La question n’est pas tranchée

Risque d’amputation sous iSGLT2 : des données de masse plutôt rassurantes

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Publié le 05/11/2020

Études prémarketing, pharmacovigilance et vastes études de vraie vie : aucune n’est parfaite pour confirmer ou infirmer un risque d’effet indésirable. D’autant que la vigilance des agences mises sur le risque d’amputation sous iSGLT2 a pu modifier l’attitude des prescripteurs.

Crédit photo : phanie

Les algorithmes actuels (ADA-EASD et ESC) de prise en charge du diabète de type 2 (DT2) font aujourd’hui une large place aux iSGLT2, en particulier en présence d’une maladie cardiovasculaire, d’une insuffisance cardiaque et/ou d’une maladie rénale avérées. Mais on sait aussi que plusieurs des effets indésirables graves attribués à la classe des iSGLT2 ont alarmé et, en France, grandement retardé leur venue sur le marché.

Parmi eux, le risque d’amputation de jambe, qui était principalement survenu dans certaines études de sécurité cardiovasculaires avec la canagliflozine. Ainsi, dans l’essai Canvas Program trial (Canagliflozin cardiovascular assessment study), les participants randomisés sous canagliflozine ont présenté un risque doublé d’amputation vs placebo (HR = 1,97 ; IC95 [1,41 – 2,75]). Cet effet indésirable ne semblait pas rapporté avec les deux autres gliflozines, l’empagliflozine (Empa-Reg Outcomes) et avec la dapagliflozine (dans Declare-Timi 58) et d’autres essais ultérieurs.

Cela a conduit la Food and drug administration (FDA) à émettre une « black box warning » (suivi renforcé d’évènements indésirables graves pour cette molécule) pour la canagliflozine, alerte partagée avec l’OMS (Vigibase), mais cette fois pour les trois représentants de la classe.

Récemment, aucun surrisque de cette nature n’avait été rapporté avec la canagliflozine dans l’étude Credence (HR = 1,11 ; IC95 [0,79 – 1,56]).

Néanmoins, deux analyses de pharmacovigilance avaient retenu une augmentation des cas d’amputation chez les personnes traitées avec des inhibiteurs du SGLT2. Les alertes basées sur des données de pharmacovigilance tendent toutefois à la surdéclaration des effets indésirables sur des molécules récentes et une sous-déclaration avec les molécules anciennes.

Les études en vraie vie sont indispensables

C’est pourquoi il est aujourd’hui essentiel de disposer d’études de vraie vie portant sur un très grand nombre de sujets pour infirmer de tels effets, ou à l’inverse en découvrir alors qu’ils n’apparaissaient pas dans les études RCP.

C’est l’objet de ce travail canadien (1), qui visait à comparer le risque d’amputation sous le genou avec les inhibiteurs du SGLT2 par rapport aux inhibiteurs de la dipeptidyl peptidase-4 (iDPP4) chez les patients atteints de DT2. Cette étude observationnelle multicentrique a utilisé les bases de données (patients DT2 > 18 ans, âge moyen 65 ± 10 ans) de sept provinces canadiennes et de Grande-Bretagne : DT2 utilisateurs de iSGLT2 appariés à des DT2 sous iDPP4, avec des méthodologies statistiques rigoureuses, score de propension (n = 207 817 dans chaque groupe).

Sur une période de suivi d’exposition moyenne de 11 mois, le taux d’amputation était de 1,3 (iSGLT2) vs 1,5 pour 1000 personnes/années sous iDPP4, soit HR = 0,88 ; IC95 [0,71-1,09].

Des résultats similaires ont été obtenus dans des analyses stratifiées par molécule d’inhibiteur SGLT2 spécifique. Parmi les DT2 sous iSGLT2, 42,3 % (n = 87 922) étaient sous canagliflozine, 30,7 % (n = 63 792) sous dapagliflozine et 27 % (n = 56 103) sous empagliflozine.

En somme, dans cette très large étude observationnelle multicentrique, aucune association entre l’utilisation d’inhibiteurs du SGLT2 et les amputations incidentes sous le genou n’a été retenue chez les patients DT2, vs ceux recevant un iDPP4.

À ce jour, 8 études observationnelles ont été menées. Cinq sont parfaitement rassurantes mais 3 retiennent un surrisque (X2 environ) d’amputation de jambe : une vs. iDPP4, une vs. sulfonylurée, et une vs. autres antidiabétiques oraux (ADOs). Un risque rapporté exclusivement avec la canagliflozine.

Un biais inévitable

L’étude présentée ici a de grande force : grand nombre de sujets et sous iSGLT2 vs iDPP4 donc au moment de la bithérapie, un moment clé du recours aux ADOs. Cependant il est possible que, suite aux alertes lancées par les agences, les médecins prescripteurs canadiens et britanniques aient renoncé à prescrire un iSGLT2 chez des sujets qu’ils considéraient à risque d’artériopathie ou en ayant une déjà diagnostiquée. Donc, cette large étude observationnelle apporte des données rassurantes mais d’autres ayant une durée de suivi plus longue sont nécessaires pour évaluer cet effet indésirable de la classe iSGLT2 à long terme.

 

Professeur Émérite, Université Grenoble-Alpes 

(1) OHY Yu, S Dell’Aniello, BR. Shah et al. Sodium-Glucose Cotransporter 2 Inhibitors and the Risk of Below-Knee Amputation: A Multicenter Observational Study. Diabetes Care 2020 ;43:2444–2452 | https://doi.org/10.2337/dc20-0267

 

Pr Serge Halimi

Source : lequotidiendumedecin.fr