LE QUOTIDIEN : Quels sont les principaux avantages de l’utilisation de la metformine, par rapport aux autres molécules ?
PR JEAN-DANIEL LALAU : Le traitement par metformine réduit en moyenne l’hémoglobine glyquée d’au moins 1 % : c’est moins qu’avec les agonistes du récepteur du GLP-1 (arGLP1), mais proche de la baisse induite par les sulfamides, qui prennent de moins en moins de place dans la stratégie thérapeutique, et mieux qu’avec les iDPP4 (gliptines) et les iSGLT2 (gliflozines).
De plus, l’étude du Diabetes prevention program (DPP) a montré qu’il était possible, dans une population de sujets intolérants au glucose, de prévenir l’apparition du diabète avec la metformine (qui a une indication à ce titre notamment aux États-Unis).
Qu’en est-il de ses effets secondaires, qui peuvent parfois freiner l’utilisation ?
En pratique clinique, les effets secondaires peuvent être fréquents, mais aussi contrôlés. L’intolérance gastrique est fréquente, mais elle n’est pratiquement plus observée si l’on prend la précaution d’une prise au terme du repas.
Quant à l’intolérance intestinale, elle est aussi fréquente, avec une diarrhée, mais on réduit nettement le risque avec une augmentation très graduée de la posologie, en changeant de sel de metformine si besoin (le Glucophage étant du chlorhydrate de metformine et le Stagid de l’embonate de metformine) ; quitte, enfin, à limiter la dose.
Et le risque d’acidose lactique ?
Il a eu à ce sujet plus qu’un malentendu : c’est une erreur de compréhension du phénomène. La metformine s’est avérée victime d’un syllogisme : la metformine peut induire une acidose lactique, l’acidose lactique peut être mortelle ; en raccourci, la metformine peut être mortelle. C’est ignorer deux cas de figure bien différents.
Premièrement, l’accumulation de metformine, par insuffisance rénale ou par intoxication, peut (mais pas toujours !) induire une acidose lactique. Il s’agit ici d’une simple dérive métabolique : du glucose vers le lactate, d’un substrat métabolique à un autre. En fait, s’il n’y a pas d’insuffisance hépatique et si le foie peut épurer le lactate en excès, il n’y a pas de problème.
Deuxièmement, l’acidose lactique non induite par la metformine est rencontrée dans des syndromes de choc (hémorragique, septique, vasculaire), et c’est la cause de l’acidose lactique qui est en fait dangereuse… À cela près que les études d’association montrent que le pronostic est nettement moins sombre quand il y a un traitement par metformine (du fait de ses propriétés vasculaires et aussi parce que le lactate est mieux oxydé que le glucose dans l’hypoxie, et peut ainsi continuer à fournir de l’énergie).
De toute façon, tous les antidiabétiques présentent des effets secondaires ?
Bien sûr, et les conséquences peuvent parfois être graves avec les autres agents antidiabétiques.
Les sulfamides (dont les glinides) peuvent entraîner une hypoglycémie (insidieuse, car moins intuitive qu’avec l’insuline) ; un peu de prise de poids et peut-être un surcroît d’événements coronariens.
Les arGLP1 peuvent entraîner une intolérance gastro-intestinale parfois marquée, une fatigue, un effet dépresseur de l’appétit parfois marqué et une perte de poids, bien perçue par le patient mais pouvant masquer une diminution de la masse maigre.
Les iSGLT2 peuvent être responsables d’infections génito-urinaires, de déplétion volémique et de cétoacidose.
L’insuline est source d’hypoglycémie et de prise de poids, parfois importante.
Pour rappel, les thiazolidinédiones (glitazones) ont été retirées du marché en France en 2011, notamment en raison d’un risque accru d’insuffisance cardiaque.
Cependant, les antidiabétiques les plus récents ont montré une protection cardiovasculaire ?
Effectivement, à la suite de la constatation d’événements cardiovasculaires défavorables avec les glitazones, la FDA a demandé en 2008 (puis l’EMA en 2010) à ce que tout nouveau traitement antidiabétique fasse montre d’une innocuité cardiovasculaire (avec les études dites de CVOT : cardiovascular outcomes).
Tel a été le cas pour les iDPP4 (gliptines) ; il a même été montré une protection cardiovasculaire et rénale avec les arGLP1 et, plus encore, avec les iSGLT2.
En revanche, la FDA n’a exigé cette démonstration que pour les nouvelles molécules, donc les classes d’antidiabétiques précédemment mises sur le marché en ont été exemptées et ce, alors même qu’il y a une réelle hypothèque d’effets cardiovasculaires délétères avec les sulfamides. La metformine, pour sa part, avait certes montré une réduction importante des infarctus et de la mortalité toutes causes avec l’étude UKPDS (United Kingdom prospective diabetes study), publiée en 1997, mais il faut reconnaître que cette étude n’avait pas suivi la méthodologie aussi rigoureuse que les CVOT actuels, raison pour laquelle elle est décriée aujourd’hui.
En conclusion, quelles sont les propriétés de la metformine au vu de la littérature ?
Le problème, pour la metformine, pour qui l’étude UKPDS a donc perdu son poids, est celui d’une petite molécule, enregistrée il y a très longtemps (en 1957 en France), qui est très peu couteuse (quelques euros par mois), et pour laquelle le fabricant a cessé toute recherche depuis longtemps aussi.
Est-ce à dire qu’elle doit disparaître purement et simplement de l’arsenal thérapeutique ? Ce serait méconnaître l’importance, et la diversité, de ses effets protecteurs. La littérature regorge d’arguments, précliniques et cliniques, montrant des effets protecteurs à plusieurs niveaux, concernant les facteurs de risque classiques de l’athérome, plusieurs anomalies métaboliques (l’insulinorésistance, la sécrétion altérée du GLP1, l’altération du microbiote), la microcirculation, l’inflammation tissulaire, le stress oxydatif ; avec à la clé des bénéfices démontrés : sur le plan cardiovasculaire (certes en l’absence de CVOT…), dans le syndrome des ovaires polykystiques (avec hyperandrogénie), en prévention des maladies neurodégénératives et du vieillissement, en protection rénale, en prévention et/ou en traitement adjuvant de plusieurs cancers, en médecine intensive, dans la fibrose pulmonaire, et même en tant qu’agent antiviviral.
Si l’on doit faire la synthèse de toute la littérature, encore une fois, considérable, on pourrait présenter la metformine d’abord et avant tout comme un « médicament vasculaire » et « anti-âge ».
Au total, nous pourrions renverser le point de vue négatif à l’encontre de la metformine : existe-t-il une autre molécule disponible dans le monde, qui ait de telles qualités pléiotropes ? Aussi, ne pas reconnaître ces vertus protectrices de la metformine me semble relever de la dénégation. Les diabétologues, eux, ne s’y trompent pas, lesquels ont plus que jamais besoin, contre vents et marées, de cette molécule en première intention.
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