De nombreux centres ayant pris en charge des patients Covid-19 positifs dans leurs unités pour des formes graves rapportent une possible surreprésentation de patients hypertendus, diabétiques et d’affections cardio-cérébro-vasculaires.
Depuis quelques semaines, de très nombreux articles parus ou mis en ligne en « préprint » inondent déjà les journaux médicaux sur Medline (fait nouveau : ils sont mis en accès libre). Parmi eux, quelques publications émergent, en particulier celles issues d’équipes chinoises ayant géré cette épidémie dans leur pays.
Plusieurs rapportent de courtes séries mais disposent de données et d’un recul que les autres équipes dans le monde n’ont pas encore. Ces données ont été réunies dans une méta-analyse regroupant 6 séries, soit au total 1 527 sujets admis pour une forme sévère d’infection Covid-19, dont certains sont décédés, publiée par le Clinical Research in Cardiology, l’une des six représentant plus des 2/3 de l’effectif (1).
S’ajoutent depuis une série publiée dans le Lancet de 191 patients (2) et surtout celle rapportant un grand nombre de cas diagnostiqués dans la région de Hubei publiée dans le JAMA du 24 février dernier : 72 314 patients dont 44 672 confirmés positifs Covid-19 (62 %), les 2/3 restants étaient fortement suspectés sur un tableau clinique très évocateur (3).
Les données chinoises
Les principales conclusions sont les suivantes : 2/3 des patients sont de sexe masculin. Parmi les patients hospitalisés dans l’étude initiale chinoise, 48 % présentaient une comorbidité et en particulier une HTA, ou un diabète ou une maladie cardiovasculaire (MCV) établie. Les patients ayant un diabète représentaient 10 à 20 % des personnes hospitalisées, 22 % de celles admises en réanimation et 31 % des décès, en notant que 48 % des personnes décédées avaient une HTA (30 % des hospitalisés) et 24 % une MCV, sans pouvoir préciser si ces facteurs étaient indépendants ou liés à l’âge. La présence d’une situation de maladie métabolique est souvent rapportée, mais l’obésité est peu étudiée (IMC non disponible), alors que les réanimateurs français et américains semblent insister sur ce facteur de risque de gravité chez des sujets peu âgés. Globalement, le diabète était associé à un odds ratio de mortalité hospitalière de 2,85 (IC95 [1,35-6,05], p = 0,0062).
Autre fait notable, l’atteinte par le virus semble aggraver la situation cardiovasculaire préalable. Notons cependant que l’HTA est une pathologie fréquente en Chine et certains analystes n’y retrouvent rien d’autre que la prévalence de l’HTA en Chine.
On le voit, ces données ne concernent ni l’Europe ni les États-Unis. Une première série a cependant été publiée le 30 mars (4). Elle concerne la ville de Seattle, avec seulement 24 cas rapportés de patients admis en réanimation, ici 58 % étaient diabétiques avec un IMC moyen de 33,2 ± 7,2 kg/m2. Cette surreprésentation de diabétiques obèses pourrait préfigurer un phénotype de surrisque différent des cas rapportés en Chine.
Un rôle observé du diabète et de l’HTA
Mais si la série de Seattle est trop courte pour en tirer plus d’enseignements, le risque accru de contracter une maladie virale (grippe saisonnière, zona) et de formes plus sévères est bien admis depuis de nombreuses années (5). Cela avait déjà été rapporté pour le Sars (6). Dans les données chinoises actuelles, on ne dispose pas de précision sur les formes de diabète (DT2, DT1), son ancienneté, l’IMC, l’âge des patients diabétiques, ni l’existence de complications — HTA, MCV ou rénale…
Il faut également noter que les résultats sont difficiles à interpréter car ils dépendent des critères d’hospitalisation, qui évoluent avec le temps, les formes modérées étant de moins en moins hospitalisées lorsque l’épidémie progresse. La coexistence d’une HTA dans les formes sévères et létales est rapportée au moins aussi souvent que l’existence d’un diabète.
Le traitement par IEC ou sartans est-il pénalisant ?...
Tout cela a conduit certains à s'intéresser aux traitements pris par ces patients : les comorbidités citées — HTA, diabète et MCV — sont souvent traitées par IEC ou ARA2 (sartans). Ces thérapies n'ont malheureusement pas été documentées dans les études citées.
On sait aussi que les virus pathogènes de l’humain SARS-CoV et SARSCoV-2 se lient à leurs cellules cibles grâce à l’enzyme de conversion de l'angiotensine 2 (ECA2), qui est exprimée à la surface des cellules épithéliales des alvéoles du poumon, de l'intestin, des reins et des vaisseaux sanguins. Par conséquent, une expression accrue de l'ECA2 pourrait faciliter l'infection par COVID-19. Or celle-ci est sensiblement augmentée chez les patients diabétiques de type 1 ou 2, et d’autant plus qu’ils sont traités par IEC et ARA2, qui se provoquerait une régulation positive de l’ECA. Ces récepteurs peuvent également être également augmentés par les thiazolidinediones (des antidiabétiques non utilisés en France) et l'ibuprofène.
L'hypothèse a été ainsi formulée que le diabète, et le traitement de l'hypertension avec ces médicaments, augmenterait le risque de développer des formes graves et mortelles de Covid-19. Il ne s’agit pour le moment que d’une hypothèse, émise sous forme de lettre au Lancet Respiratory Medicine du11 mars fondée sur des rapprochements intéressants, là où d’autres parlent de supputations, rien de plus (7). Si une telle hypothèse venait à être confirmée, cela pourrait conduire à un sérieux dilemme thérapeutique.
Le paradoxe est que l’ECA2 semble réduire l'inflammation ; elle est parfois avancée comme une nouvelle voie de traitement possible de maladies pulmonaires inflammatoires.
L’autre piste que les auteurs proposent d’explorer est celle de la prédisposition génétique exposant à un risque accru d’infection à Covid. Par exemple, un polymorphisme de l’ECA-2 lié au diabète, aux AVC, à l’HTA et plus propres aux populations asiatiques. Ce risque résulterait ainsi d’une combinaison gène + traitement de l’HTA par cette famille d’antihypertenseurs.
... ou au contraire protecteur ?
Cette controverse au sujet des IEC et sartans se poursuit sans relâche, avec des commentaires presque quotidiens à ce propos. Ainsi, dans le New England Journal of Medicine paru le 30 mars c’est un point de vue totalement antagoniste qui est développé (8). Les auteurs rappellent que les IEC et les ARA2 agissent de manière très différente, que l’expression et l’activité de l’ECA-2 sont peu affectés par ces familles d’antihypertenseurs, enfin que l’âge et la prévalence des sujets hypertendus peuvent être les seules explications plausibles. Et, même, l’ECA-2 serait selon eux plutôt un facteur de protection cardiaque et pulmonaire.
On le voit, la bataille fait rage, mais des études sont déjà lancées pour évaluer les effets de ces classes d’antihypertenseurs chez les patients infectés. Malgré ces grandes incertitudes théoriques, quant à savoir si la régulation pharmacologique de l'ECA-2 peut influencer le potentiel infectieux du SRAS-CoV-2, il existe en revanche de forts arguments pour considérer les préjudices liés au retrait de cette classe d’antihypertenseurs chez les patients étant de plus dans un état par ailleurs stable (9).
Le grand public s’en inquiète
Le problème a en effet été largement relayé dans la presse grand public, provoquant de l'anxiété chez les patients et une incertitude quant à l'opportunité de continuer à prendre ces médicaments. Les médecins déclarent recevoir de nombreux appels de patients qui souhaitent interrompre leur traitement. Les sociétés savantes appellent au calme et ont publié des déclarations soulignant qu'il n'y a aucune preuve solide à l'appui de l’hypothèse d’un effet délétère, exhortant les patients à ne pas arrêter leurs médicaments. D’autant que, comme on l’a vu, d'autres voix suggèrent un rôle bénéfique de ces molécules chez les patients infectés par Covid-19 !
Enfin, et peut-être surtout, le rôle joué par ECA-2 comme porte d’entrée dans les cellules pulmonaires semble établi pour certains chercheurs qui proposent de s’en servir pour la thérapeutique antivirale (10). Leur étude, qui sera publiée le 4 avril (!), est basée sur l’étude du sérum de convalescents de Covid-19 avérés. Selon eux, elle fournit des preuves que l'entrée des cellules hôtes du SARS-CoV-2 dépend du récepteur « SARS-CoV ACE2 » et surtout qui pourrait être bloquée par un inhibiteur de la sérine protéase cellulaire TMPRSS2, qui est utilisée par SARS-CoV-2 pour l’amorçage de la S-protein.
Chaque journée apporte son lot de nouvelles ou d’hypothèses comme à l’instant où je rédige (10), parfois contradictoires que nous suivrons régulièrement. Dans l’immédiat, il convient de confiner au mieux les patients âgés, fragiles, les obèses et les diabétiques, ainsi bien sûr, que les sujets hypertendus et atteints de maladies respiratoires.
Professeur Émérite, Université Grenoble-Alpes
(1) Li B, Yang J, Zhao F, Zhi L, Wang X, Liu L, Bi Z, Zhao Y. Prevalence and impact of cardiovascular metabolic diseases on COVID-19 in China. Clin Res Cardiol. 2020 Mar 11. doi: 10.1007/s00392-020-01626-9.
(2) Zhou F, Yu T, Du R, Fan G, et al. Clinical course and risk factors for mortality of adult inpatients with COVID-19 in Wuhan, China: a retrospective cohort study. Lancet. 2020 Mar 11. pii: S0140-6736(20)30566-3. doi: 10.1016/S0140-6736(20)30566-3. [Epub ahead of print] Erratum in: Lancet. 2020 Mar 12;
(3) Wu Z, McGoogan JM. Characteristics of and Important Lessons From the Coronavirus Disease 2019 (COVID-19) Outbreak in China: Summary of a Report of 72 314 Cases From the Chinese Center for Disease Control and Prevention. JAMA. 2020 Feb 24. doi: 10.1001/jama.2020.2648.
(4) Pavan K. Bhatraju et al Covid-19 in Critically Ill Patients in the Seattle Region — Case Series. New Engl J Med March 30, 2020 DOI: 10.1056/NEJMoa2004500
(5) M.D. Van Kerkhove, M.J. Cooper, A.A. Cost, et al. Risk factors for severe outcomes among members of the United States military hospitalized with pneumonia and influenza, 2000–2012 Vaccine, 33 (2015), pp. 6970-6976
(6) Chan JW, Ng CK, Chan YH, Mok TY, Lee S, Chu SY, Law WL, Lee MP, Li PC. Short term outcome and risk factors for adverse clinical outcomes in adults with severe acute respiratory syndrome (SARS). Thorax. 2003 Aug;58(8):686-9.
(7) Fang L, Karakiulakis G, Roth M. Are patients with hypertension and diabetes mellitus at increased risk for COVID-19 infection? Lancet Respir Med. 2020 Mar 11. pii: S2213-2600(20)30116-8. doi: 10.1016/S2213-2600(20)30116-8.
(8) Vaduganathan M, Vardeny O, Michel T et al. Renin–Angiotensin–Aldosterone System Inhibitors in Patients with Covid-19. New Engl J Med March 30, 2020 doi: 10.1056/NEJMsr2005760.
(9) Li W, Moore MJ, Vasilieva N, et al. Angiotensin-converting enzyme 2 is a functional receptor for the SARS coronavirus. Nature 2003;426:450-454.
(10) Hoffmann M, Kleine-Weber H, Schroeder S, et al. SARS-CoV-2 cell entry depends on ACE2 and TMPRSS2 and is blocked by a clinically proven protease inhibitor. Cell 2020 Mar 4 (Epub ahead of print).
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