Chez les enfants et les adolescents présentant un diabète de type 1 (DT1), il existe une augmentation du risque de désordres psychiques, tels que l’anxiété, la dépression ou les troubles de l’alimentation et des conduites alimentaires (TCA), en particulier lorsque le diabète survient durant la préadolescence, à cette période où les transformations physiques et psychologiques s’accélèrent. Selon les populations étudiées et le trouble mental considéré, ce risque est multiplié de 1,5 à 2 par rapport à des sujets contrôles issus de la population générale appariés sur l’âge et le sexe. Une vaste étude de cohorte menée au Danemark à partir de registres nationaux et publiée en 2018 retrouve une majoration significative du risque de trouble mental chez les jeunes patients DT1 appariés sur l’âge et le sexe (HR de 1,46 chez les filles et de 1,38 chez les garçons), plus particulièrement chez les 10-14 ans, et un surrisque plus important encore de TCA chez les deux sexes (HR de 2,02 chez les filles et de 3,73 chez les garçons) (1).
Une forte prédominance féminine
Tous les TCA ont pour dénominateur commun « un envahissement psychique lié à une focalisation extrême sur les questions d’ordre alimentaire et le besoin inassouvi de maîtrise du poids et de la silhouette » (2). Leur prévalence est particulièrement élevée chez les jeunes DT1, avec une forte prédominance féminine. Si, contrairement à certaines idées reçues, la prévalence de l’anorexie mentale chez les patients DT1 est comparable à celle de la population générale (de 0,3 à 1,5 %), celle de la boulimie semble être un peu plus élevée (de 1 à 2 %), tandis que les TCA atypiques ou non spécifiés seraient de deux à trois fois plus fréquents que dans la population générale (de 4 à 8 %), et bien plus encore si l’on inclut l’ensemble des comportements pathologiques visant à la maîtrise du poids (vomissements, utilisation de laxatifs ou de diurétiques, régimes restrictifs, périodes de jeûne, activité physique excessive, excès alimentaires après hypoglycémie…) (2). L’instrumentalisation de l’insulinothérapie au bénéfice du contrôle pondéral – omission des injections et/ou sous-dosage volontaire –, appelée « diaboulimie », est le plus fréquent de ces comportements, et pourrait toucher de 10 à 40 % des adolescentes et jeunes femmes DT1 (2-4).
De nombreuses hypothèses sont avancées pour expliquer la prévalence élevée des TCA au cours du DT1 (2-4). Chez ces patients, certains traits souvent rencontrés pourraient venir potentialiser les facteurs génétiques, psychosociaux et/ou environnementaux impliqués dans la survenue d’un TCA : l’insatisfaction corporelle et la faible estime de soi, communes aux maladies chroniques ; une focalisation excessive sur les aliments (en particulier ceux riches en glucides) et le poids, souvent nourrie de fausses croyances, de privations injustifiées et de frustrations, avec la crainte, justifiée, elle, de perdre le contrôle de l’alimentation ; la peur des hypoglycémies avec consommation impulsive et excessive de glucides à visée préventive ou correctrice ; la peur de ne pas savoir faire face aux contraintes du traitement par insuline, la peur de l’imprévu, de l’échec…
Un diagnostic et une prise en charge difficiles
Chez les patients DT1, les TCA sont associés à une mauvaise adhésion au traitement et à un équilibre glycémique médiocre, avec augmentation des risques d’hospitalisation pour acidocétose, de complications microvasculaires (en particulier de rétinopathie) et de décès (notamment par suicide). Il est donc essentiel de savoir repérer précocement les TCA et de bien orienter les patients pour que leur prise en charge soit optimale.
Pour autant, le dépistage et le diagnostic sont difficiles, car il existe souvent un déni ou une dissimulation du trouble, et rares sont les patients qui évoquent spontanément le problème. Chez un patient DT1, et surtout s’il s’agit d’une jeune fille, un déséquilibre glycémique inexpliqué (HbA1c élevée, hypoglycémies répétées et/ou sévères, grande variabilité glycémique) doit toujours faire rechercher un TCA. Dans certains cas, le clinicien peut percevoir des préoccupations excessives autour de l’apparence, du poids et des aliments, une dysmorphophobie, une volonté de contrôle et de maîtrise, un manque de flexibilité mentale ou un désir de perfection source d’anxiété marquée. Son attention peut aussi être attirée par des variations pondérales, par des signes cliniques ou biologiques évoquant des vomissements ou la prise de diurétiques ou de laxatifs, par la présence d’une aménorrhée primaire ou secondaire… D’autres signes peuvent également alerter, comme l’irrégularité du suivi médical, la réticence à être pesé pendant la consultation ou l’apparition récente d’un végétarisme.
En cas de suspicion de TCA, on peut utiliser le questionnaire de dépistage SCOFF-F, validé en français. Il comporte cinq questions non spécifiques et deux questions subsidiaires spécifiques au DT1 visant à explorer l’instrumentalisation de l’insuline. Une réponse positive à au moins deux questions est évocatrice de la présence d’un TCA (2).
La prise en charge des TCA chez les patients DT1 est particulièrement complexe, et doit s’appuyer sur une équipe pluriprofessionnelle expérimentée, capable d’appréhender les aspects nutritionnels, psychologiques et environnementaux, mais aussi les problématiques directement en lien avec le DT1 et son traitement. Il est essentiel d’obtenir une alliance thérapeutique avec le patient pour définir les objectifs thérapeutiques et les moyens d’y parvenir. Dans tous les cas, la pierre angulaire de la prise en charge reste la psychothérapie, individuelle et/ou familiale.
Marseille
(1) Dybdal D et al. Diabetologia. 2018 Apr;61(4):831-38
(2) Gastaldi G, Bringer J. Médecine des Maladies Métaboliques. Mars 2012;6(2):143-150
(3) Pinhas-Amiel O et al. World J Diabetes. 2015 Apr 15;6(3):517-26
(4) Toni G et al. Nutrients. 2017;9(8):906
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