Environ une personne vivant avec un diabète sur quatre présentera une plaie du pied au cours de sa vie. Il s’agit de personnes de plus en plus âgées, présentant de plus en plus de comorbidités, ce qui va compliquer leur prise en charge. Ainsi, le pied diabétique représente l’une des principales causes d’hospitalisation dans les services de diabétologie. Cette complication est encore la première cause d’amputation en France, si l’on exclut les accidents de la voie publique.
LE QUOTIDIEN : Quelles sont les grandes évolutions de ce nouveau référentiel ?
PR ARIANE SULTAN : Le dernier référentiel pied diabétique datait de 2010 et était paramédical. Il était devenu nécessaire de l’actualiser. Nous avons également voulu un référentiel commun — médical et paramédical — pour illustrer l’importance de la pluridisciplinarité dans la prise en charge de ces patients vivant avec un diabète et présentant des troubles trophiques.
Cette prise en charge pluridisciplinaire repose sur un acronyme : Midas. M. pour prise en charge Métabolique (équilibre glycémique et dénutrition). I pour prise en charge Infectieuse. D pour Décharge. A pour prise en charge de l’Artériopathie des membres inférieurs. S pour Soins locaux. Des publications ont montré que cette prise en charge Midas est associée à une diminution très significative des amputations majeures, avec une augmentation du pourcentage de patients qui ne nécessitent pas d’amputation.
La dénutrition étant associée à un retard de cicatrisation, quelle est la démarche ?
Des données concernant la prévalence de la dénutrition chez les patients vivant avec un diabète et hospitalisés pour plaie du pied rapportent des taux de 30 à 70 % de sujets dénutris. Or, chez ces patients, la dénutrition est associée à une augmentation du risque d’amputation et du risque de mortalité. La dénutrition est d’autant plus présente que le grade de la plaie du pied est important. Il faut donc savoir dépister et évaluer l’état nutritionnel chez les personnes hospitalisées pour plaie du pied, car supplémenter de façon systématique sans évaluer au préalable l’état nutritionnel n’a démontré aucun bénéfice en termes de cicatrisation : il n’existe pas de données dans le pied diabétique qui valide la supplémentation en l’absence de dénutrition.
En sait-on un peu plus sur la physiopathologie ?
Dans les plaies du pied chez les personnes vivant avec un diabète, les données scientifiques montrent un allongement de la phase inflammatoire, une prolifération vasculaire qui se fait moins bien et une phase de remodelage très perturbée avec un excès de métalloprotéases. Lorsque s’y rajoute une dénutrition, la synthèse de collagène est perturbée, la phase inflammatoire prolongée et la phase immunitaire, altérée. Le déficit en macronutriments altère toutes les phases de la cicatrisation et de la qualité de la peau.
Quelle prise en charge pour l’infection ?
L’infection, qui est un facteur aggravant, doit être traitée par antibiothérapie ciblée en fonction de l’atteinte cutanée ou osseuse. En revanche, il n’y a pas d’indication à une antibiothérapie probabiliste (en prévention). Il est préférable d’obtenir un prélèvement de qualité (tissulaire et/ou osseux en cas de suspicion d’ostéite). La nouveauté est que certains centres (dont Lariboisière) développent la biopsie osseuse au lit du malade, pour réduire les délais d’attente lorsque le geste est effectué par un chirurgien, qui peuvent atteindre plusieurs jours ou semaines. Cela nécessite un duo médecin-infirmier.
Et pour l’artériopathie oblitérante des membres inférieurs ?
Au vu de l’évolution du phénotype des personnes, au-delà de l’examen clinique, il faut effectuer un échodoppler artériel de façon systématique pour s’assurer des possibilités de cicatrisation. La possibilité de mettre en place une procédure de revascularisation est un critère majeur de labellisation pour être reconnu en tant que centre expert pied (il faut donc avoir accès à un chirurgien vasculaire). Le bilan vasculaire doit être effectué avant tout parage chirurgical ou toute amputation.
Y a-t-il des nouveautés concernant les soins locaux ?
L’étude Explorer, randomisée, multicentrique, qui a évalué les pansements Urgostart Interface est la première à avoir validé un pansement dans la prise en charge du pied diabétique sur des plaies neuro-ischémiques modérées : le délai de cicatrisation est réduit de deux mois et le pourcentage de plaies cicatrisées est augmenté. Ce pansement est désormais recommandé par les sociétés savantes dans la prise en charge de ces plaies. Sur le plan médico-économique, les données sont également favorables.
Quid du parcours de soins primaires ?
C’est une grande nouveauté qui vise à répondre aux problématiques actuelles du pied diabétique, et notamment au retard de prise en charge et au manque de pluridisciplinarité. Selon les caractéristiques de la personne d’une part et de la plaie d’autre part, un parcours de soins primaire a été proposé par le D-Foot et validé par la Société francophone du diabète (SFD), précisant les niveaux de recours en fonction du phénotype de la personne et des caractéristiques de sa plaie.
Ce parcours tient compte des comorbidités à haut risque (insuffisance cardiaque, rénale terminale, précarité sociale, troubles psychiatriques), d’une approche globale (antécédents médicaux, sociaux, examen clinique, biologie) et bien sûr de l’évaluation de la plaie du pied diabétique. On distingue ainsi trois parcours de soins :
• Si les pouls sont perçus et en l’absence d’infection, de nécrose, de mise à nue des os, muscles et/ou tendon, c’est une plaie de pied diabétique non compliquée relevant d’une décharge et de soins locaux et d’un contact avec une structure spécialisée pied diabétique, d’un suivi hebdomadaire avec bilan à deux semaines : si la surface de la plaie a diminué de 25 % avec des signes de bourgeonnement ou de ré-épithélialisation, la prise en charge est poursuivie avec mise en place d’une prévention secondaire après cicatrisation.
• Dans le cas contraire, ou lorsque l’on retrouve d’emblée une nécrose sèche, une mise à nue de l’os, du muscle et/ou du tendon, de pouls périphériques abolis, de signes d’infection et/ou de comorbidités à haut risque, il s’agit d’une plaie de pied diabétique compliquée relevant des soins de référence et d’une orientation vers une structure spécialisée du pied diabétique de référence sous 48 heures, d’un suivi et d’une régulation régulière, sans oublier la prévention secondaire après cicatrisation.
• Enfin, en cas d’abcès, de gangrène humide ou extensive, de fièvres ou d’autres signes de sepsis, il s’agit d’une plaie de pied diabétique en urgence absolue, relevant d’une hospitalisation en urgence dans une unité de pied diabétique spécialisée et un suivi par ce type de structure après la prise en charge initiale.
Le Groupe Pied de la SFD a réalisé un annuaire des centres experts, sur des critères comprenant notamment l’accès à un diabétologue, la possibilité de consultation en urgence, de procédure de revascularisation, l’accès à une équipe pluridisciplinaire, qui sera publié sur le site de la SFD.
Quelles mesures préventives mettre en place, après cicatrisation ?
L’évaluation du grade podologique doit faire partie de l’examen clinique de la personne vivant avec un diabète. Il comprend la palpation des pouls, le test au monofilament de Semmes-Weinstein, la recherche de déformation, la recherche d’antécédent d’amputation.
Quatre grades (de 0 à 3) sont ainsi définis, et leur détermination conditionne la fréquence d’examen des pieds, l’accès au podologue et le nombre de soins remboursés, la prise en charge de chaussures sur mesure, l’éducation thérapeutique personnalisée et enfin, l’accès et le suivi par un centre expert pied.
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