La nouvelle prise de position de la Société Francophone du Diabète (SFD) concernant les diabétiques âgés porte sur ceux qui ont plus de 75 ans ou ceux qui ont 70 ans mais sont atteints de comorbidités. Le diabète les expose à des complications et il faut pouvoir les prévenir ou les ralentir, comme chez des diabétiques plus jeunes, mais avec des spécificités.
D’un côté, leur diabète participe à la perte d’autonomie en cas de déséquilibre, via la survenue de surinfections et de troubles cognitifs. Mais, de l’autre, il faut se montrer plus prudent avec les traitements : surtraiter ou être trop contraignant sur le plan alimentaire peut aboutir à une dénutrition, raison pour laquelle le régime alimentaire doit être personnalisé. Certains médicaments - insuline, sulfamides et glinides - peuvent entraîner des hypoglycémies, contrairement à la metformine. Et, si les dernières classes médicamenteuses arrivées sur le marché sont intéressantes, car elles n’exposent pas aux hypoglycémies, elles peuvent majorer une dénutrition chez quelqu’un qui l’est déjà. Il faut donc naviguer entre deux risques : ne pas assez traiter et surtraiter.
LE QUOTIDIEN : Comment éviter ces deux écueils de sur ou de sous-traiter ?
PR JEAN DOUCET ET BERNARD BAUDUCEAU : Cela demande de bien prendre en compte le contexte diabétique de la personne : quelles sont ses autres maladies, quel est son degré d’autonomie, son niveau cognitif, son état nutritionnel, son mode de vie ? Y a-t-il un isolement social, quelle est la proximité des structures de soins, l’équipe infirmière peut-elle passer plusieurs fois par jour, les proches sont-ils à proximité, et peuvent-ils participer aux soins ? Tout compte.
Dans notre cohorte Gérodiab - première étude multicentrique observationnelle prospective de suivi - incluant près de 1 000 patients diabétiques de plus de 70 ans, les diabétologues estimaient que 11 % de leurs patients présentaient des troubles cognitifs. Pourtant, à l’inclusion dans notre étude, le test MMSE (mini mental state examination) permettait d’en repérer 29 % : cette sous-estimation n’est pas sans conséquence. Même en l’absence de démence, des troubles cognitifs peuvent expliquer des erreurs dans la prise d’un traitement. Ce problème peut d’ailleurs être majoré du fait qu’en cas de rétinopathie diabétique, l’acuité visuelle est mauvaise. Les diabétiques souffrent enfin plus souvent de problèmes articulaires, pouvant gêner la manipulation d’un stylo à insuline par exemple ou empêcher de casser un comprimé en deux.
Les objectifs thérapeutiques sont-ils les mêmes pour tous après 70 ans ?
À partir de la cohorte Gérodiab que nous avons suivie pendant dix ans, nous avons dégagé des conseils qui tiennent davantage compte de la réalité de terrain. Nous distinguons trois groupes de patients pour lesquels nous avons trois objectifs thérapeutiques différents : d’un côté, les plus de 70 ans en bonne santé et autonomes. À l’autre extrémité, les personnes âgées dépendantes et, entre les deux, des personnes avec un état de santé intermédiaire (patients fragiles), qui ont des complications débutantes de leur diabète, éventuellement d’autres maladies (infarctus, insuffisance rénale, troubles cognitifs débutant etc.) et qui sont susceptibles de perdre leur autonomie à l’occasion d’un problème aigu. Ces personnes fragiles peuvent continuer de s’altérer ou, au contraire, retrouver plus d’autonomie.
Quels sont les objectifs thérapeutiques pour les plus de 70 ans en bonne santé ?
Ce sont les mêmes que chez un diabétique de type 2 plus jeune, à savoir, une hémoglobine glyquée (HbA1c) inférieure ou égale à 7 % et une glycémie préprandiale de 1 à 1,20 g/l. Il faut redoubler d’attention si ces patients sont traités par des médicaments hypoglycémiants (insuline, sulfamides, glinides). Il faut bien sûr réévaluer la situation si la personne devient plus fragile. Rien n’est jamais gravé dans le marbre !
Et pour les patients avec un état de santé intermédiaire ?
On fixe une HbA1c inférieure ou égale à 8 % et supérieure à 7 %, si ces personnes sont traitées par un médicament hypoglycémiant (en sachant que sulfamides et glinides ne sont pas recommandés dans ce cas). Cela correspond à une moyenne de 1,2 à 1,60 g/l de glycémie préprandiale.
Enfin, pour les personnes diabétiques en mauvaise santé ?
On fixe plutôt un objectif avec une HbA1c inférieure à 9 % et supérieure à 8 % si ces personnes sont traitées par un médicament hypoglycémiant (là encore, sulfamides et glinides ne sont pas recommandés). Cela correspond à une moyenne de 1,80 à 2 g/l de glycémie préprandiale.
À noter que le suivi du diabète et des paramètres biologiques est le même à tout âge mais, que après 75 ans, il devient difficile d’interpréter une micro-albuminurie (d’autant qu’il existe fréquemment une petite atteinte rénale d’origine hypertensive). Il vaut mieux vérifier le débit de filtration glomérulaire et la présence d’une protéinurie pouvant annoncer un autre problème (gammapathie monoclonale, etc.).
Fixer des objectifs thérapeutiques suffit-il ?
Il faut bien sûr que le diabétologue en discute avec le généraliste, le cardiologue, le néphrologue, le gériatre, etc., sans oublier le soignant (IDE à domicile ou aidant), car ce dernier ne peut évidemment pas adapter l’alimentation et/ou le traitement s’il ne connaît pas l’objectif thérapeutique qui a été fixé !
Quels conseils alimentaires donner ou ne plus donner ?
Les plus gros écueils à éviter sont l’irrégularité des repas et les régimes restrictifs. Le risque de dénutrition et de sarcopénie doit rester à l’esprit, même chez les personnes obèses. Les diabétiques doivent faire trois repas consistants à horaire si possible fixe, qui tiennent compte de leur goût, tout en évitant le grignotage et les erreurs grossières (éviter de manger trop gras, trop sucré, éviter les dîners frugaux). Parfois, c’est le conjoint qui est trop drastique ! Or si, chez une personne âgée en bonne santé, on peut espérer corriger un surpoids, ce n’est pas l’objectif chez une personne dépendante ou avec un état de santé intermédiaire, a fortiori si elle doit déjà suivre un régime peu salé par exemple. L’aide du diététicien est souvent utile, ne serait-ce que pour rappeler l’importance de la régularité des repas.
Si, chez une personne âgée en bonne santé, on peut espérer corriger un surpoids, ce n’est pas l’objectif chez une personne dépendante ou avec un état de santé intermédiaire, a fortiori si elle doit déjà suivre un régime peu salé par exemple
Quid du suivi quotidien ?
Il dépend du schéma thérapeutique et donc des objectifs fixés pour un patient en particulier. Plus on est loin de l’objectif, et plus cela mérite un suivi rapproché. Par exemple, chez un diabétique avec plusieurs injections d’insuline et avec un objectif à 7 %, les surveillances glycémiques peuvent être de 2 à 4 fois par jour. Si le patient est traité par une seule injection quotidienne parce que son objectif thérapeutique tourne autour de 8 %, la surveillance glycémique peut se limiter à une, voire deux glycémies capillaires par jour.
Quid des nouvelles molécules chez la personne âgée ?
La metformine reste la base du traitement en l’absence de contre-indication. Sulfamides et glinides ne sont pas conseillées, compte tenu du risque d’hypoglycémie prolongée, sauf éventuellement chez les personnes de 70 ans en bonne santé. Les inhibiteurs des alpha-glucosidases ne sont quasiment plus utilisés.
Les gliptines (ou inhibiteurs de la DPP-4) peuvent être utilisés en seconde ligne, mais ils n’ont pas d’efficacité démontrée sur le plan cardiovasculaire et rénal.
Les agonistes des récepteurs du GLP-1 ne sont contre-indiqués qu’en cas de dénutrition (la perte de poids est donc un point à surveiller), de sorte qu’on évite de les utiliser après 80 ans. Ils ont une action de prévention secondaire sur le plan cardiovasculaire.
Enfin, les iSGLT2 sont intéressants aussi pour traiter des insuffisances cardiaque et rénale, mais il y a très peu d’études spécifiques chez les plus de 80 ans. Ils entraînent une glycosurie (majorant la diurèse) et sont donc à éviter chez les personnes incontinentes ou dont l’état d’hydratation est précaire. Ils doivent enfin être prescrits en concertation pluriprofessionnelle, car environ 20 % des diabétiques âgés sont insuffisants cardiaques et déjà traités pour ce problème : le cardiologue et le généraliste doivent donc être informés en amont pour adapter les médicaments cardiologiques (diurétiques, inhibiteurs du système rénine-angiotensine-aldostérone ou ISRAA).
L’insuline garde-t-elle une place de choix ?
Avec ses nombreux schémas thérapeutiques possibles et présentations, elle est très maniable et peut même être la seule solution en cas de signes d’insulinopénie (glycémie élevée, syndrome cardinal avec polyuropolydipsie, amaigrissement, polyphagie), ou lorsque les autres médicaments deviennent contre-indiqués : insuffisance rénale, accident vasculaire cérébral et difficultés à s’alimenter per os, corticothérapie pour une maladie de Horton venant déséquilibrer un diabète, dénutrition et nombreuses autres situations d’insulino-requérance. En cas de troubles cognitifs, un IDE peut être amené à passer plusieurs fois par jour, cet encadrement étant plus sécuritaire.
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024
La myologie, vers une nouvelle spécialité transversale ?