Pr Lyse Bordier : « La révolution des co-agonistes GIP-GLP1 se prépare »

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Publié le 30/10/2023
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Le tirzépatide, premier représentant de la nouvelle classe des co-agonistes des récepteurs du polypeptide insulinotrope (GIP) et du glucagon-like peptide-1 (GLP1) était la vedette du 59e congrès annuel de l’Association européenne pour l’étude du diabète (EASD, Hambourg, Allemagne ; 2 au 6 octobre 2023). Sa puissance, en termes de réduction de l’hémoglobine glyquée mais aussi de perte de poids, observée dans les essais pivots Surpass et Surmount, est telle que ce médicament, et les co-agonistes GIP/GLP1 en général, seront potentiellement très intéressants dans le traitement de l’obésité, y compris hors du diabète. C’est le prochain bouleversement auquel s’attend la Pr Lyse Bordier, Cheffe du service d’endocrinologie à l’hôpital d’instruction des armées Bégin (Saint-Mandé), peut-être même dès 2024 dans le traitement du diabète de type 2.
Pr Lyse Bordier

Pr Lyse Bordier
Crédit photo : DR

LE QUOTIDIEN : À l’EASD 2023, les projecteurs étaient braqués sur les co-agonistes aGLP1/GIP. Comment imaginez-vous leur place au sein des thérapeutiques dans le diabète de type 2 (DT2) ?

PR LYSE BORDIER : Les co-agonistes GIP/GLP1 constituent une nouvelle catégorie de traitement du diabète de type 2 (DT2) et la molécule la plus avancée dans son développement est le tirzépatide. Ces co-agonistes ciblent l’effet « incrétine », altéré chez les patients DT2. Jusqu’à présent, l’accent avait surtout été mis sur le développement d’agonistes du récepteur du GLP1 (arGLP1), qui s’avèrent très efficaces, chez les patients « répondeurs », à la fois sur le contrôle de l’hyperglycémie et sur la perte de poids, avec des molécules maintenant hebdomadaires et très puissantes à fort dosage.

Le tirzépatide a une structure basée sur celle du GIP, l’autre hormone responsable de l’effet incrétine, modifiée pour se lier également au récepteur du GLP1. Cela crée un agoniste biaisé qui agit sur les deux récepteurs, mais avec une spécificité accrue envers celui du GIP, jusqu’à cinq fois. Bien au-delà d’une simple addition des effets cliniques de chacun, cette association renforce la réponse sur l’HbA1c et vis-à-vis de la perte pondérale, et plus encore que l’effet des arGLP1.

De plus, étant donné le lien entre l’obésité et le diabète de type 2, le contrôle du poids devient un objectif essentiel dans le traitement, comme l’ont mentionné les recommandations EASD en septembre 2022. L’EASD souligne la « très haute efficacité » du tirzépatide dans le contrôle de la glycémie ainsi que du poids.

Que retenez-vous du programme de développement Surpass, dans le cadre du DT2 ?

Le co-agoniste tirzépatide suscite un formidable intérêt dans la prise en charge du diabète de type 2 du fait de sa puissance d’action. Dans le cadre du programme Surpass, mené chez plus de 6 000 patients, il a été évalué par rapport à un comparateur actif ou à un placebo selon les études. Ce programme comprend six études déjà publiées et deux études additionnelles au Japon (Surpass J-mono et Surpass J-combo). Le tirzépatide a été évalué selon trois doses (5 mg, 10 mg et 15 mg/semaine) avec une titration progressive débutant prudemment à 2,5 mg/semaine, puis augmentant ensuite de 2,5 mg toutes les 4 semaines compte tenu de sa demi-vie de cinq jours (par injection sous-cutanée hebdomadaire).

Les comparaisons ont été réalisées versus placebo dans Surpass 1 (population de patients DT2 non contrôlés sous règles hygiénodiététiques), versus sémaglutide 1 mg dans Surpass 2 (population de patients DT2 mal contrôlés sous metformine), versus dégludec U 100 dans Surpass 3 (population de DT2 mal contrôlés sous metformine avec ou sans iSGLT2), versus glargine U 100 dans Surpass 4 (population de DT2 mal contrôlés sous metformine avec ou sans sulfamide et iSGLT2 et à haut ou très haut risque cardiovasculaire), et versus placebo dans Surpass 5 (population de patients DT2 mal contrôlés sous glargine U 100 titrée avec ou sans metformine). Dans le contexte des patients diabétiques de type 2 en surpoids ou obèses, cette approche est particulièrement bénéfique, offrant une réduction significative de l’hémoglobine glyquée pouvant aller jusqu’à 2,6 % et une perte de poids dose-dépendant pouvant aller jusqu’à 12,9 kg. Le tirzépatide s’est révélé systématiquement supérieur à tous ses comparateurs.

Précisément, l’étude Surpass 6, très récemment présentée au congrès de l’EASD revêt une importance particulière, car elle compare, chez des patients DT2 mal équilibrés sous glargine U 100 avec ou sans metformine, soit l’adjonction du tirzépatide, soit trois injections prandiales de lispro U100. Le tirzépatide s’avère encore supérieur aux trois injections de lispro sur la réduction de l’HbA1c (réduction de 2,1 % versus 1,1 %), mais aussi du poids (perte de 11 kg, versus gain de 3,2 kg) et, surtout, avec dix fois moins d’hypoglycémie. La dose totale d’insuline dans le bras tirzépatide est en moyenne en fin d’étude de 13 unités, versus 104 unités dans le bras lispro ; presque un patient sur cinq dans le bras « tirzépatide » arrête même l’insuline !

De plus, le tirzépatide entraîne une perte de poids dépendant de la masse grasse et améliore également l’insulinosensibilité et la sécrétion d’insuline. Le tirzépatide et le sémaglutide ont un effet similaire sur la réduction de l’apport alimentaire, cependant la perte de poids est supérieure sous tirzépatide. Une question se pose alors : cette perte de poids accrue est-elle due à une augmentation de la dépense énergétique sous tirzépatide, grâce à une action spécifique sur le tissu adipeux de cette molécule ? C’est une perspective très intéressante, car cette action semble distincte de ce que l’on observe avec les agonistes du GLP1, et est probablement liée à l’activation préférentielle de la voie GIP.

Enfin, il existe d’autres effets bénéfiques, tels que la réduction de la stéatose hépatique, comme cela a été démontré dans une sous-étude de Surpass 3 au moyen de l’IRM hépatique, d’où des perspectives prometteuses pour la prise en charge des complications de l’obésité. Synergy-Nash, débutée en 2019, s’arrêtera en 2024.

Si les résultats déjà publiés des études Surpass réalisées à différents stades évolutifs du diabète de type 2 font état de preuves solides d’efficacité tant sur le contrôle de la glycémie que sur le poids, la place exacte du tirzépatide dans la stratégie thérapeutique du DT2 n’est pas encore connue en France. On pourrait l’imaginer dès l’échec de la metformine, notamment chez les patients en surpoids ou en situation d’obésité. Cette molécule devrait aussi être proposée aux patients avant d’envisager une chirurgie métabolique.

Comment ces co-agonistes pourraient-ils être intégrés dans la prise en charge de l’obésité hors diabète ?

Dans l’essai Surmount-1 de phase 3 randomisé contre placebo (hors DT2), à une dose de 15 mg par semaine, le tirzépatide a entraîné une réduction du poids corporel allant jusqu’à 20,9 % après 72 semaines associée à une diminution du tour de taille et à une amélioration globale du profil clinique des participants.

Les résultats de Surmount-4 viennent d’être présentés à l’EASD : la variation moyenne du poids pour l’ensemble des participants sous tirzépatide entre la semaine 0 et 36 était de -20,9 %. Puis ceux randomisés sous tirzépatide ont continué à perdre du poids (-25,8 % de poids en moyenne par rapport au départ) à la semaine 88, comparativement à -9,5 % sous placebo. Les participants sous tirzépatide ont donc perdu 14 % de poids supplémentaire. Des effets positifs ont également été observés sur la circonférence abdominale, l’indice de masse corporelle (IMC) et le profil lipidique. De nouveau, avant de penser « chirurgie bariatrique », les co-agonistes pourraient donc amorcer une perte de poids et créer un cercle vertueux où la réduction pondérale et de l’appétit s’accompagneraient d’une amélioration de l’hygiène de vie (comportement alimentaire, activité physique).

À ce stade, au-delà de la sécurité cardiovasculaire (CV), que savons-nous du niveau de protection cardiovasculaire du tirzépatide ?

L’étude Surpass-CVOT comparant le tirzépatide à un comparateur actif, le dulaglutide, permettra de répondre à cette question. Elle est en cours et a inclus des sujets atteints de DT2 ayant des antécédents de maladies cardiovasculaires. Mais, en attendant ce résultat, nous disposons de certains éléments, avec l’étude Surpass-4 et la méta-analyse préspécifiée de sécurité CV, qui ont montré l’absence de surrisque CV sous tirzépatide. Dans les études Surpass, le tirzépatide a montré une amélioration du profil lipidique, notamment une baisse des triglycérides, des LDL petites et denses, du LDL cholestérol (modeste), mais aussi de la pression artérielle, des marqueurs de l’inflammation systémique ou de stress cellulaire. De plus, le tirzépatide a permis une réduction de l’albuminurie chez les patients atteints de DT2 dans une analyse groupée post-hoc incluant les données de Surpass 1-5 présentée à l’EASD, suggérant des effets bénéfiques sur la fonction rénale.

En parallèle, d’autres études avec le tirzépatide sont conduites : Sumit 2021-2024 dans l’insuffisance cardiaque avec fraction d’éjection préservée ; Surmount-OSA 2022-2024 dans le SAOS et Surmount-MMO 2022-2027 sur la morbimortalité chez les sujets obèses.

Quels sont les effets indésirables principalement observés avec le tirzépatide ?

Son profil de tolérance est proche de celui des arGLP1 et ses effets indésirables sont principalement d’ordre digestif (nausées, vomissements, diarrhée et perte d’appétit). Ils ne semblent pas être plus intenses que ceux observés avec les arGLP1 les plus puissants. Il faut noter que la perte de poids n’est pas corrélée avec la présence ou l’intensité des effets secondaires digestifs. Aucun cas de pancréatite n’a été signalé dans Surmount-4.

Cependant, du fait de ses effets sur le poids et l’appétit, une question se pose concernant l’utilisation de cette molécule chez les sujets âgés, une population plus sensible à la dénutrition et à la sarcopénie. Les études Surpass ont inclus un nombre limité de patients âgés ; 300 étaient âgés de 75 ans et plus. Très peu avaient plus de 85 ans. Il est improbable que cette molécule soit proposée aux patients les plus fragiles ou malades.

En conclusion, je dirais que cette nouvelle molécule possède un potentiel considérable, offrant une puissance inédite. Il est fascinant de constater que certains patients sous tirzépatide peuvent arrêter l’insulinothérapie notamment chez des personnes diabétiques de type 2 obèses. L’effet positif sur le poids et l’amélioration de l’équilibre glycémique sont si remarquables que cette molécule pourrait devenir un pilier essentiel dans la prise en charge du diabète, d’autant que son mode d’administration sous-cutané hebdomadaire facilite l’acceptation et l’observance des patients.

Propos recueillis par Hélène Joubert

Source : lequotidiendumedecin.fr