LE QUOTIDIEN : Comment effectuer le bilan rénal ?
Pr HANNEDOUCHE : Le score de risque rénal (SRR ou KFRE) est un outil très utile, qui permet d’estimer la probabilité de passer en dialyse à cinq ans, à partir de données simples : âge, sexe, débit de filtration glomérulaire (DFG) et rapport albumine/créatinine urinaire (RAC). Mais, si la DFG est bien demandée par les médecins, le RAC (réalisé sur échantillon urinaire) manque trop souvent à l’appel, et le laboratoire ne peut donc pas calculer le SRR. Le médecin se prive ainsi d’un outil de triage performant pour l’adressage au spécialiste. C’est aussi une perte de chance pour les patients, car plusieurs médicaments efficaces sont indiqués en cas de microalbuminurie (gliflozines, finérénone). Le risque de progression vers l’insuffisance rénale terminale est jugé faible si le SRR est < 5 % à 5 ans (suivi par le médecin traitant), intermédiaire pour un SRR de 5 à 15 % (adressage spécialisé souhaité) et élevé pour un SRR > 15 % (adressage spécialisé indispensable et rapide).
Le bilan rénal annuel devrait donc reposer sur la mesure de la pression artérielle dans de bonnes conditions, le DFG et le RAC, qui permettent de faire calculer le SRR par le biologiste.
Quand adresser son patient diabétique au néphrologue ?
Les diabétiques représentent la moitié des patients qui arrivent en dialyse, c’est beaucoup et cette proportion augmentera dans les prochaines années. Le retard à la prise en charge de leur insuffisance rénale est d’autant plus incompréhensible que la plupart d’entre eux sont suivis et en ALD pour diabète. Cependant, elle est sans doute un peu trop centrée sur la glycémie et pas assez sur les organes cibles : or, il faut rappeler que le diabète est avant tout une maladie artérielle ! Ainsi, une hypertension résistante associée au diabète est une bonne indication à l’adressage au néphrologue, alors qu’un diabète déséquilibré non compliqué nécessite plutôt de référer au diabétologue.
Quels sont les autres critères d’adressage au néphrologue ?
Les recommandations varient selon les pays, ce qui peut prêter à confusion. Néanmoins, l’American diabetes association (ADA) vient de publier de nouvelles recommandations, qui sont le fruit d’un travail conjoint entre diabétologues et néphrologues. Selon l’ADA, l’idéal est de pouvoir adresser tout patient diabétique à risque chez le néphrologue : cela concerne les patients avec une HTA résistante, ceux pour lesquels il existe un doute sur l’origine diabétique de l’atteinte rénale, ceux avec une micro-albuminurie > 30 mg/24 heures, persistante en dépit d’une pression artérielle contrôlée ou encore un DFG < 30 ml/mn/1,73 m2 (stade G3 de 30 à 60, G4 de 15 à 30 et G5 si < 15). Sont enfin concernés par l’adressage au néphrologue, les patients avec une hyperkaliémie, qui peut requérir un réajustement thérapeutique des médicaments prescrits pour la néphroprotection. Quant à l’adaptation posologique des autres médicaments, elle est légitime, mais peu fréquente en pratique car souvent gérée par le diabétologue.
Quelle est votre opinion sur ces recommandations ?
Elles sont pertinentes pour les patients à risque. En revanche, attendre le seuil de DFG < 30 ml/mn/1,73 m2 est beaucoup trop tardif : c’est comme si on adressait un patient à l’oncologue au stade métastatique ! Le seuil d’intervention thérapeutique optimal se situe pour un DFG entre 30 et 60 ml/mn/1,73 m2, voire plus !
De même, pour le stade d’insuffisance rénale compliquée (avec anémie ou hyperparathyroïdie secondaire) : c’est trop tardif, on se situe juste avant la dialyse ! Enfin, l’ADA ne fait pas la distinction entre les patients avec un diabète de type 1 (DT1) ou de type 2 (DT2). Chez le patient avec un DT1, l’apparition d’une hypertension est un signe de néphropathie et relève déjà du néphrologue.
Attendre le seuil de DFG < 30 est beaucoup trop tardif : c’est comme si on adressait un patient à l’oncologue au stade métastatique !
Une atteinte rénale implique-t-elle un changement de traitement du diabète ?
La présence d’une insuffisance rénale chez un patient diabétique nécessite une stratégie thérapeutique bien définie : metformine et gliflozine sont recommandées d’emblée en première intention et, en deuxième ligne, un agoniste du récepteur GLP1.
À l’encontre des recommandations internationales, la HAS contre-indique l’association gliflozine et agoniste GLP1, alors qu’à ce stade, la néphroprotection devient prioritaire par rapport à la stratégie glucocentrique.
Enfin, au stade de l’insuffisance rénale, certains antidiabétiques oraux sont déconseillés : les glinides, les sulfamides en raison du risque majoré d’hypoglycémie, la metformine qui nécessite une adaptation posologique entre 30 et 60 ml/mn/1,73 m2 et doit être arrêtée en cas de DFG < 30 ml/mn/1,73 m2. L’avis du néphrologue peut être sollicité pour l’adaptation posologique ou la mise en place de stratégies thérapeutiques alternatives.
Et si le médecin traitant soupçonne une néphropathie chez un diabétique mais d’origine non diabétique (en raison d’une baisse brutale du DFG par exemple) ?
Dans le registre Rein, les patients diabétiques ont une biopsie rénale deux fois moins souvent que les patients sans diabète, sans doute en raison du principe simpliste que l’atteinte rénale est forcément liée au diabète. Or quand les biopsies sont faites, 30 à 50 % révèlent une maladie rénale autre que le diabète, isolée ou associée au diabète. C’est important à savoir car cela peut nécessiter une prise en charge spécifique. Par exemple, si le patient est diabétique et obèse et que la biopsie rénale montre des lésions en rapport avec l’obésité, le patient doit impérativement perdre du poids : il doit alors être traité par un agoniste GLP1 et pas par l’insuline qui va lui faire prendre du poids et aggraver la rétention sodée.
Quelles devraient donc être les indications de la biopsie rénale ?
C’est le néphrologue qui pose l’indication de la biopsie rénale mais il ne faut pas hésiter à lui adresser un patient diabétique obèse et/ou hypertendu au moindre doute. Les principales indications de la biopsie rénale sont la baisse rapide du DFG ou une protéinurie explosive ou encore des signes atypiques comme un diabète depuis moins de 5 ans, une hématurie, des symptômes extrarénaux (purpura, ANCA, etc.).
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