Avec plus de 3,5 millions de personnes traitées pour un diabète de type 2 (DT2) en France, dont un peu plus de 15 % reçoivent un traitement par insuline, plus de 500 000 patients sont concernés par l’insulinothérapie ! Bien qu’il ne s’agisse pas d’un traitement de premier recours, elle fait partie intégrante de l’arsenal thérapeutique du DT2. Or, son utilisation est encore trop souvent différée en France, peut-être en raison de craintes et de représentations associées à l’insuline par les patients, mais également par certains soignants. « Lorsqu’on ne parvient pas à atteindre les objectifs de contrôle glycémique en dépit de l’utilisation de traitements non insuliniques, le recours à l’insuline doit être proposé plus rapidement, insiste le Pr Pierre Gourdy. Certaines circonstances imposent la mise en route urgente d’une insulinothérapie, comme les situations de déséquilibre glycémique majeur et/ou l’apparition de signes cliniques évocateurs d’insulinopénie : amaigrissement spontané et cétose. » Ainsi, l’initiation de l’insulinothérapie dans le DT2 survient souvent dans des contextes difficiles : grand déséquilibre glycémique, existence de complications avancées, comorbidités sévères et/ou atteinte rénale. Comment l’initier, avec quelle insuline, comment adapter les traitements associés ? Autant de questions légitimes…
Les recommandations dernières recommandations de la HAS à ce sujet datent de 2013. Elles ne prennent donc pas en compte l’arrivée des derniers traitements du DT2, raison pour laquelle la Société Francophone du Diabète (SFD) propose, depuis 2017, une position d’experts qui est actualisée tous les deux ans, la dernière version datant de fin 2021. « Ce travail permet de positionner les nouvelles classes thérapeutiques et les nouvelles insulines dans la stratégie thérapeutique du DT2. L’intérêt des nouveaux analogues de l’insuline d’action prolongée (insulines basales) est en particulier discuté, leur principal avantage étant de réduire le risque d’hypoglycémie lors de la phase d’initiation et de titration. Il s’agit de l’insuline glargine 300 UI/ml et de l’insuline dégludec », rappelle le Pr Gourdy.
Idéalement, il faut initier l’insulinothérapie sans attendre un déséquilibre glycémique trop important, en débutant par une insulinothérapie basale reposant sur une seule injection quotidienne, qui, en association avec d’autres traitements du DT2 (notamment le maintien systématique de la metformine en dehors de situations d’intolérance digestive ou de contre-indications), va viser à normaliser la glycémie le matin au réveil et permettre une amélioration sur l’ensemble de la journée.
Une étude de pratique en médecine générale
L’étude Practisuline avait pour objectif d’actualiser le niveau de connaissance des médecins généralistes sur l’insulinothérapie basale et d’évaluer leurs pratiques en utilisant la méthodologie validée des cas vignettes : il s’agit de petites situations simples, constituées à partir d’une liste d’une dizaine d’éléments cliniques susceptibles d’influencer l’initiation d’une insuline basale et le choix du type d’insuline (âge, HbA1c, existence d’une insuffisance rénale, complications cardiovasculaires, etc.). Une base de 256 cas cliniques différents a été constituée et quatre ont été soumis à chaque médecin participant, présentés sous forme de jeu narratif, tirés au sort et réalisables en une vingtaine de minutes. Un échantillon représentatif de 162 médecins généralistes a pu être sollicité. Parmi eux, 39 % se déclaraient être des prescripteurs habituels d’insulinothérapie basale et tous ont bénéficié d’une actualisation des connaissances avant de débuter le test.
En ce qui concerne la décision de débuter une insulinothérapie basale, le premier critère de choix retenu par les médecins généralistes a été le niveau d’HbA1c reflétant l’ampleur du déséquilibre glycémique. « Ce n’est pas une surprise car, en France, l’insuline est souvent initiée assez tardivement chez les patients avec un DT2, différentes études épidémiologiques retrouvant un niveau d’HbA1c moyen de l’ordre de 9 à 9,5 % lors de cette intensification thérapeutique », déplore le Pr Gourdy. Les autres critères pris en compte étaient l’âge et l’existence d’une insuffisance rénale chronique « ce qui est logique puisque certains traitements ne peuvent plus être utilisés dans ces conditions », ajoute le spécialiste. En revanche, les antécédents d’hypoglycémie et/ou l’existence de troubles cognitifs étaient deux critères non retenus, probablement par crainte du risque hypoglycémique.
Près de 73 % des médecins de l’étude Practisuline ont fait le choix d’une insuline basale de deuxième génération (associée à un moindre risque hypoglycémique), avec pour principaux critères retenus : le niveau d’HbA1c, mais également l’âge et l’insuffisance rénale chronique, qui sont des facteurs de risque d’hypoglycémie. Chez les personnes en situation de surpoids ou d’obésité, les insulines de seconde génération avaient aussi les faveurs des généralistes, probablement du fait de leur présentation plus concentrée, permettant de réduire le volume d’injection : « c’est un avantage non négligeable chez ces personnes ayant souvent besoin de doses d’insuline plus importantes », souligne le Pr Gourdy.
La nécessité de titration bien acquise
« En pratique, on peut retenir de Practisuline que les médecins généralistes respectent en grande majorité les recommandations d’utilisation des insulines basales, avec une procédure de titration fondée sur les valeurs de la glycémie capillaire au réveil, en fixant un objectif individualisé. La mise en route de l’insulinothérapie et la nécessité de titration semblent donc bien acquises », analyse le Pr Gourdy. À noter que les médecins proposent très souvent, au moins pour la phase d’initiation, un accompagnement infirmier (IDE à domicile), dans environ 75 % des cas, un peu moins chez ceux qui avaient l’habitude de prescrire une insulinothérapie basale. « L’autonomisation rapide des patients vis-à-vis de la gestion de l’insulinothérapie est un enjeu médico-économique majeur », relève le Pr Gourdy.
Dernier point un peu plus surprenant : le recours fréquent à la télémédecine (dans près de 70 % des cas), qui pourrait s’expliquer par la période durant laquelle a été réalisée cette étude (en pleine première vague de Covid-19 !). « Il est également probable que la réponse à cette question englobe des attitudes très variées, du simple accompagnement téléphonique (non reconnu aujourd’hui comme un acte de télémédecine) à l’utilisation de véritables dispositifs d’aide à la titration », note-t-il.
L’adaptation des autres traitements
« Enfin, il semble que les généralistes rencontrent quelques difficultés pour adapter les traitements antidiabétiques préalables lors de l’initiation d’une insulinothérapie », remarque le Pr Gourdy. Selon les recommandations, le maintien de la metformine est indispensable pour réduire la prise de poids et limiter la dose d’insuline nécessaire à l’obtention du contrôle glycémique, mais il est préférable d’interrompre ou au moins de diminuer la dose des traitements pourvoyeurs d’hypoglycémie (sulfamides, glinides). La question se pose au cas par cas pour les autres traitements : inhibiteurs de DPP4, agonistes du GLP1 et inhibiteurs des SGLT — ces deux dernières classes devant être maintenues en cas de haut risque d’atteinte cardiovasculaire et/ou rénale.
Pour les experts de la SFD, l’instauration d’une insulinothérapie est une étape clé qui doit amener à bien peser l’intérêt de maintenir ou non chacun des traitements associés, sachant que certains d’entre eux peuvent être interrompus, quitte à les reprendre secondairement si la maîtrise du contrôle glycémique le nécessite. « Il y a un besoin de renforcement des connaissances des médecins vis-à-vis de l’adaptation des traitements associés, pour limiter le risque d’hypoglycémie et pour ne pas poursuivre des traitements devenus inutiles, prévient le Pr Gourdy. Malheureusement, peu d’études ont abordé cette question de la gestion des traitements associés à l’insuline, rendant difficile l’établissement de recommandations strictes. »
Un besoin de formation et d’organisation
« Il y a probablement un besoin d’organisation du système de soins pour accompagner l’initiation des traitements et notamment la titration de la dose d’insuline », considère le Pr Gourdy. En effet, la clé du succès est de veiller à l’augmentation progressive de la dose, pour un contrôle optimal de la glycémie le matin au réveil. « Le besoin d’amélioration des connaissances concerne aussi les IDE amenées à accompagner les patients à domicile. »
Finalement, l’étude Practisuline a permis de dégager des pistes d’amélioration, en termes de formation et d’organisation des parcours pour que ces initialisations d’insulinothérapie permettent de mieux répondre au besoin d’équilibre glycémique des patients DT2. « Étant donné que ceux-ci représentent un groupe très hétérogène, le stade du passage à l’insulinothérapie peut être un moment privilégié pour prendre un avis spécialisé chez certains d’entre eux et ainsi recevoir une aide pour le choix de l’insuline et l’adaptation des traitements associés », conclut le Pr Gourdy.
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