Le cancer de la prostate, le mélanome ou encore le glaucome bénéficient déjà de projets avancés d’intelligence artificielle (IA). Mais même pour le diagnostic, qui est l'application la plus évidente (devant le pronostic et la gradation de la maladie ou l’identification de biomarqueurs), l'utilisation de l'IA en hépatologie est très compliquée, comme s’en est fait l’écho le Paris Mash meeting le 6 septembre. « Pour la prostate, on n'a que deux options possibles : soit il s'agit d'un foyer de cancer, soit d’une hyperplasie de la prostate. Avec une maladie du foie, il peut y avoir 50 diagnostics différents : infection virale, alcool, Mash [anciennement Nash], maladie auto-immune, cholangite sclérosante primitive… », explique le Pr Julien Calderaro, du département de pathologie de l'hôpital Henri-Mondor (AP-HP).
Selon les différents spécialistes réunis, pour réussir à faire le tri, une IA doit être capable d'adopter une approche multimodale, c’est-à-dire d’inclure des données d'imagerie, de génomique, d’histologie, de métabolomique, mais aussi les antécédents familiaux ou personnels. Comme l'expose la Dr Jana Lipkova, du département de pathologie de l'Université d'Irvine, en Californie, « il existe de fortes disparités entre les patients avec un même diagnostic. L'association de données multimodales permet d'améliorer la stratification des patients et de personnaliser les traitements. »
Les données de bonne qualité, de l’« or numérique »
Pour y parvenir, le nerf de la guerre reste donc les données nécessaires pour alimenter les modèles d'IA. Pour le diagnostic, de grandes quantités d'images sont couplées à des données d'analyse. « Je suis persuadé que si on a suffisamment de données de bonne qualité, on peut prédire les réponses aux traitements », ajoute même le Pr Calderaro.
Cela implique de transférer une masse colossale de données médicales depuis les hôpitaux où elles sont collectées, vers les serveurs des entreprises ou des centres de recherche qui mettent au point des outils d'IA. « Mais il y a des problèmes techniques et éthiques à résoudre », explique le Pr Calderaro. Sur ce dernier point, des chercheurs allemands et anglais ont trouvé la parade, avec un modèle d’entraînement d'une IA « en essaim » .
L'IA permet de s'épargner des tâches laborieuses
Pr Julien Calderaro, pathologiste à l’hôpital Henri-Mondor (Créteil)
Dans un article publié dans Nature Medicine (1), ils sont parvenus à entraîner des petites IA dans des cohortes séparées, puis à les fusionner en une seule, plus puissante, capable de prédire le statut de la mutation BRAF dans des tumeurs colorectales. Grâce à ce système, il serait donc théoriquement possible d’exploiter des données de patients sans qu'elles ne quittent physiquement les hôpitaux.
En attendant que se développent ces nouvelles technologies, il reste possible d’entraîner une IA « mono tâche » à rechercher des anomalies anatomopathologiques. « C'est une bonne manière d'utiliser l'IA pour s'épargner une tâche laborieuse, explique le Pr Calderaro. Par exemple, on peut entraîner une IA à retrouver certains types de fibrose et même à les faire ressortir sur un cliché d’IRM. »
Autre exemple d'utilisation précise : en mars, les médecins de l’hôpital Beaujon et les chercheurs de l'université Paris Saclay (CentraleSupélec) ont publié une étude (2) à partir de 166 biopsies de patients atteints de cancer du foie. L’équipe a réussi à distinguer, à l'aide d'une IA, les carcinomes hépatocellulaires des cholangiocarcinomes intrahépatiques et des cholangiocarcinomes hépatocellulaires. Les correspondances avec les conclusions d’anatomopathologistes chevronnés étaient respectivement de 100, 96 et 87 % pour ces trois types de lésions. Le Pr Calderaro prévient cependant : « si on utilise une IA pour faire la distinction entre une maladie A et une maladie B, il faut que je sois vraiment sûr de moi quand j'élimine préalablement la maladie C ! » .
En décembre 2021, des chercheurs espagnols, suisses et américains parviennent à évaluer la future évolution de l'hypertension portale chez des patients atteints de Mash (3), à partir d'une biopsie. Dans cette pathologie, l'hypertension portale est connue pour être un signe clinique pertinent pour évaluer le pronostic de la Mash. « Pour les médecins qui doivent établir des pronostics fondés sur une multitude de paramètres, le recours à des IA limitées à des tâches précises peut considérablement simplifier le travail de prédiction de l’évolution de la pathologie », espère la Dr Lipkova.
La pollution atmosphérique, un acteur de la Mash
Plusieurs études ont étudié le lien entre pollution atmosphérique et risque de Mash sur des travailleurs américains employés dans des usines chimiques, une population très exposée, comme l’a indiqué lors du Paris Mash meeting le Dr Matthieu Cave, spécialiste en maladies environnementales du foie à Louisville. Comparés à des cohortes issues de la population générale non exposée, ces travailleurs avaient des taux de cirrhose et d’hépatocarcinome plus importants.
Les polluants identifiés dans ces études « sont très souvent retrouvés dans la population adulte des pays occidentaux », prévient le Pr Lawrence Serfaty, hépatologue au nouvel hôpital civil de Strasbourg et co-organisateur du meeting. La réflexion des chercheurs ne s'arrête pas là : « certains patients ne répondent pas aux nouveaux traitements, il y a un travail pour savoir si ces polluants n’expliqueraient pas cette absence d'efficacité. »
(1) O. Lester Saldanha et al, Nature Medicine, vol 28, p1232–1239, avril 2022
(2) A. Beaufrère et al, JHEP, vol 6, Issue 3, mars 2024
(3) J. Bosche et al, Hepatology, vol 74, n° 6, p 3146-3160, décembre 2021
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