Longtemps, les diabètes ont été catégorisés par leur traitement : diabète insulinodépendant (DID) ou non (DNID). Aujourd’hui, nous avons opté pour une autre classification : diabète de type 1 (DT1 et non DID) et diabète de type 2 (DT2), qui ne peut être qualifié de DNID puisqu'il peut – souvent même – avoir besoin de recourir à l’insulinothérapie. Il en est de même pour l’âge ! Chez un adulte, surtout après 50 ans, seul un DT2 pouvait auparavant être envisageable. Et pourtant, nous le verrons dans un prochain cas clinique, cela peut relever de plusieurs autres causes et typologies de diabètes.
Cette fois, nous portons notre attention sur une forme de diabète bien connue, « le diabète gestationnel » (DG). Classiquement recherché chez les femmes enceintes de façon ciblée (antécédents familiaux, IMC élevé, multiparité, âge de la femme, certaines ethnies, DG lors d’une précédente grossesse), il peut aussi faire l'objet de façon plus large d'un « dépistage universel », appliqué à toute la population des femmes enceintes. Selon les pays, les pratiques diffèrent, et le débat reste ouvert. Dans la majorité des cas, il s’agit donc de femmes de profil, dirons-nous, à « potentiel DT2 », qui sont explorées.
Voici néanmoins un cas clinique qui n’a pas manqué de surprendre les médecins qui avaient en charge cette très jeune femme.
Primum non nocere !
Sarah est enceinte et elle habite dans un pays où le dépistage du DG est universel. Elle a 21 ans, son IMC prégestationnel est de 19 kg/m2, c’est sa première grossesse. À la 28e semaine d’aménorrhée, on lui recommande une charge orale en glucose (OGTT) dans le cadre du dépistage d’un DG. Résultat : 6,8 mmol/l (1,22 g/l) à jeun et 8,0 mmol/l (1,44 g/l) à 2 heures.
Cette seule glycémie à jeun alerte l’équipe qui décide, peu après le constat de l’inefficacité de la diététique seule, de lui prescrire de l'insuline. Mais ses glycémies à jeun ne baissent que très difficilement et restent supérieures à 6 mmol/l ; les doses d’insuline sont accrues et atteignent rapidement 160 U/jour, soit 3U/kg/j.
Sarah suit de surcroît un régime très strict – légumes, salade – sans résultat sinon qu’elle se sent souvent très mal et présente des épisodes de sueurs l’obligeant à changer de vêtements 2 à 3 fois par jour. Elle finit par interrompre toute activité professionnelle. De toute évidence elle est sujette à des hypoglycémies sévères, et elle présentera même une perte de conscience de 20 minutes.
Déclenchée à 39 semaines, elle accouche par voie basse d’un bébé de 3,2 kg en bonne forme. Après la grossesse, ses glycémies sont à nouveau testées, avec exactement les mêmes glycémies à jeun – 1,25 g/l en moyenne – sans la moindre évolution ni à la hausse ni à la baisse !
La piste monogénique se confirme
Après cette grossesse étrange, elle est adressée à un spécialiste du diabète. Face à une femme toujours aussi mince, ayant eu des glycémies un peu élevées, très stables, si peu influencées par de fortes doses d’insuline, puisque son hyperglycémie à jeun persiste, inchangée, celui-ci enquête, et découvre qu’elle n’est pas la seule personne dans la famille à avoir une glycémie à jeun autour de 1,25 g/l. Des tantes et un oncle, qui ont la cinquantaine, sont « comme elle », et n’ont jamais vu leurs glycémies s’élever plus ensuite, malgré les années. Ils ne reçoivent aucun traitement antidiabétique ni suivent de régime.
L’hypothèse est alors formulée d’un diabète monogénique de type MODY-2 (GCK-MODY), lié à un défaut de la glucokinase (GCK) des cellules béta du pancréas endocrine. La recherche génétique le confirme.
La seconde grossesse s’est passée cette fois de façon plus tranquille, même glycémie à jeun, aucun traitement, suivi échographique fœtal sans anomalie et pas d’insuline, alimentation sans particularité recommandée, la même que celle de toute femme enceinte. Accouchement à terme d’un bébé de 3,9 kg !
Une glycémie bien régulée mais avec un thermostat mal réglé
Le GCK-MODY est causé par une mutation génétique qui aboutit à un défaut fonctionnel de la glucokinase B cellulaire, celle qui convertit le glucose en glucose-6-phosphate (G6-P), première étape de la voie glycolytique dans la cellule béta où elle sert de signal, « glucose sensor » pour la sécrétion d’insuline (2, 3).
Ce fonctionnement défectueux entraîne une élévation de la glycémie : l’insuline est sécrétée normalement, mais à un niveau de glycémie constamment au-dessus des valeurs normales. On trouve habituellement des chiffres de glycémie à jeun de 5,5 à 8,0 mmol/L et une HbA1c de 5, 8 à 7,6 % (38 à 60 mmol/mol).
On ne décrit pas d’effet de l’IMC sur ces valeurs. Cela est présent dès la naissance et ne changera pas, ou presque pas, dans le temps. Le niveau des glycémies n’entraîne pas de glycosurie (elle reste inférieure au seuil rénal du glucose) et donc pas de symptômes.
Il s’agit d’une affection génétique autosomique dominante qui touche en moyenne 1,1 (0,3-2,9) personnes sur 1000, principalement des Européens caucasoïdes (France, où elle fut décrite en premier, Espagne, Italie, moins dans le nord de l’Europe) : jusqu’à 3 % d'entre eux… mais seuls 1 % seraient diagnostiqués.
On estime qu’en Grande Bretagne 60 000 personnes sont concernées. Le sous-diagnostic tient au côté asymptomatique et/ou à une classification erronée (DT1 ou DT2). C’est la forme la plus fréquente de MODYs (en moyenne 25 % mais ce chiffre est variable selon les séries et populations).
L'abstention thérapeutique dans la plupart des cas
Le GCK-MODY ne relève en principe d’aucune thérapeutique diététique ou médicamenteuse. De plus ces patients ne semblent pas présenter de complications à type de microangiopathie habituellement liées aux diabètes (2,3).
Au cours de la grossesse, la croissance du fœtus est principalement déterminée par le fait qu'il hérite, ou non, de la mutation du gène GCK (3-6), transmise par la mère dans 50 % des cas. Le traitement de l’hyperglycémie de la mère par l'insuline ne semble approprié que si l'augmentation de la croissance abdominale fœtale en échographie suggère que le fœtus n'est pas affecté – l'impact du traitement restant toutefois limité en raison de la difficulté à modifier la glycémie maternelle. En effet :
• Si le fœtus n'est pas porteur de la mutation : il régule alors normalement sa sécrétion d’insuline, accroissant celle-ci avec, par conséquent, une tendance à la macrosomie (excès de 550 à 700 g) ;
• Si le fœtus est porteur de la mutation : l’insulinothérapie maternelle pourrait maintenir des glycémies trop basses et serait accompagnée d’hypotrophie fœtale.
La délicate question étant donc : le fœtus a-t-il hérité de la mutation ? Ceci qui compte donc plus que la modeste hyperglycémie maternelle, sans la moindre conséquence pour elle.
Cette situation complexe conduit à ne pas donner de traitement de l’hyperglycémie d’emblée, à surveiller la croissance fœtale (avec certes les limites de l’échographie que l’on sait) et à recourir à une prise en charge spécialisée.
Un accès simple à une étude génétique du fœtus serait d’un grand secours ; les études sur ce sujet sont en cours en France (6). Le génotypage de l’ADN fœtal dans le sang circulant de la mère en début de grossesse est en cours de développement (déjà opérationnel pour d'autres maladies).
Des tests génétiques à développer pour éviter inquiétudes et traitements inutiles
En dehors de la grossesse, établir le diagnostic de GCK-MODY au moyen de tests génétiques est essentiel pour éviter des traitements et investigations inutiles, puisque ces patients sont souvent diagnostiqués à tort comme porteurs d’un diabète de type 1 ou 2, et traités inutilement comme tels. Ceci pour les rassurer et leur éviter des traitements antidiabétiques et une surveillance glycémique inutiles.
La leçon de cette histoire : un diabète gestationnel à IMC normal doit faire suspecter un diabète de type monogénique, ici MODY 2. Ensemble, les diabètes monogéniques (5 formes principales) représentent environ 2 % de tous les diabètes mais 80 % ne sont pas diagnostiqués (1).
Professeur émérite, Université Grenoble-Alpes
(1) Billionnet C, Mitanchez D, Weill A, Nizard J, Alla F, Hartemann A, Jacqueminet S. Gestational diabetes and adverse perinatal outcomes from 716,152 births in France in 2012. Diabetologia. 2017 Apr;60(4):636-644. doi: 10.1007/s00125-017-4206-6
(2) Murphy R. Monogenic diabetes and pregnancy. Obstet Med. 2015 Sep;8(3):114-20. doi: 10.1177/1753495X15590713.
(3) Chakera AJ, Steele AM, Gloyn AL, Shepherd MH, Shields B, Ellard S, Hattersley AT Recognition and Management of Individuals With Hyperglycemia Because of a Heterozygous Glucokinase Mutation. Diabetes Care 2015;38:1383–1392 doi: 10.2337/dc14-2769
(4) Shivani Misra, MRCP1 and Anne Dornhorst, FRCP2 Gestational Diabetes Mellitus: Primum Non Nocere Diabetes Care 2012 Sep; 35(9): 1811-1813. doi.org/10.2337/dc12-0689
(5) Chakera AJ, Spyer G, Vincent N, et al. The 0.1% of the population with glucokinase monogenic diabetes can be recognized by clinical characteristics in pregnancy: the Atlantic Diabetes in Pregnancy cohort. Diabetes Care 2014; 37(5): 1230–1236.
(6) Spyer G, Macleod KM, Shepherd M, Ellard S, Hattersley AT. Pregnancy outcome in patients with raised blood glucose due to a heterozygous glucokinase gene mutation. Diabet Med 2009;26:14-18
Murphy R. Monogenic diabetes and pregnancy. Obstet Med. 2015 Sep;8(3):114-20. doi: 10.1177/1753495X15590713
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