La cholestase gravidique n’est pas rare, puisqu’elle concerne 1 % des grossesses, et elle suscite de nombreuses interrogations, notamment concernant le risque de complications fœtales. Les premières recommandations pour la pratique clinique émises par le CNGOF comblent un vide.
Le diagnostic de cholestase gravidique repose sur trois critères : un prurit évocateur, isolé, palmoplantaire, nocturne ; associé à une élévation des acides biliaires > 10 µmol/L à jeun ou à une augmentation des Alat supérieure à deux fois la normale ; après élimination d’autres orientations étiologiques à l’examen clinique (interrogatoire et examen physique).
En l’absence de symptômes évocateurs d’un diagnostic différentiel, il est proposé de ne pas réaliser de bilan complémentaire biologique (en dehors des transaminases et des acides biliaires) ou d’échographique.
L’acide ursodésoxychloque contre le prurit
« La prise en charge a pour objectif de soulager les symptômes maternels (prurit invalidant, entraînant des troubles du sommeil), de prévenir une prématurité spontanée et la morbidité associée ainsi que le risque de mort fœtale in utero (MFIU). Pour la mère, il n’y a pas de conséquences graves sur le plan hépatique et aucun risque de lésion chronique du foie », souligne le Pr Franck Perrotin (CHU de Tours).
Concernant le traitement du prurit maternel, il est recommandé d’administrer de l’acide ursodésoxycholique (AUDC). En revanche, les autres traitements tels que la S-adénosyl-methionine, la dexaméthasone, la gomme de guar et le charbon activé ne doivent pas être utilisés.
Les données de la littérature sont insuffisantes pour émettre une recommandation quant à l’administration d’antihistaminiques (hydroxyzine). « Néanmoins, en pratique quotidienne, au moins au début, ils peuvent être ponctuellement utilisés à des doses pas trop élevées. L’utilisation au long cours jusqu’à l’accouchement pourrait entraîner des signes d’imprégnation chez le nouveau-né (sédation) », prévient le Pr Perrotin.
Réduction de la prématurité totale seulement
Trois métaanalyses ont bien montré que l’AUDC améliore le bilan biologique, en diminuant les acides biliaires totaux et les transaminases. Il réduit également le taux de prématurité totale, possiblement du fait d’une réduction de la prématurité spontanée. « On serait en droit de penser qu’il peut aussi améliorer le risque de mort fœtale in utero, de mortalité périnatale, d’hospitalisation en néonatologie… mais il n’en est rien. Il ne faut pas se rassurer sur la diminution du risque de MFIU avec cette prescription d’AUDC », met en garde le gynécologue.
Prédire le risque de MFIU…
Une métaanalyse a permis de mieux définir le risque de MFIU (1). Deux paramètres s’avèrent importants : la valeur maximale atteinte par les acides biliaires pendant la surveillance, et le terme de la grossesse.
Le risque de MFIU augmente avec ces deux paramètres. Il est supérieur à 1 % à partir de 36 semaines d’aménorrhée (SA). Si la valeur maximale atteinte par les acides biliaires à n’importe quel moment de la surveillance est supérieure à 100 µmol/L, le risque de MFIU est multiplié par 30 à partir de 36 SA. Si les acides biliaires sont restés entre 40 et 100 µmol/L, le risque est multiplié par 2,35 à partir de 38 SA. S’ils ont toujours été inférieurs à 40 µmol/L, le risque n’est pas augmenté par rapport à la population de grossesses normales.
… pour décider du déclenchement
Par conséquent, il est recommandé d’induire la naissance en cas de survenue concentration d’acides biliaires ≥ 100 µmol/L à partir de 36 SA pour réduire la mortalité périnatale, en particulier la MFIU.
Si la concentration est restée inférieure à 100 µmol/L, il est recommandé d’informer de la possibilité d’induire la naissance entre 37-39 + 6 SA.
« La discussion se fait alors au cas par cas avec la patiente, pour décider du moment du déclenchement, explique le Pr Perrotin. Avec ces recommandations, on pense qu’on va aller vers une désescalade dans le déclenchement de l’accouchement. Il n’en reste pas moins que la décision de naissance se comprend, car c’est une pathologie qui fait, à juste titre, très peur. »
Surveillance biologique
La surveillance biologique des acides biliaires et des transaminases est évidemment recommandée, sans qu’une fréquence puisse être déterminée. Les données de la littérature sont insuffisantes pour émettre une recommandation quant à l’intérêt d’une surveillance par analyse du rythme cardiaque fœtal ou par échographie obstétricale, pour réduire la morbimortalité périnatale.
« Il est important de bien expliquer à la femme qu’on ne connaît pas encore le mécanisme de la MFIU et que malheureusement, elle peut survenir sans signe cardiaque (ou autre) avant-coureur. Le seul indicateur est la concentration maximale d’acides biliaires », résume le Pr Perrotin.
Exergue : « C’est une pathologie qui fait, à juste titre, très peur »
Entretien avec le Pr Franck Perrotin (CHU de Tours) (1) Ovadia C et al. Lancet. 2019 Mar 2;393(10174):899-909
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