À la fin du siècle dernier, la célèbre étude UKPDS a montré que maintenir pendant 9 ans une pression artérielle (PA) à 144/82 mmHg vs 154/87 mmHg en moyenne diminuait de façon significative le risque de décès et de complications macro et microvasculaires chez des patients présentant un DT2 nouvellement diagnostiqué (1). À la suite de ces résultats, le principe du lower is better s’est peu à peu imposé, malgré l’absence de réelle validation scientifique : les recommandations nationales et internationales ont alors fixé des objectifs de PA très ambitieux dans le DT2, généralement autour de 130/80 mmHg. On se souvient en France des recommandations 2006 de l’AFSSAPS et de la HAS préconisant de viser chez les DT2 une PA strictement inférieure à 130/80 mmHg et même à 125/75 mmHg en cas de protéinurie.
Cependant, au début des années 2010, la plupart de ces sociétés savantes, qu’elles soient américaines (JNC8 2014, ASH 2014), européennes (NICE 2011, ESH/ESC 2013) ou françaises (Société Française d’Hypertension 2013) a relevé la valeur cible de PA chez les diabétiques de 130/80 mmHg à 140/85 mmHg ou le plus souvent 140/90 mmHg en raison :
¶1. d’études observationnelles montrant une courbe en J entre PA et complications cardiovasculaires avec excès de risque pour les PA les plus basses
¶2. de l’absence de preuves concluantes du lower is better dans les études randomisées, et notamment dans l’essai ACCORD-Blood Pressure (2).
Une discordance entre les études
Dans cet essai mené chez 4733 DT2 à haut risque cardiovasculaire, un objectif de PA systolique (PAS) < 120 mmHg ne faisait pas mieux sur l’incidence des événements cardiovasculaires qu’un objectif conventionnel < 140 mmHg (sauf pour les AVC non fatals). Pourtant, en 2015, l’étude SPRINT venait rebattre les cartes en montrant exactement l’inverse dans une population de 9361 patients à haut risque cardiovasculaire mais non diabétiques - l’essai étant même interrompu prématurément en raison d’un bénéfice majeur sur la morbi-mortalité cardiovasculaire dans le groupe objectif PAS < 120 mmHg (3). L’une des principales explications à la discordance apparente entre les deux études est le manque de puissance statistique de l’essai ACCORD-Blood Pressure au cours duquel le nombre d’événements s’est avéré plus faible qu’attendu.
Alors faut-il aujourd’hui extrapoler les concusions de SPRINT à la population diabétique ? Doit-on à nouveau revoir les objectifs tensionnels à la baisse chez ces sujets ? Des données récentes permettent d’apporter quelques éléments de réponse. Une étude de population suédoise basée sur l’analyse de registres nationaux et portant sur plus de 180 000 DT2 âgés de moins de 75 ans en prévention primaire a retrouvé, sur un suivi moyen de 5 ans, une relation linéaire entre PAS et événements cardiovasculaires majeurs, avec élévation progressive du risque depuis 110-119 mmHg jusqu’à > 160 mmHg ; cependant, une courbe en J était à nouveau mise en évidence pour la mortalité totale et l’insuffisance cardiaque illustrant pour ces deux paramètres un excès de risque pour une PAS entre 110 et 119 mmHg par rapport à une PAS entre 130 et 139 mmHg (4). Cette majoration du risque de mortalité et d’insuffisance cardiaque pour les PA les plus basses pourrait être liée à la présence de facteurs confondants traduisant une fragilité accrue des sujets. Une autre étude de registre portant sur des patients avec coronaropathie stable dont environ 30 % de diabétiques retrouve également une courbe en J avec un excès de risque d’événements cardiovasculaires majeurs lorsque la PA est inférieure à 120/70 mmHg vs 120-129/70-79 mmHg (5). Enfin, deux méta-analyses récentes ont montré qu’il n’y avait pas de bénéfice cardiovasculaire à faire baisser la PA des diabétiques présentant une PAS initiale < 140 mmHg et/ou à obtenir une PAS < 130 mmHg, sauf pour réduire le risque d’AVC (6-7).
Des objectifs tensionnels individualisés
Alors objectif < 130/80 ou < 140/90 mmHg ? Comme pour le contrôle glycémique et la valeur cible d’HbA1c, les objectifs tensionnels doivent aujourd’hui être individualisés chez le patient diabétique (selon l’âge, les comorbidités, les complications cardiovasculaires et rénales, les effets secondaires des traitements, l’observance…), avec sans doute un intérêt à aller vers les valeurs basses pour la majorité des patients mais à rester plus prudent pour les patients les plus fragiles ou présentant des complications vasculaires avancées. C’est le sens des toutes dernières recommandations de l’ESC préconisant un objectif < 140/85 mmHg pour la majorité des patients et < 130/80 mmHg pour les patients les plus jeunes et à risque cardiovasculaire élevé (8). Les recommandations 2016 de l’American Diabetes Association vont exactement dans le même sens (< 140/90 mmHg en général, < 130/80 mmHg pour les patients les plus jeunes et à risque cardiovasculaire élevé) (9).
(1) The UKPDS Group. BMJ 1998;317: 703-13
(2) The ACCORD Study Group. N Engl J Med 2010;362:1575-85
(3) The SPRINT Research Group. N Engl J Med 2015; 373:2103-16
(4) Eryd SA et al. BMJ 2016 ;354:i4070
(5) Vidal-Petiot E et al. Lancet 2016, http://dx.doi.org/10.1016/S0140-6736(16)31326-5) (6) Emdin CA et al. JAMA 2015;313 :603-15
(7) Brunstorm M et al. BMJ 2016;352:i717
(8) Piepoli MF et al. Eur Heart J 2016 ;37 :2315-81
(9) ADA. Diabetes Care 2016 ;39 (suppl 1) :S60-S71
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