LE QUOTIDIEN : Quels sont les liens entre tabac et diabète ?
Pr VINCENT DURLACH : Les études épidémiologiques montrent un lien clair entre tabagisme (actif et passif) et risques de prédiabète, diabète de type 2 (DT2) et diabète gestationnel. En effet, le risque relatif de DT2 est augmenté de 37 à 44 % chez les fumeurs par rapport aux non-fumeurs et ce, de manière dose-dépendante. Cet effet diabétogène du tabagisme est probablement favorisé par une accumulation de graisse viscérale observée chez les fumeurs, qui fait le lit du syndrome métabolique dans un contexte d’insulinorésistance. Ses mécanismes sont discutés mais ils font intervenir une stimulation de la production d’hormones de contre-régulation glycémique (catécholamines, cortisol, hormones de croissance) et un effet anti-œstrogène. L’impact pro-inflammatoire de la fumée du tabac, induisant une inflammation de bas grade, ainsi qu’une dysfonction de l’endothélium vasculaire, liée au stress oxydatif et conséquence de l’hypoxie causée par le CO, sont également évoqués.
Du fait d’une résorption retardée de l’insuline, l’équilibre glycémique du diabétique fumeur traité par insuline est plus instable et le risque d’hypoglycémie augmenté. Par conséquent, le tabagisme majore l’incidence et la morbimortalité des complications macroangiopathiques (infarctus du myocarde, AVC, artériopathie des membres inférieurs) et microangiopathiques (néphropathie chez le DT2, rétinopathie chez le diabétique de type 1 [DT1]).
Le groupe de travail « Tabagisme et diabète » de la Société francophone du diabète (SFD) et de la Société francophone de tabacologie (SFT) a récemment publié un consensus d’experts. Quel en était l’objectif ?
Nous avons en effet publié, le 29 juin 2022, un consensus d’experts dans la revue « Diabetes & Metabolism » (1). Notre objectif était de dresser un état des lieux des liens entre tabac et diabète et, en particulier, des conséquences du tabagisme sur la morbimortalité des diabétiques. Les résultats sont clairs : chez le diabétique de type 2, le tabagisme constitue le principal facteur de risque de mortalité toutes causes, avant même l’HbA1c, le LDL-cholestérol ou le niveau de pression artérielle systolique. Si nous avons moins de données pour le DT1, il faut garder en tête que 13 % des DT2 et 39 % des DT1 fument en France (données d’Entred).
Dans le cadre de la préparation du consensus d’experts, vous avez réalisé un sondage auprès de 225 diabétologues de la SFD afin d’évaluer le niveau de connaissance et l’intérêt pour ce sujet. Quels en sont les principaux résultats ?
Le lien entre tabac et mortalité est connu (96 %), principalement via les complications macroangiopathiques (98 %). En revanche, le lien avec les complications microangiopathiques est moins bien connu (65 %). Près de 41 % des diabétologues interrogés pensent que le tabagisme a autant d’importance que l’équilibre glycémique en cas de DT1 et 69 % en cas de DT2.
En ce qui concerne la prise en charge du sevrage tabagique, 89 % s’estiment insuffisamment compétents, en particulier par manque de formation (48 %) ou de temps (33 %). 88 % des diabétologues ayant répondu n’ont pas de personne formée au sevrage tabagique dans leur équipe, mais 71 % ont un correspondant tabacologue. Au total, 59 % des diabétologues seraient intéressés par une formation pour eux-mêmes et 69 % pour un membre de leur équipe.
Le sujet de la formation est donc essentiel ?
Dans l’idéal, il faudrait qu’il y ait au moins une personne formée au sevrage tabagique dans chaque équipe de diabétologie ou, a minima, qu’il y ait un lien fonctionnel effectif avec une équipe d’aide au sevrage tabagique ou d’addictologie. Pour cela, il ne faut pas hésiter à se tourner vers les DU ou DIU de tabacologie, proposés dans toute la France et accessibles aux médecins et paramédicaux (infirmiers, diététiciens, psychologues, kinésithérapeutes).
Quelles sont les prochaines étapes après la publication de ce consensus d’experts ?
Nous souhaitons communiquer plus largement sur cette problématique. Compte tenu de son impact catastrophique sur la santé des diabétiques, le tabagisme doit être une question que l’on se pose systématiquement avec nos patients. L’information, la sensibilisation et la formation doivent être au programme. Notre groupe de travail devra donc poursuivre ses travaux dans les prochains mois, avec plusieurs publications (en français) à venir. L’une de nos ambitions sera aussi de construire des outils pédagogiques simples et conviviaux, de proposer des formations courtes sur l’aide au sevrage tabagique des patients diabétiques, en complément des DU et DIU.
En outre, la Fédération française des diabétiques (FFD) va elle aussi faire de ce sujet un thème de communication prioritaire à partir de septembre 2022, notamment durant la semaine nationale de prévention du diabète (du 23 au 30 septembre). Le mois sans tabac permettra ensuite de poursuivre la dynamique, puisqu’il sera aussi question du sevrage tabagique des patients diabétiques.
Plus la prise de conscience sera collective, plus on pourra prendre en charge efficacement les patients diabétiques fumeurs et empêcher qu’ils ne meurent du tabac.
(1) Durlach V et al. Smoking and diabetes interplay : a comprehensive review and joint statement. Diabetes Metab. 2022 Jun 29;48(6):101370. doi: 10.1016/j.diabet.2022.101370. Online ahead of print.
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