Une obésité passée modifie durablement l'immunité, des preuves dans la DMLA

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Publié le 24/01/2023
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Crédit photo : Voisin/Phanie

Une obésité passée laisse des traces. C'est ce que montrent des chercheurs canadiens en mettant en lumière le rôle d'une dysimmunité persistante après une obésité transitoire dans la physiopathologie de la dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA).

Ces travaux publiés dans « Science » décrivent en détail chez la souris comment une masse grasse trop importante entraîne une reprogrammation épigénétique, laquelle perdure même après une perte de poids et entraîne au cours de la vie une neuroinflammation agressive pour l'œil.

« Nous voulions savoir pourquoi certaines personnes avec une prédisposition génétique développent une DMLA, tandis que d'autres sont épargnées », explique le Pr Przemyslaw Sapieha, ophtalmologue à l'université de Montréal et auteur senior. La génétique n'explique pas tout. « Bien que des efforts considérables ont été investis dans la compréhension des gènes responsables de la DMLA, des variations et des mutations de gènes de susceptibilité augmentent seulement le risque, mais n'en sont pas la cause », poursuit-il.

Le tissu adipeux, un organe actif sur le plan immunologique

Les facteurs de risque sont aussi environnementaux, l'obésité étant l'agent de stress numéro deux derrière le tabac. Certes, il a été démontré que la perte de poids permet de corriger des anomalies métaboliques et de normaliser le contrôle glycémique. « Néanmoins, l'impact à long terme d'une obésité antérieure sur la réponse immunitaire plus tard dans la vie reste inconnu », rappellent les auteurs. Un mystère que les scientifiques ont voulu lever à travers de multiples expériences chez le rongeur.

Le tissu adipeux est l'un des organes immunologiquement actifs les plus importants. Et si la perte de poids permet de réduire l'inflammation du tissu adipeux, les chercheurs montrent tout d'abord que son fonctionnement immunologique ne revient pas à la normale. La greffe de tissu graisseux issu de souris ex-obèses prédispose les rongeurs de corpulence normale à une angiogenèse rétinienne. En étudiant de plus près le tissu adipeux, l'équipe rapporte que les macrophages sont activés en réponse aux cytokines produites lors de l'obésité passée. En résultent des profils pro-inflammatoires après la perte de poids.

L'acide stéarique, un acteur clé

Les scientifiques vont plus loin en pointant le rôle d'un acide gras : l'acide stéarique, le plus abondant dans le plasma chez les souris soumises à un régime hyperlipidique (> 60 %). Cet acide gras se révèle capable de remodeler la disposition de la chromatine, via le récepteur TLR4 : cette redistribution augmente sélectivement l'accès au site de liaison à un activateur de protéine (AP-1). Ce changement épigénétique pourrait être un mécanisme de reprogrammation des macrophages.

De plus, les scientifiques montrent qu'une déplétion en cellules myéloïdes (à l'aide d'une toxine diphtérique) permet de prévenir la dégénérescence rétinienne chez les souris ayant été obèses.

Ces observations suggèrent de tester à l'avenir deux pistes pour prévenir la DMLA en cas d'obésité : soit d'influer directement sur la reprogrammation épigénétique, soit d'éliminer les sous-populations de cellules reprogrammées.

« Nos résultats fournissent des informations importantes sur la biologie des cellules immunitaires qui entraînent la DMLA et nous permettront de concevoir des traitements personnalisés à l'avenir », espère le Dr Masayuki Hata, premier auteur et désormais ophtalmologue à l'université de Kyoto. Au-delà de la DMLA, ces travaux ouvrent des voies de recherche pour comprendre le rôle de l'obésité dans la neuroinflammation observée dans la maladie d'Alzheimer ou la sclérose en plaques.

M. Hata et al, Science, janvier 2022. doi/10.1126/science.abj8894


Source : lequotidiendumedecin.fr