Quelque 450 000 patients atteints de diabète — dont environ 200 000 un diabète de type 1 (DT1) — ont déjà recours à la mesure en continu du glucose (MCG). Alors que jusqu’ici, seules les personnes vivant avec un diabète de type 2 (DT2) recevant au moins trois injections d’insuline par jour étaient concernées, le 18 octobre 2022, la commission nationale d’évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé (Cnedims) de la HAS a donné son accord pour sa prise en charge, chez les DT2 sous insuline basale, du FreeStyle libre 2.
Ces chiffres vont donc encore augmenter et, de fait, le généraliste y sera de plus en plus souvent confronté.
LE QUOTIDIEN : Quelles sont les limites de la mesure de l’HbA1c ?
Pr Bruno Guerci : L’hémoglobine glyquée (HbA1c) est une molécule d’hémoglobine qui a subi une réaction de glycation, à savoir, la fixation d’un sucre sur la fonction amine N-terminale d’une protéine (NH2), en l’occurrence, les chaînes d’hémoglobine. La glycation est un phénomène lent et spontané, affectant toutes les protéines de l’organisme. En l’absence de diabète, elle représente 4 à 6 % de l’hémoglobine totale et est directement dépendante de la glycémie ainsi que de la durée d’exposition au glucose. Comme la durée de vie des globules rouges tourne autour de 120 jours, l’HbA1c est le reflet des 3 derniers mois précédant la prise de sang. L’HbA1c est donc considérée comme un bon indicateur de l’équilibre glycémique des trois derniers mois, en lien très fort avec le risque de survenue de microangiopathie.
Cela étant, certaines HbA1c sont difficiles à normaliser chez des patients pourtant observants au traitement et faisant des contrôles glycémiques réguliers. Se pose alors la question de savoir s’il n’y a pas une hémoglobine anormale, ou une cause venant troubler la mesure de l’HbA1c et la rendant ininterprétable.
De quels biais peut-il s’agir ?
La présence d’hémoglobines anormales en circulation (comme la présence d’hémoglobine fœtale) peut interférer sur le dosage, mais elle est généralement détectée par le biologiste. Beaucoup plus souvent, c’est une modification du turn-over des globules rouges qui est en cause : un turn-over insuffisant par une carence en fer, en vitamine B12 ou en folates se traduit par une surestimation de l’HbA1c. C’est aussi le cas pour l’insuffisance rénale avec anémie par carence en érythropoïétine.
À l’inverse, en cas de turn-over accru par hémolyse ou hémorragie ou dans la grossesse par hémodilution, le taux d’HbA1c est sous-estimé. Il existe enfin des variants d’hémoglobine ou des mutations ou modifications de la structure de la protéine, qui peuvent entraîner une sous- ou une sur-estimation de l’HbA1c, ainsi que des kits de dosage différents entre les laboratoires d’analyse. Pour toutes ces raisons, l’HbA1c n’est pas une mesure parfaitement fiable pour tous les patients.
Existe-t-il également une variabilité interindividuelle du processus de glycation ?
Tout à fait. Certains sont glycateurs forts, d’autres sont glycateurs faibles, selon que leur hémoglobine fixe plus ou moins vite et plus ou moins fort le glucose. Cela veut dire par exemple que, pour une glycémie moyenne à 1,50 g/l, qui devrait correspondre à une HbA1c estimée de 7 %, certains vont avoir une HbA1c à 8 % (glycateurs forts). Il faut donc se méfier de résultats très discordants.
Normalement, chaque augmentation de 0,30 g/l de glycémie moyenne se traduit par 1 point supplémentaire d’HbA1c : une glycémie moyenne à 1,20 g/l équivaut à une HbA1c de 6 %, une glycémie moyenne à 1,50 g/l équivaut à une HbA1c de 7 % et une glycémie moyenne à 1,80 g/l équivaut à une HbA1c de 8 %.
Que faire devant ce type de discordance ?
Rechercher des variants d’hémoglobine reste du domaine de la recherche et ne se fait pas en routine clinique. Il peut être alors utile de se fier à la MCG, qui ne dépend pas du nombre de globules rouges car elle mesure le taux de glucose dans le tissu interstitiel, et qui bénéficie d’une méthode de mesure identique pour tous.
Qu’en disent les études cliniques ?
Une dizaine d’articles démontre que l’équilibre glycémique évalué par la MCG est bien corrélé au risque de complications liées au diabète, dans le DT1 comme dans le DT2. Les patients qui ont de mauvais résultats de MCG ont une prévalence élevée de complications microangiopathiques et un risque accru d’en développer dans le futur : cela vient confirmer que la MCG peut être considérée comme un élément décisionnel et pronostique de néphropathie, rétinopathie et neuropathie.
La MCG apporte également des résultats plus complets et plus rapidement disponibles que l’HbA1c, dont le dosage n’est recommandé que tous les trois mois. C’est un réel atout chez les patients vivant avec un DT1 sous boucle fermée ou pompe à insuline. La MCG permet en effet de repérer des épisodes hypo- et hyperglycémiques et de faire une évaluation de l’évolution de l’équilibre glycémique du diabète, si nécessaire, tous les 15 jours.
Quelle est la place de la MCG dans le DT2 ?
Même si les systèmes s’améliorent et se miniaturisent, certaines personnes vivant avec un diabète ne sont pas prêtes à accepter la présence permanente d’un capteur de glucose inséré sous la peau ; d’ailleurs, ce n’est pas nécessaire chez un patient vivant avec un DT2 bien équilibré par son traitement oral, et qui ne présente aucune discordance des résultats biologiques.
L’acceptabilité de la MCG peut être moindre chez les personnes vivant avec un DT2 que chez celles vivant avec un DT1, car la variabilité de leur diabète est de deux à trois fois moindre, avec un risque d’hypoglycémie plus faible.
Pour autant, la place de la MCG dans le DT2 est amenée à croître. La proportion des patients vivant avec un DT2 traités par insuline basale est de l’ordre de 20 % (étude Entred 3), pour 5 % seulement sous insulinothérapie exclusive. L’ouverture de la prise en charge de la MCG avec le FreeStyle libre 2 pour ces patients sous insuline basale va donc augmenter le nombre d’utilisateurs de la MCG et, de fait, le généraliste y sera de plus en plus confronté.
Quelles données le généraliste devra-t-il prendre en compte ?
Le plus simple est de s’appuyer sur les logiciels de gestion des données, qui permettent d’obtenir une vision synthétique des informations clé, sans se noyer dans les milliers de données recueillies sur 15 jours à 3 mois : combien de temps le patient a-t-il porté le capteur ? Combien de temps a-t-il passé dans la zone cible, c’est-à-dire entre 0,70 et 1,80 g/l, l’objectif étant d’être au moins 70 % du temps dans cette « fourchette de glucose » ? Quel est le temps passé sous la cible, à savoir un taux de glucose de grade 1, ≤ 0,70 g/l mais ≥ 0,54 g/l (normalement, pas plus de 4 % et même pas plus de 1 % pour les patients âgés ou fragiles) ? Et combien, concernant les hypoglycémies de grade 2, < 0,54 g/l (normalement, pas plus de 1 % du temps) ? Enfin, la variabilité du diabète est-elle importante, et partiellement majorée par les prises alimentaires par exemple, et/ou la réalisation d’une activité physique ? Voilà l’essentiel à connaître pour avoir une vision d’ensemble de l’équilibre du diabète et définir s’il y a besoin, ou non, d’ajuster le traitement.
L’une des possibilités pour se familiariser avec les rapports de MCG, outre les EPU et les échanges avec les diabétologues, est la télé-expertise, qui est valorisée. C’est d’autant plus important que les preuves de l’intérêt et de l’efficacité de la MCG comme critère principal de jugement de l’équilibre glycémique, sont désormais très nombreuses.
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