Allergène du mois

Noix de cajou : des symptômes souvent sévères

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Publié le 15/04/2019
noix de cajou

noix de cajou
Crédit photo : Phanie

Les diverses noix d’arbres (angl. : tree nuts), fréquemment responsables d’allergies alimentaires (AA) sont souvent englobées dans le cadre large des « fruits secs à coque ». Avec l’arachide (Légumineuse), elles ont suscité de nombreuses études au cours des dernières années. Toutes sont responsables d’AA comme la noix de coco, la noisette, le pignon de pin, les noix du Brésil, de Macadamia, de Nangaille, de pécan (et bien d’autres). Parmi les noix d’arbres responsables d’AA, la noix de cajou occupe une place très importante. Les allergies à ces noix participent aux « nouvelles allergies alimentaires », favorisées par la rapidité des transports et par l’internationalisation (mondialisation) des repas et des desserts (1). Les pays produisant et exportant la noix de cajou sont le Vietnam, le Nigeria, l’Inde et le Brésil. La production mondiale était de 3,58 millions de tonnes en 2010 (2).

Le fruit d'un arbre d'Amérique tropicale

La noix de cajou (noix d’acajou ou d’anacarde, angl. : cashew nut) est le fruit d’un arbre d’Amérique tropicale (est du Brésil) ou Anacardium occidentale. C’est une drupe dont la coque contient une résine caustique et allergisante, avec à l’intérieur une amande comestible. Après diverses opérations (séchage, chauffage, décorticage et torréfaction) la noix de cajou présente ses diverses qualités gustatives, consommée telle quelle ou servie en cuisine comme l'arachide. En Europe, elle est surtout consommée grillée et salée, au cours des apéritifs comme l’arachide. Il existe des « mélanges de fruits à coque » contenant surtout de l’arachide, de la noix de cajou, et d’autres noix, ce qui pose des problèmes d’identification de l’allergène en cause au cours du diagnostic des réactions allergiques. En effet, l’individu ayant consommé un mélange est souvent incapable de nommer l’aliment en cause (allergène), situation qui se complique par la contamination avec des allergènes voisins des autres éléments du mélange. C’est le difficile problème des « allergies alimentaires par procuration ».

Bien que sa pollinisation soit plus entomophile qu’anémophile, il pourrait provoquer des pollinoses, surtout chez les ouvriers qui travaillent dans les plantations ou chez les personnes vivant à leur proximité (3).

Trois allergènes majeurs

Comme la pistache ou la mangue, la noix de cajou contient des oléosines (protéines présentes dans les oléosomes participant au stockage des lipides des graines des oléagineux) qui sont responsables de dermites de contact dont l’aspect très particulier est une éruption rouge et violacée des régions génitales, des fesses, de la face interne des cuisses, dénommée le « syndrome du babouin » (4).

Les allergènes majeurs sont au nombre de trois : Ana o 1 (protéine vicilline-like de PM 50 kDa résistant à la chaleur et à la protéolyse), Ana o 2 (protéine legumin-like de PM 33 kDa) et Ana o 3 (albumine 2S de PM 13c kDa). Tous trois sont des protéines de stockage des graines, et existent sous forme d’allergènes recombinants (rAn  o 1, rAna o 2 et rAna o 3). La présence d’IgEs dirigées contre le recombinant rAna o 3 est un facteur prédictif majeur de la sévérité de cette allergie.

Les allergènes de la noix de cajou affectent des réactions croisées avec les allergènes in vitro avec les allergènes des autres Anacardiacées que sont la pistache (Pistacia vera, angli. : pistachio) et la mangue (Mangifera indica, angl. : mango). Ces réactions croisées in vitro sont importantes avec les allergènes de la pistache (Pis v 1, Pis v 2 et Pis v 3). Elles peuvent avoir une expression clinique, en particulier pour la mangue, les graines de mangue et aussi la pistache (in 2).

Des symptômes différents selon les pays

La noix de cajou provoque des anaphylaxies alimentaires graves, prélétales ou létales. Historiquement, 2 des 6 patients décrits par Sampson et coll. (5) décédés d’anaphylaxie par AA avaient consommé des noix de cajou, l’un dans un sandwich, l’autre dans des friandises. En 2001, parmi 29 patients, âgés en moyenne 7,5 ans, dont 26 (89 %) de moins de 16 ans (89 %), la quantité d’allergènes provoquant les symptômes était minime (6). Certaines études suggèrent que les individus allergiques au pollen de cajou ont un risque élevé de développer une AA à la noix (in 6).

Il existe des spécificités géographiques concernant les allergies aux fruits à coque (7,8). L’AA à la noisette est globalement l’une des plus fréquentes des allergies aux nuts en Europe, entre 1,3 % en Islande et 17,8 % en Suisse (in 7). Si l’allergie à la noisette est la plus fréquente de ces allergies en Europe, les AA aux noix (fruit du noyer) et à la noix de cajou sont les plus fréquentes aux États-Unis, tandis que les allergies aux noix du Brésil, à l’amande et la noix sont les plus fréquentes au Royaume-Uni (9).

L’âge d’apparition de ces AA est variable : l’AA à l’arachide (cacahuète) débute précocement (avant l’âge de 1 an) aux États-Unis, plus tardivement en Europe. Il existe une différence entre Israël et le Royaume-Uni : en Israël, l’AA à l’arachide est rare car les protéines d’arachide sont introduites de façon précoce dans l’alimentation du nourrisson, ce qui entraîne une acquisition de tolérance, alors que l’inverse est constaté au Royaume-Uni (10, 11).

Les symptômes cliniques de toutes ces AA vont du syndrome d’allergie orale (SAO) à l’anaphylaxie. L’exposition aux pollens, variable selon les régions, explique les différences de prévalence de ces AA. Les SAO sont liées à l’homologie entre les pollens responsables et les protéines PR10 (pour protein related 10). Les symptômes sévères sont liés aux protéines de stockage des graines.

La notion la plus importante acquise au cours des dernières années est que les symptômes de l’AA à la noix de cajou peuvent être au moins aussi graves que ceux de l’AA à l’arachide. Les premières grandes séries d’allergie à la noix de cajou ont été publiées entre 2001 et 2007 (12-14).

— L’étude de Rancé et coll. (13) portait sur 41 enfants âgés en moyenne de 2,7 ans non atteints d’AA associée à l’arachide. L’âge moyen lors de la première réaction était de 2 ans. Seul un enfant sur 5 avait été exposé auparavant à la noix de cajou. Les symptômes étaient cutanés (56 %), respiratoires (25 %) et digestifs (17 %). Près d’un enfant sur deux (44 %) avait des AA associées, en particulier à la pistache. Le diamètre moyen des prick-tests (PT) était de 7 mm et la moyenne de la concentration des IgE sériques spécifiques (IgEs) était de 3,1 kUA/L (17).

— L’étude de Clark et coll. (14) comparait 47 enfants ayant une AA à la noix de cajou et 94 enfants atteints d’AA à l’arachide. Si les signes d’appel étaient les mêmes dans les deux groupes (mis à part une fréquence plus élevée de l’asthme chez les allergiques à l’arachide), des symptômes sévères comme le wheezing (OR = 8,4 ; IC 95 % [3,2-20]) et les troubles cardio-vasculaires (OR = 13,6 ; IC95 % [5,6-32,8]) étaient très nettement plus fréquents chez les allergiques à la noix de cajou, suggérant que cette dernière était plus grave que l’allergie à l’arachide. En effet, globalement, le risque de réaction sévère (dyspnée importante et/ou collapsus) évalué par la méthode des odds ratio (OR) était très fortement augmenté dans le groupe « cajou » (OR = 25,1 ; IC95 % [3,1-203,5]) (14).

Dès 2005, Davoren et coll. (15) avaient insisté sur le fait que l’AA à la noix de cajou était associée à un haut risque d’anaphylaxie, puisque l’incidence de celle-ci était de 74,1 % pour cette noix et de 30,5 % pour l’arachide.

— L’étude de Delahaye et coll. (16) a précisé les facteurs prédictifs de sévérité de l’AA à la noix de cajou : i) absence de réaction allergique antérieure à la noix de cajou (OR = 2,8 ; IC95 % [1,1-7,3]) ; ii) existence d’un asthme (OR = 8,4 ; IC95 % [1,2-6,6]) ; iii) sexe féminin (OR = 7,5 ; IC95 % [2-27,9]) ; iv) taille du PT à la noix de cajou supérieure ou égale à 8 mm (OR = 11,6 ; IC95 % [2,6-52,2]). Le facteur prédictif statistiquement le plus important était la taille du PT (16).

Une évolution des modalités de diagnostic

Un score prédictif de diagnostic est basé sur le dosage des IgEs dirigées contre la noix de cajou. Maynadié et coll (17) ont proposé un score combinant les IgEs, la mesure des PT et le sexe des patients. Selon les auteurs, le test de provocation par voie orale (TPO) pourrait être évité pour les patients ayant un score égal ou supérieur à 8, alors qu’il deviendrait nécessaire si le score était inférieur à 4 (17).

Au Japon, pour Inoue et coll. (18), le TPO est nécessaire chez les patients ayant des antécédents de réactions immédiates à la noix de cajou et chez les patients sans antécédents dont des IgEs supérieures à 66,1 kUA/L (18).

Récemment Bourcier et Bourrier (19) ont tiré les conclusions d’une série de 36 TPO à la noix de cajou et, plus récemment, des dosages d’IgEs contre rAna o3. Cette étude rétrospective (2007-2016) porte sur 36 enfants (28 garçons et 8 filles), âgés en moyenne de 3 ans lors du premier bilan allergologique et de 8 ans 1 mois au moment du TPO. Le dosage des IgEs contre rAna o 3 (f443), seulement disponible depuis septembre 2013, n’a pu être effectué que chez 15 enfants. Le TPO a été effectué avec des noix de cajou non grillées, administrées toutes les 30 minutes jusqu’à une dernière dose de 2 500 mg, ce qui correspond à une dose cumulée de 4 441 mg (équivalent à 3 ou 4 graines de cajou) pour un TPO complet (19). Parmi les 36 enfants, 14 avaient des PT comparables avant et après le TPO, 18 des réactions moins importantes (négatives pour 5 d’entre eux), et 4 des tests plus fortement positifs après le TPO. Au cours du TPO, la dose cumulée prévue (4 441 mg) fut atteinte par 25 enfants (69,5 %), 15 sans symptôme clinique (41,7 %) et 21 avec des réactions cliniques nécessitant 11 fois l’arrêt du TPO. Globalement, 36 % des enfants ont développé une réaction anaphylactique au cours du TPO, 8 d’entre eux ayant dû recevoir de l’adrénaline IM. Par contre, près de la moitié des enfants (41,6 %) n’a présenté aucune réaction clinique pendant le TPO et les 4 heures donc surveillance post-TPO, ce qui démontre la possibilité d’acquisition d’une tolérance orale spontanée à la noix de cajou (19).

En pratique, contrairement à une opinion qui considérait que l’AA à la noix de cajou était durable, cette étude montre qu’elle peut guérir, avec acquisition d’une tolérance orale spontanée (19). Néanmoins des études supplémentaires sont nécessaires pour : i) valider les scores cliniques prédictifs (dont celui de Maynadié qui est le plus prometteur) ; ii) préciser la valeur du dosage des IgEs contre rAna o 3 et les critères d’indication des TPO ; iii) déterminer les phénotypes prédictifs de l’évolution de l’AA à la noix de cajou.

L’auteur n’a aucun conflit d’intérêt

(1) Dutau G. « Noisette et noix ». In : « Le Dictionnaire des Allergènes ». Phase 5 Édit., 2010, pages 216-222

(2) van der Valk JPM, Dubois AEL, Gerth van Wijk R, et al. Systematic reviewon cashew nut allergy. Allergy 2014 ; 69(6) : 692-8

(3) Noix de cajou. In : https://fr.wikipedia.org/wiki/Noix_de_cajou (consulté le 28 mars 2019)

(4) Schmutz JL, Barbaud A, Tréchot Ph. Syndrome babouin : des nouvelles de l’arrière. Ann Dermatol Vénéréol 2001 ; 128(12) : 1378

(5) Sampson HA, Mendelson L, Rosen JP. Fatal and near-fatal anaphylactic reactions to food in children and adolescents. N Engl J Med 1992 ; 327

(6) : 380-4(6) Tarik SM, Stevens M, Matthews S, et al. Cohort study of peanut and tree nut sensitisation by age of 4 years. Allergy 1996 ; 313(7056) : 514-7

(7) Caubet JC. Noix et pneumallergènes :spécificités géographiques. Rev Fr Allergol 2018 ; 58(3) : 138-9

(8) Burney PG, Potts J, Kummeling I, Mills EN, Clausen M, Dubakiene R, Barreales L, Fernande-Perez C, Fernandez-Rivas M, et al. The prevalence and distribution of food sensitization in European adults. Allergy 2014 ; 69(3) : 365-71

(9) McWilliam V, Koplin J, Lodge C, Tang M, Dharmage S, Allen K. The Prevalence of Tree Nut Allergy: A Systematic Review. Curr Allergy Asthma Rep. 2015; 15(9):54

(10) Du Toit G, Katz Y, Sasieni P, et al. Early consumption of peanuts in infancy is associated with low prevalence of peanut allergy. J Allergy Clin Immunol 2008; 122(5): 984-91

(11) Du Toit G, Sayre PH, Roberts G, et al. Immune Tolerance Network LEAP-On Study Team. Effect of avoidance on peanut allergy after early peanut consumption. N Engl J Med 2016 14; 374(15): 1435-43

(12) Hourihane JO, Harris H, Langton-Hewer S, et al. Clinical features of cashew allergy. Allergy 201 ; 56(3) : 252-3

(13) Rancé F, Bidat E, Bourrier T, Sabouraud D. Cashew allergy : observations of 42 children withou associated peanut allergy. Allergy 2003 ; 58(1é) : 1311-4

(14) Clark AT, Anagnostou K, Ewan PW. Cashew nut causes more severe reactions than peanut : case-matched comparison in 141 children. Allergy 2007 ; 62(8) : 913-6

(15) Davoren M, Peake J. Cashew nut allergy is associated with a high risk of anaphylaxis. Arch Dis Child. 2005; 90(10): 1084-5

(16) Delahaye CN, Pelletier F, Luc A, et al.. Facteurs prédictifs de l’allergie sévère à la noix de cajou chez l’enfant. Rev Fr Allergol 2018 ; 58(3) : 224

(17) Maynadié H, Viel S, André-Gomez SA, et al. L. Score prédictif de l’allergie à la noix de cajou : intérêt dans la prise en charge clinique. Rev Fr Allergol 2018 ; 58(3) : 224-5

(18) Inoue T, Ogura K, Takahashi K, et al. Risk factors and clinical features in cashew nut oral food challenges. Allergy Immunol 2018 ; 175(1-2) : 99-106

(19) Bourcier M, Bourrier T. Allergie à la noix de cajou := 36 tests de provocation orale pédiatriques à la noix de cajoiu avant le rAna o 3. Rev Fr Allergol 2018 ; 58(8) : 556-63

Pr Guy Dutau

Source : lequotidiendumedecin.fr