L’héritabilité du diabète de type 2 (DT2) est bien connue des cliniciens. Si la recherche de variants géniques potentiellement impliqués a suscité un intérêt certain, rapidement il s’est avéré que ces gènes avaient un impact faible et décroissant au fur et à mesure de leur découverte (plus de 80 actuellement), ne totalisant finalement que 10 à 15 % de l’héritabilité du DT2. L’environnement et les traditions familiales ne comptant que pour un tiers, il resterait donc 50 % de l’origine de l’héritabilité de cette maladie à découvrir. Variant rare mais à fort impact, épigénétique ? Ce sujet a fait l’objet d’une session entière au congrès.
Une modification qui peut persister
L’épigénétique est définie comme toute modification de l’expression des gènes, liée à l’environnement au sens large, n’impliquant aucune modification du code lui-même. Bien que nos cellules somatiques portent toutes le même ADN, l’expression de cette information et donc le phénotype cellulaire, varie à l’évidence d’un organe à un autre.
Quelques exemples de programmation fœtale : les abeilles possèdent le même génome, mais seules celles nourries de gelée royales deviennent reines.
Pendant la gestation chez la souris agouti, l’alimentation plus ou moins riche en donneurs de radicaux méthyles modifie l’expression du gène agouti, aboutissant à une portée, soit claire, soit brun foncé (Wolff, 1998).
Ces phénomènes sont liés à des modifications chimiques, covalentes et potentiellement transmissibles, dans le nucléosome : acylation ou méthylation des histones et surtout de l’ADN. Il a été montré chez l’humain, que la méthylation de l’ADN se faisait au niveau de sites particuliers, les sites CpG, qui peuvent être concentrés dans certaines régions du génome. Cette méthylation s’avère très stable et a donc pu être largement étudiée, en particulier grâce aux nouvelles plateformes spécialisées.
Les facteurs identifiés comme pouvant induire de telles modifications épigénétiques pendant la vie fœtale et au-delà, sont nombreux : soins maternels ou stress, environnement endocrinien (dont hormones sexuelles), reproduction assistée, alimentation et micronutriments, exercice physique, exposition à l’alcool, au tabac ou aux divers polluants qui ne manquent pas.
Une méthylation progressive
L’analyse de 27 000 sites CpG du placenta a montré leur méthylation progressive au cours de la grossesse (Novakovic B). Il était noté ainsi de grandes différences de méthylation chez 1 555 prématurés, comparés à 3 244 nouveaux-nés à terme (Cruikshank, 2013), différences qui se maintiennent 28 semaines après la naissance et jusqu’à l’âge de 18 ans.
Plusieurs études récentes ont montré qu’il existait une « horloge épigénétique », reflet de l’âge biologique, avec une méthylation qui se poursuit tout au long de la vie adulte, indépendamment du sexe, du type de tissu ou d’éventuelles maladies (Marconi, 2015). 350 sites seraient ainsi concernés ; si cette méthylation semble avoir 5 ans d’avance chez un sujet donné, on pourrait, en théorie du moins, lui prédire un décès précoce…
Un méthylome génétique...
Mais la génétique joue aussi un rôle dans la méthylation précoce du génome et la régulation du profil épigénétique néonatal : la « Twin cohort » a suivi et analysé 250 paires de jumeaux, pendant la grossesse, à la naissance, à 18 mois et à 6 ans. Il est apparu que la concordance des valeurs de méthylation entre ces paires de mono ou dizygotes était de 69 vs 50 % pour les cellules mononucléées du sang du cordon ; de 46 vs 0 %, pour les cellules endothéliales de la veine ombilicale (HUVECs) ; de 88 vs 50 % pour les biopsies placentaires. La génétique semble donc bien jouer un rôle dans la détermination du profil de méthylation. L’héritabilité du méthylome est actuellement estimée à 20 %.
Il a été démontré qu’il existe une interaction entre certains variants géniques et l’importance de la méthylation adjacente, d’autant plus forte que le SNIP est plus proche du site CpG. Néanmoins, il existe une forte variabilité du méthylome, y compris entre 2 jumeaux monozygotes, témoignant aussi d’effets environnementaux importants.
... mais aussi environnemental
Certaines expositions in utero, par exemple au tabac, peuvent avoir un fort impact. C’est ce qu’a montré l’analyse de la méthylation du sang du cordon de 1 062 nouveau-nés de la cohorte MoBa (Joubert, 2012), répliqués dans la cohorte NEST. Il faut toutefois que l’exposition au tabac ait été prolongée pendant la grossesse (pas de différence entre les mères non fumeuses et celle ayant arrêté de fumer à l’annonce de la grossesse). Les différences de méthylation restent marquées 18 mois après la naissance (Novanovik, 2014).
Des anomalies connues
Il existe des anomalies démontrées du méthylome à l’origine de certains cancers de l’adulte ou de maladie héréditaires telles les syndromes de Beckwith-Wiedenam, de Silver-Russel, ou le syndrome d’immunodéficience-instabilité centromérique-anomalies faciales (ICF), ce dernier étant dû à l’hypométhylation limitée de l’ADN induite par des mutations de l’un des gènes codant pour une ADN-méthyltransférase.
L’impact du méthylome est par ailleurs suspecté dans un certain nombre de maladies, à commencer par le diabète de type 1 ou de type 2, et l’obésité. Ainsi l’epigenome wide association study (EWAS) analysant 4 millions de sites CpG en 2010, a mis en évidence, chez 74 sujets, la présence de nombreuses régions (227) présentant une extrême variabilité interindividuelle de méthylation (VMR). La moitié de ces VMR était stable sur une période de 11 ans, et 4 d’entre elles covariaient à 2 visites successives avec l’IMC (Feinberg AP 2010). Elles étaient localisées dans, ou à côté, de gènes impliqués dans la régulation du poids ou la survenue d’un diabète.
Depuis, de nombreuses études ont reproduit ces résultats et les ont étendus. Il a été ainsi montré que 13 VMR associés à des gènes en rapport avec le diabète et/ou l’obésité, covariaient avec l’IMC. Il s’agissait en particulier de FTO, TCF7L2, HIF3alpha, PGC1A et LEP. Toutefois, la preuve directe de l’impact de ces modifications épigénétiques à la naissance, sur la survenue ultérieure de maladies, n’est pas envisageable actuellement, car elle impliquerait des études de cohortes démarrant en période anténatale.
Wolff GL, et al. FASEB J August 1998;12:949-57
Novakovic B et al. Am J Obstet Gynecol. 2015 Oct;213(4)
Cruikshank M et al. Genome Med. 2013 Oct 18;5(10):96.
Marconi R, et al. Genome Biology. 2015 Jan 30;16:25
Novakovic et al. Epigenetics. 2014 Mar;9(3):377-86
Joubert BR. Environmental Health Perspectives. 2012 Oct;120(10):1425-31
Feinberg AP et al. Sci Tsansl Med 2010;15;2(49):49ra67
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