LE QUOTIDIEN : Quels éléments de cette nouvelle prise de position étaient déjà présents en 2019 ?
Pr PATRICE DARMON : La prise en charge du diabète de type 2 (DT2) se fonde toujours sur une approche très individualisée, tant pour les objectifs glycémiques que pour les stratégies thérapeutiques, qui doivent être adaptés au profil du patient et fixés avec lui dans le cadre de la décision médicale partagée. Le traitement doit toujours être réévalué très régulièrement, avec deux objectifs majeurs : éviter d’une part l’inertie clinique et thérapeutique (avec un patient mal équilibré durant des mois) et d’autre part, l’empilement des médicaments : il faut être capable de revenir en arrière, d’arrêter un traitement qui ne donne pas les résultats escomptés, de changer de classe thérapeutique, etc. Bien évidemment, le socle de la prise en charge du DT2 repose toujours sur les modifications du mode de vie, avec l’accent mis sur une alimentation équilibrée, une perte de poids si cela est nécessaire et une activité physique régulière, etc. Enfin, la SFD maintient la metformine comme le traitement de première ligne chez tous les patients avec un DT2, sauf contre-indication ou intolérance.
Pourquoi avoir changé le titre de cette prise de position ?
Nous sommes effectivement passés d’une prise de position sur la prise en charge médicamenteuse de l’hyperglycémie à une prise de position sur les stratégies d’utilisation des traitements antihyperglycémiants dans le DT2. Si la notion de prise en charge de l’hyperglycémie disparaît du titre, ce n’est évidemment pas parque qu’elle n’est pas importante – elle est notamment essentielle pour protéger du risque de complications microvasculaires – mais parce que l’on dispose aujourd’hui de nouvelles classes thérapeutiques telles que les agonistes des récepteurs du GLP-1 (arGLP1) et les inhibiteurs du SGLT2 (iSGLT2), dont on va recommander l’utilisation dans certaines situations quel que soit le niveau glycémique du patient (donc quelle que soit son hémoglobine glyquée ou HbA1c), pour son bénéfice cardiovasculaire ou rénal. Ce nouveau titre traduit donc une évolution vers des stratégies de prise en charge qui, parfois, peuvent être indépendantes du contrôle glycémique.
En dehors de ces situations, y a-t-il une réévaluation des objectifs d’HbA1c à atteindre ?
Il y a effectivement quelques changements à noter de ce côté-là, en fonction du profil du patient. En l’occurrence, chez une personne de moins de 75 ans, avec une espérance de vie supérieure à 5 ans, qui n’a ni comorbidité sévère, ni insuffisance rénale chronique sévère ou terminale, on vise classiquement une HbA1c inférieure à 7 %, mais on peut désormais envisager de viser une cible à 6,5 % à condition d’y arriver avec des modifications du mode de vie et des traitements qui ne provoquent pas d’hypoglycémie, principal facteur limitant pour intensifier les traitements. Notre arsenal thérapeutique nous permet aujourd’hui de viser ce 6,5 % sans induire d’hypoglycémie. En revanche, chez des patients avec une espérance de vie plus limitée, des comorbidités sévères ou une insuffisance rénale chronique ou terminale, l’HbA1c cible est de 8 %. Lorsque ces patients fragiles sont traités par sulfamides, glinides ou insuline, on a gardé la notion de borne inférieure d’HbA1c à 7 % en dessous de laquelle il est préférable de ne pas descendre pour minimiser le risque d’hypoglycémie lié à ces traitements.
Quelle est la stratégie préconisée après la metformine, chez le patient DT2 en situation commune ?
Chez un patient DT2 de moins de 75 ans, avec un IMC inférieur à 35, sans maladie cardiovasculaire avérée, sans insuffisance cardiaque et sans maladie rénale chronique, le choix préférentiel après la metformine était jusqu’en 2019, les inhibiteurs de la dipeptidylpeptidase-4 (iDPP4) qui nous semblaient alors présenter le meilleur compromis efficacité/tolérance/coût. Les choses changent en 2021 : en cas d’échec de la metformine, on laisse le choix au clinicien, selon le profil du patient et en accord avec lui, de prescrire un iDPP4, un iSGLT2 ou un arGLP1. Les iDPP4 sont très faciles à manipuler et ont très peu d’effets indésirables, ils ne donnent pas d’hypoglycémie (ce qui les rend intéressant chez nos patients âgés), mais ils n’ont pas d’effet favorable sur le poids. Les iSGLT2 qui peuvent désormais être initiés par les généralistes, ont une efficacité sur l’HbA1c équivalente à celle des iDPP4, ne provoquent pas d’hypoglycémie et entraînent une perte de poids, mais leur profil de tolérance est un peu moins bon. Enfin, les arGLP1 sont plus efficaces sur l’HbA1c que les deux classes précédentes, ils n’induisent pas d’hypoglycémie et favorisent une perte de poids souvent plus importante qu’avec les iSGLT2, mais ils s’administrent par voie sous-cutanée et sont l’option la plus coûteuse. Les sulfamides, efficaces sur l’HbA1c et très peu coûteux, constituent une quatrième option après la metformine, mais elle ne sera pas privilégiée car ils ont l’inconvénient majeur d’entraîner des hypoglycémies ainsi qu’une prise de poids.
Et chez les patients DT2 avec une maladie rénale chronique, une insuffisance cardiaque ou une maladie athéromateuse avérée ?
Cela concerne plus d’un tiers de nos patients. En cas de maladie athéromateuse avérée, après la metformine, le choix se fait entre un iSGLT2 ou un arGLP1 ayant démontré un bénéfice cardiovasculaire. Ce qui est nouveau, c’est que l’on recommande désormais d’instaurer l’une ou l’autre de ces classes chez ces patients, quel que soit le niveau d’HbA1c. En cas de maladie rénale chronique ou d’insuffisance cardiaque, le choix à privilégier est un iSGLT2 et ce, indépendamment du taux d’HbA1c. Chez ces patients, s’il n’est pas possible de prescrire un iSGLT2 en raison d’une intolérance ou d’une contre-indication, on prescrira alors un arGLP1, mais uniquement en cas d’HbA1C supérieure aux objectifs car, contrairement aux sociétés de diabétologie européenne et américaine, la SFD a estimé qu’il n’y avait pas le niveau de preuve suffisant requis pour le faire quel que soit le taux d’HbA1c dans ces situations. De plus, chez les patients avec une insuffisance cardiaque à fraction d’éjection diminuée, les arGLP1 doivent être utilisés avec précaution.
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