afin de mettre en pratique. Mais, déjà, organiser une réunion avec trois détenus a été assez compliqué. »
La prison, une occasion de se soigner ? « J’ai eu des séances à l’hôpital, avant d’être emprisonné. Et bien, je peux dire qu’ici, le personnel n’est pas du tout au rabais », glisse Nasser en aparté. Omar, lui, est catégorique : « Ça fait 26 ans que je suis diabétique. Avant d’entrer en prison, je le zappais, mon diabète. Maintenant, je ne rate aucune injection. »
Une étude menée à Fleury sur l’évolution de l’équilibre glycémique de 14 patients révèle que la première HBA1C (hémoglobine glyquée) mesurée pendant l’incarcération se situe à 10,1 % et la dernière à 8,7 %. Et le retour « dehors » ? « Il faudra probablement changer vos doses », conseille le Dr Riveline à Nasser, qui travaille de nuit. « Ce sera mon premier Ramadan en tant que diabétique », sourit-il.
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